Trans Internet-Zeitschrift für Kulturwissenschaften 15. Nr. Juli 2004
 

1.2. Signs, Texts, Cultures. Conviviality from a Semiotic Point of View /
Zeichen, Texte, Kulturen. Konvivialität aus semiotischer Perspektive"

HerausgeberIn | Editor | Éditeur: Jeff Bernard (Wien)

Buch: Das Verbindende der Kulturen | Book: The Unifying Aspects of Cultures | Livre: Les points communs des cultures


Grundlagen/Fundamentals Teil 1/Part 1:
Theorie/Theory
Teil 2/Part 2:
Sprache(n)/Language(s)
Teil 3/Part 3:
Literatur(en)/Literature(s)
Teil 4/Part 4:
Nonverbale Zeichen/Non-verbal Signs
Moderation / Chair: Renée Gadsden

Convergences des cultures d'Afrique et des Antilles à travers une lecture sémiotique de Faat Kine de Ousmane Sembène et de Sugar Cane Alley d'Euzhan Palcy

Zacharie Petnkeu Nzepa (College Park, ML)

 

Résumé: Cette étude combine la définition peircienne de la sémiotique et les fonctions du schéma de communication de Roman Jakobson pour décrire quelques signes de deux textes filmiques d'Afrique et des Caraïbes (Faat Kine du Sénégalais Ousmane Sembène, et Sugar Cane Alley de la Martiniquaise Euzhan Palcy). De l'interprétation des signes non verbaux analysés dérivent des points communs témoignant des convergences des cultures des sociétés de référence des deux films: les mutations ethnographiques (nouveau code linguistique par exemple) des populations noires transplantées de force au Nouveau Monde ont peu altéré la permanence d'un fond culturel également transporté d'Afrique. Cette conclusion souligne la fécondité des marques de l'oralité dans les deux espaces culturels et s'alarme toutefois de leur fragilité face à l'agression des autres systèmes de signes.

 

Intégrer comme Sapir au domaine de la culture «l'ensemble des attitudes, des visions du monde et des traits spécifiques de civilisation qui confèrent à un peuple particulier sa place originale dans l'univers» (Beacco/Lieutaud 1981: 9) paraît bien fonctionnel au regard de mes préoccupations dans la présente étude; il est cependant assez complexe de démêler tous les contenus et la variété des faits de civilisation que suggère une telle définition. Et si la sémiotique constitue l'une des approches susceptibles de rendre en partie compte de cette complexité, le signe lui-même est une entité assez diverse et pas toujours facile à cerner: les théories modernes élargissent son domaine aux signes non verbaux; en outre, souligne Todorov à la suite de Ferdinand de Saussure, le signe n'existe que pour un groupe plus ou moins important d'usagers. «En dehors d'une société, si réduite soit-elle, les signes n'existent pas» (1978: 132). Par conséquent, d'une société à l'autre, un même signifiant peut renvoyer à des signifiés différents ou similaires. Faisceaux de connotations et réseaux de significations justifient ainsi les signes comme des unités culturelles dont l'analyse peut fonder la fécondité des réalités vivantes des civilisations. C'est fort de ces présupposés que je me propose de repérer et d'identifier dans Faat Kine de Ousmane Sembène (2000) et Sugar Cane Alley d'Euzhan Palcy (1983) certains signes non verbaux qui par leurs fonctions dans l'environnment de leur représentation, assurent par des fortes connotations la convergence ou la similarité ds univers culturels de référence des deux films. Mon approche se veut descriptive et non comparatiste, le choix des deux films se justifiant par le fait que le premier est tourné en zone urbaine tandis que la campagne figure l'espace diégétique du second; en outre et toujours len liaison avec la problématique de l'espace filmique, l'Afrique représente l'univers référentiel du premier, est les Antilles qui hébergent une forte population des noirs de la diaspora celui du second. Cette dispersion et cette distance géographiques, pour fictives qu'elles soient au niveau des films, permettront de mieux juger de la validité et des rapports étroits entre les référents auxquels renvoient les images. Pour ce faire, je m'inspire dans un premier temps de l'approche peircienne pour trouver des critères valides de lecture et de description des signes pertinents des deux films; m'inspirant du schéma de Roman Jakobson (Colapietro 1993: 105), j'analyse ensuite la dynamique de la fonction communicatrice desdits signes et le mécanisme par lequel ils intègrent les cultures dont ils sont le reflet.

 

I. De quelques données théoriques aux techniques de construction des signes non verbaux

La bonne intelligence des signes non verbaux passe par la définition que propose Saussure de la langue perçue comme un «système de signes exprimant des idées, et par là, comparable à l'écriture, à l'alphabet des sourds-muets, aux rites symboliques, aux formes de politesse, aux signaux militaires, etc.» (1972: 33). Il intègre de la sorte la linguistique dans un ensemble plus vaste qu'il considère comme la science de tous les systèmes de communication par signes, la sémiologie. Ainsi, outre la langue qui intéresse particulièrement Saussure, Charles Sanders Peirce a systématisé de nombreuses autres unités non linguistiques servant à la communication. Un domaine de définition s'ouvre donc aux signes non verbaux et Sanders dont Beacco & Lieutaud commentent de manière explicite les thèses (1981: 15-16), élargit le caractère biface du signe en ajoutant au signifiant/signifié saussurien un troisième élément, le référent. Le signe ne renvoie jamais directement au référent; il n'y parvient qu'en transitant par le signifié. Signifiant, signifié et référent forment dès lors un ensemble tripartite solidaire dont le premier élément constitue ce qui est perçu, la manifestation visuelle, auditive, voire olfactive du signe. Parmi les arts représentatifs, le cinéma intègre harmonieusement les aspects visuel et auditif ou sonore; l'image remplace le son phonique de la communication verbale; le langage cinématographique acquiert une certaine autonomie de par la matière d'expression riche et variée du film. Autant dire que le cinéma peut très bien se passer de certains éléements, comme la parole articulée, et conserver toute sa charge expressive. A sa naissance par exemple, le cinéma a rempli sa fonction de communication sans parole durant une bonne période et l'avènement du son n'a pas empêché que de nombreux films contemporains contiennent des segments muets. Ici apparaît cependant une difficulté majeure: la multiplicité de la matière d'expression du cinéma rend complexe son langage et partant, la communication dans certains cas; le public est en effet un maillon important de l'art cinématographique; il n'y a point de communication si le destinataire n'existe pas ou s'il ne saisit pas le sens du message. A cet effet et s'agissant de la signification des costumes par exemple, Sarah Street souligne: «It is important to recognize that film costumes not only relate to the characters who wear them but also to the audiences who watch them» (2001: 7). C'est la grande question du sens, des rapports entre le signifiant et le signifié considérés par Roland Barthes comme «le fondement de toute réflexion sémiologique» (1961: 51). J'y reviendrai dans la deuxième partie de cette étude après avoir décrit dans les films les techniques qu'utilisent Ousmane Sembène et Euzhan Palcy respectivement pour construire des signes non verbaux porteurs de valeurs culturelles. Sans aucune prétention de faire de l'analyse thématique le point focal de mon étude, qu'il me soit permis de faciliter la compréhension en résumant respectivement l'histoire de Faat Kine et de Sugar Cane Alley.

Faat Kine, personnage central dont le film porte le nom, est une fille-mère d'âge adulte abandonnée à elle-même après avoir été expulsée du Lycée comme sanction d'une première grossesse suivie plus tard d'une seconde. Devenue gérante d'une station d'essence à la suite de ses efforts personnels, elle réussit non seulement à éduquer jusqu'à l'entrée à l'université ses deux enfants sans aide aucune de leurs pères, mais aussi à s'offrir une belle voiture, une grande villa avec bonne où elle vit avec sa mère et ses enfants. Elle tire avantage de cette aisance matérielle pour occasionnellement mener une vie mondaine en compagnie d'un petit cercle d'amies intimes et femmes d'affaires.

Sugar Cane Alley est un environnement de baraques délabrées abritant des familles de travailleurs noirs surexploités par les Mbékés (Blancs en créole) dans les plantations de canne à sucre. Une vieille femme, Man Tine, défie cette misère rampante pour donner à son petit-fils José une éducation en vue de l'arracher aux conditions de vie étouffantes et précaires des plantations.

Par l'analyse de la mise en scène dans les deux films, l'on peut dégager de la masse des supports généraux du signifiant que sont le décor, le costume, le paysage, les diverses manifestations du son, les gestes... des signes non verbaux frappants. Il s'agit d'illustrer comment les auteurs organisent par rapport à l'espace leur choix devant la caméra.

La manière dont certains personnages sont habillés est révélatrice de l'importance accordée dans la mise en scène au costume traditionnel tant masculin que féminin. A cet égard, quand Kine rencontre ses amies au restaurant, elles sont toutes en pagne: dans cette scène, le réalisateur juxtapose toute une série de plans en plongée, demi ensemble, américain, champ/contre-champ et gros plan qui mettent en relief la richesse tant en valeur qu'en couleurs de leur habillement. Il convient de rappeler que le pagne est un ensemble vestimentaire de même tissu composé de plusieurs pièces parmi lesquelles le foulard dont le port obéit à de multiples fantaisies esthétiques. Quand les femmes quittent le restaurant, elles croisent dans la rue deux hommes vêtus de gandouras singulièrement typiques. Ceci est rendu par un plan d'ensemble: pendant que les deux hommes tombent d'admiration en observant les femmes, leurs costumes ne manquent pas d'effet sur le spectateur. On peut bien penser que ces deux figurants ont été retenus par l'auteur juste pour des besoins d'exhibition des costumes en l'espace de quelques secondes; on ne les revoie nulle part dans le film.

Outre les costumes, un autre signifiant à relever se rattache aux gestes de certains personnages; ainsi de ce plan d'ensemble de la bonne qui célèbre à sa manière le succès des enfants de Faat Kine au Baccalauréat: accolades, pas de danse rythmés par une chanson de son cru accompagnent son explosion de sa joie. Mais le geste le plus expressif viendra de Faat Kine et de son cercle d'amies lors du bal organisé en son domicile par ses enfants; leurs deux pères se présentent à la fête sans avoir été invités et chacun tente une réconciliation avec son enfant. L'échec de leur entreprise est consommé et provoque leur expulsion. Un plan séquence en plongée montre Faat Kine et ses amies en train de faire claquer chacune le pouce contre le majeur au dessus des têtes des deux parents et de leur ami en les suivant jusques dans la rue. Relevons pour compléter la liste de ces signes l'ensemble des tableaux meublant le décor à la résidence de Faat Kine: ils représentent tous des leaders politiques africains - Nelson Mandela, Kwame N'krumah, Patrice Lumumba, Thomas Sankara... - dont le dénominateur commun réside dans un destin tragique.

Contrairement à Faat Kine, la mise en scène dans Sugar Cane Alley, assure une grande expansion au décor rural. Dans la première partie du film qui se déroule sur les plantations, quelques scènes ont pour support le son musical intradiégétique. Un plan d'ensemble avec profondeur de champ construit une séquence où l'on voit les travailleurs danser en cercle dans la nuit. C'est l'une des plus riches séquences du film les plus riches en signes non verbaux: au premier plan, le vieux Medouze qui ne participe pas aux festivités s'entretient au coin du feu avec le petit José tout en transformant un morceau de bambou en statuette africaine cadrée par la suite en un très gros plan. Au second plan de la même séquence, une musique dont la source apparaît dans le champ rythme la danse des travailleurs. Le temps également est modelé en rapport avec l'événement: c'est la nuit et les bruits nocturnes sont assez bien rendus. D'autres signes encore s'observent dans les attitudes de Medouze et de José lorsque les deux se retrouvent dans la nature pour une séance d'éducation: la séquence est construite par un bref panoramique du décor suivi d'une plongée qui montre l'arrivée des deux protagonistes, leur installation et l'entretien structurés par des plans de demi ensemble et de champ/contre-champ. Autre espace filmique, autres signes: Medouze est signalé absent et les travailleurs éparpillés dans la nuit à sa recherche le retrouvent mort. Le rassemblement est sonné au moyen d'un instrument fort symbolique, le lambi.

 

II. Dynamique de communication et mecanisme integrateur des signes decrits

Tous les signifiants ci-dessus répertoriés restent muets et sans effet si on ne les intègre dans le réseau syntagmatique des films qui les portent. Parce que le cinéma est un art visuel, c'est par l'image qu'il signifie; son langage est donc et avant tout visuel. Jacques Aumont et al. synthétisent dans Aesthetics of Film les points de vue des théoriciens tels Robert Bataille, Jean Mitry, Christian Metz ou Umberto Eco qui ont non seulement démontré comment l'image isolée ne représente qu'une simple idée et devrait être associée aux autres images par la perception du spectateur pour signifier, mais aussi, souligné l'importance des codes de reconnaissance (Aumont et al. 1992: 135-160). C'est donc dans la dynamique d'une chaîne de corrélations que les signes revèlent leurs signifiés, et ce en fonction d'un langage propre au cinéma et contrastant avec le langage verbal. Il s'ensuit que le signifié d'une seule et même image peut être polysémique selon les cultures des individus-spectateurs. Barthes soutient que les nécessités de l'intelligibilité imposent à un auteur de «puiser la force de son message dans une sorte de lexique collectif, élaboré par la tradition» (1960: 869). Ola Balogun renchérit en observant que les facteurs sociaux, historiques et culturels qui enveloppent de nombreuses pratiques dans les sociétés africaines par exemple ne sont pas d'emblée accessibles à ceux qui sont étrangers au milieu ou elles se sont développées: par exemple, «le langage d'une œuvre d'art, c'est-à-dire sa forme peut-être totalement indéchiffrable pour ceux qui ne possèdent pas en commun avec elle les éléments qui permettent de l'interpréter» (1977: 47-48). Ici se confirme l'importance à la fois du code et du référent cher à Peirce. Remarquons que sa triade ne peut bien fonctionner dans une situation de communication qu'à la condition que le signe soit non seulement compris par la majorité des membres de la communauté culturelle dans laquelle il est utilisé, mais aussi qu'il soit partagé par tous sans contestation. On peut bien inférer que la valeur sémiologique de tel ou tel autre signe tient de l'importance du suffrage que l'un ou l'autre réunit autour de ses connotations culturelles. C'est par conséquent au regard des codes dont Roland Barthes insiste sur le caractère hautement culturel (1961: 161) que j'entreprends une interprétation rigoureuse des signes comme le reflet d'une conception culturelle largement partagée par la communauté négro africaine.

A cet égard, la technique des femmes de porter le canari ou toute autre charge en équilibre sur leurs têtes dans Faat Kine n'étonnerait un Africain que du fait que cela s'observe dans le film en milieu urbain, la pratique étant en réalité beaucoup plus fréquente en milieu rural. Mais l'on peut bien conjecturer que l'effet recherché par Sembène est d'attirer l'attention dès la première scène du film sur l'espace diégétique qui est africain. Les costumes, masculins ou féminins, seraient de la même veine tout en remplissant une fonction poétique ou esthétique par leur richesse en formes et en couleurs: ici, tout en signifiant autre chose, le signe a pour objet lui-même. Toute L'Afrique noire se reconnaîtrait dans ces costumes qui débordent ainsi le cadre du Sénégal qui serait le cadre de l'histoire. Outre cette connotation culturelle, leur permanence du début à la fin du film en fait des marques de ponctuation, pourrait-on dire. Le contraste avec des costumes empruntés à d'autres cultures est par ailleurs bien net dans le film, même pour les étrangers: les costumes musulmans dont est vêtue la mère de Faat Kine se démarquent du pagne africain par le voile qui remplace le foulard. La mode occidentale également présente dans le film ne fait cependant pas le poids, et on peut bien dire que Faat Kine célèbre l'afritude, concept élaboré pour «habiller» le nouveau courant de la mode vestimentaire vogue en Afrique.

Hormis les costumes, les gestes observés dans la scène d'expulsion des pères des enfants de Faat Kine méritent quelques explications: dans la société wolof, rien n'est plus humiliant que de pousser dehors sans le toucher un indésirable en lui désignant la porte et en le suivant tout en faisant claquer au dessus de sa tête le pouce frotté contre le majeur. Les mots seraient faibles pour traduire le mépris que Faat Kine et ses amies éprouvent pour ces hommes. Cette situation équivaut à un bannissement. Pour les hommes, le pic de l'humiliation est atteint. Qu'en est-il des signes de Sugar Cane Alley?

Dans ce film, la danse et la musique instrumentale revêtent une dimension singulière. Le traitement de ces éléments et de bien d'autres comme le feu ou quelques objets précis témoigne de leur importance comme signes dans les cultures négro africaines. Associés au feu et au continuum spatio-temporel, ils fonctionnent comme des outils d'expression des valeurs, des sentiments et des émotions tant individuels que collectifs. La nuit par exemple est le moment privilégié des contes et des veillées, soit à l'intérieur des cases, soit à l'extérieur pour des groupes plus larges, et généralement au clair de lune ou autour du feu. Celui-ci présente une double fonction quand il est allumé sur la place du village; il sert à la fois d'éclairage et d'invitation à toute cérémonie qui se déroule dans cet espace. Ainsi, les travailleurs de la canne à sucre se regroupent, jouent du tam-tam et dansent pour de rares moments de réjouissances et d'oubli des vicissitudes de la journée. C'est un petit intermède de loisir et de plaisir qui fonctionne comme un exutoire pour tous ces misérables. Medouze développe pour José ses devinettes et ses contes autour du feu dont les réverbérations mettent en évidence les émotions de l'un et de l'autre telles que les gros plans de leurs visages nous les donnent à lire. Ici, les fonctions émotive et conative se mêlent pour conférer au message toute sa tonalité solennelle. Devinettes et contes sont les outils à fonction éducative dans la société traditionnelle en Afrique ou dans les Antilles. Le jeune José se trouve à la croisée de deux systèmes éducatifs: celui de l'abstraction qui le fait prisonnier de l'école à l'occidental entre les quatres murs d'une salle de classe; celui du contact direct avec la nature, le plein air, la matière, a pour maître Medouze et fonctionne selon le mode de transmission orale: les attitudes de l'enseignant face à l'apprenant sont aussi expressives que les préceptes consignés dans un traité de pédagogie.

Le lambi, coquille d'un mollusque marin, est utilisée aujourd'hui comme instrument de musique à Haïti; mais il a rempli dans toutes les Antilles un rôle des plus significatifs à l'époque des luttes des esclaves marrons. C'est par le lambi qu'e l'on sonnait le ralliement selon le code arrêté par les marrons. Sa présence dans le film n'est pas sans rappeler la fonction historique de cet outil de rassemblement. Le tam-tam lui fait écho dans les communautés africaines. En ce qui concerne le petit objet que Medouze sculpte sous le regard attentif de José et le lui remet après finition, il représente un masque e statuette africaine. La technique (sculpture) et l'objet (lla statuette) sont les produits de l'art qui a ceci de caractéristique qu'en Afrique, il n'est pas pratiqué dans le seul but de divertir; Medouze le sage incarne le cordon qui rattache les noirs du continent lointain à ceux de la diaspora. La statuette qu'il lègue à José qui lea conserve bien comme on peut l'observer dans le film, jouera si besoin est, comme le déclic de la fonction mémorielle: il lui rappelera non seulement son viel ami, mais aussi le lien séculaire et mythique entre l'Afrique et les Antilles.

*   *   *

L'oralité marque fortement la construction de Faat Kine et de Sugar Cane Alley, tel que l'attestent l'inventaire et l'analyse des signifiants visuels et sonores mobilisés pour la construction des deux films. Les éléments de l'oralité font sans doute partie du principe organisateur des films de Ousmane Sembène, comme le remarque David Murphy (2000: 239); mais, ils sont assez mal répartis dans Faat Kine. Est-ce du fait de l'espace urbain où se déroule l'histoire? Par contre, Euzhan Palcy aménage une distribution généreuse et équilibrée sur l'ensemble de son film. Cependant, dans l'un et comme dans l'autre texte, la combinaison des signifiants oraux et leurs liens avec les autres éléments de la structure des films témoignent de la vitalité des signes non verbaux. Les référents qu'ils connotent appartiennent au même univers socio-historique et culturel malgré l'océan qui sépare les deux espaces réels (Afrique et Antilles). Ces signes corréleraient harmonieusement avec les autres matériaux bruts et riches du système de communication des peuples de ces espaces pour produire sans grande ambiguïté une expression esthétique et culturelle originale et partagée. Cependant, si par la force des images de toutes sortes le langage cinématographique peut influencer favorablement l'effacement des barrières entre les différentes langues nationales comme le pense Delluc repris par Aumont et al. (1983: 127), l'on devrait redouter que l'érosion que subit de plus en plus la fortune des signes non verbaux du fait de l'agression des autres systèmes de signes ne conduise certains peuples à une hybridation porteuse de germes de crise d'identité culturelle: dans ce sens, l'attitude de José qui, dans Sugar Cane Alley, ne réussit pas à déchiffrer l'interprétant - selon la terminologie peircienne - du signe «statuette» paraît bien problématique.

© Zacharie Petnkeu Nzepa (College Park, ML)


RÉFÉRENCES

Aumont, Jacques et al. (1992). Aesthetics of Film. Austin: University of Texas Press

Balogun, Ola; Aguessy, Honorat & Pathe Diagne (1977). Introduction à la culture africaine. Paris: Unesco

Barthes, Roland (1960). «Le problème de la signification au cinéma». Revue Internationale de filmologie janvier-juin: 869-874

Beacco, Jean-Claude & Simonne Lieutaud (1981). Moeurs et Mythes. Lecture des civilisations et documents authentiques écrits. Paris: Hachette

Bellanger, Gérard (1977). Le cinéma dans la classe. Tournai: Casterman

Cameron, Kenneth M. (1994). Africa on Film. Beyond Black and White. New York: The Continuum Publishing Company

Colapietro, Vincent M. (1993). Glossary of Semiotics. New York: Paragon House

Ducrot, Oswald & Tzvetan Todorov (1972). Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage. Paris: Seuil

Garric, Nathalie (2001). Introduction à la linguistique. Paris: Hachette

Gibbs, John Edward (2001). Mise-en-scène. Film style and interpretation. London: Wallflower Press

Glaser, Marlies & Marion Pausch (1994). Between Orality and Writing (Entre l'oralité et la l'écriture). Revue Caribbean writers. Amsterdam: Rodopi

Murphy, David (2000). Inspiring Alternatives in Film and Fiction: Sembène. New Jersey: African World Press

Saussure, Ferdinand de (1972). Cours de linguistique générale. Paris: Payot

Street, Sarah (2001). Costume and Cinema. Dress Codes in Popular Film. London: Wallflower Press

FILMS:

Sembène, Ousmane (2000). Faat Kine. Sénégal

Palcy, Euzhan (1983). Sugar Cane Alley (Rues cases nègres). France


Grundlagen/Fundamentals Teil 1/Part 1:
Theorie/Theory
Teil 2/Part 2:
Sprache(n)/Language(s)
Teil 3/Part 3:
Literatur(en)/Literature(s)
Teil 4/Part 4:
Nonverbale Zeichen/Non-verbal Signs
Moderation / Chair: Renée Gadsden


1.2. Signs, Texts, Cultures. Conviviality from a Semiotic Point of View /
Zeichen, Texte, Kulturen. Konvivialität aus semiotischer Perspektive"

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Zacharie Petnkeu Nzepa (College Park, ML): Convergences des cultures d'Afrique et des Antilles à travers une lecture sémiotique de Faat Kine de Ousmane Sembène et de Sugar Cane Alley d'Euzhan Palcy. In: TRANS. Internet-Zeitschrift für Kulturwissenschaften. No. 15/2003. WWW: http://www.inst.at/trans/15Nr/01_2/petnkeu15.htm

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