Trans Internet-Zeitschrift für Kulturwissenschaften 15. Nr. November 2005
 

7.1. Entlehnung und Übersetzung am Kreuzweg von Sprache und kulturellem Kontakt
HerausgeberIn | Editor | Éditeur: George Echu (Université de Yaoundé I, Cameroun)

Buch: Das Verbindende der Kulturen | Book: The Unifying Aspects of Cultures | Livre: Les points communs des cultures


De l'attribut et de la concession comme supports du biculturalisme
Dans ma passion africaine de claude njike-bergeret

Etienne Dassi (Université de Yaoundé I, Cameroun)

 

Ma Passion africaine(1) de Claude Njiké-Bergeret (1997) est, comme l'affirme son auteur et comme l'atteste la quatrième page de couverture, une confession. Nous ne prenons pas ce substantif polysémique dans son acception religieuse - d'avouer des fautes commises pour obtenir l'absolution. Dans le sens où nous l'appréhendons, il se résume en un acte de foi inébranlable, comme le laisse subodorer le socle nominal passion du titre majeur. Plus explicitement, Claude Njiké-Bergeret, une Française chrétienne peint la passion qui fait d'elle une Africaine authentique. Elle installe ainsi le récepteur de son discours (G. Molinié et A. Viala: 1993) indéniablement autobiographique au cœur d'un biculturalisme révélant des regards croisés. Ce qui impressionne beaucoup plus le lecteur, c'est le choix des attributs grammaticaux propres à véhiculer le biculturalisme, ou autrement dit le dialogue de cultures. En pareille situation, nous adoptons l'hypothèse selon laquelle l'attribut et la concession sont indéfectiblement liés dans l'expression du biculturalisme. Nous l'explorons à travers le personnage-scripteur, autobiographe, de Claude-Njiké Bergeret. Après clarification des concepts fondamentaux, nous découvrons les attributs socioculturels du personnage-cible et, enfin, sa réalisation de la concession qui peut être dite "socioculturelle".

 

1. De la clarification des concepts

Du fait de son expressivité, l'attribut est essentiellement une catégorie sémantique. Comme telle, elle participe de la fonction fondamentale de la langue: dire ce qui est, ce qui est perçu, comment cela est. C'est donc une détermination caractérisante, classifiante et identifiante. Pour des raisons d'ordre pédagogique et didactique, la notion d'attribut a été ramenée à une construction ou mieux à une position syntaxique particulière. D'où la remarque du Dictionnaire de linguistique (2001): "Pour la grammaire, l'attribut est la manière d'être ou la qualité dont l'énoncé reconnaît l'appartenance à quelqu'un ou à quelque chose par le moyen d'un verbe exprimé ou sous-entendu". La manière d'être et la qualité dont fait montre le personnage de Claude-Njiké Bergeret nous permettront de mieux appréhender le biculturalisme en déploiement dans le texte pris pour objet d'étude. C'est à ce titre qu'un attribut peut être intrinsèque (senti, éprouvé) ou extrinsèque (perçu ou conféré de l'extérieur). C'est ici que se complique la conception de l'attribut biculturel, dans la mesure où la même personne doit revêtir l'attribut biculturel. Alors s'ouvre une brèche incontournable sur la concession.

Du latin concessio, qui procède de concedere "accorder", le substantif concession tient son sens du verbe céder auquel renvoie Alain Rey (1993). Nous sommes donc bien loin de son sens originel de "marcher, aller", souvent avec la nuance de "se retirer". Il n'est pourtant pas exclu que l'origine du mot concession soit liée au verbe cadere, "choir, tomber". Ce qui est beaucoup plus important, c'est que pour manifester l'acception qu'on lui reconnaît aujourd'hui le mot concession apparaît, pour la première fois, dans des travaux de rhétorique au XIII è siècle. Il véhicule une figure de pensée fondée sur la souplesse argumentative: "Dans un discours prononcé contre une partie, ou dans une discussion quelconque, le locuteur feint d'accorder à l'autre la reconnaissance du point global contesté de telle sorte que cet apparent abandon sur le litige entraîne, de l'autre partie, un semblable et symétrique retrait sur un autre point de la contestation, cet autre point formant en réalité l'aspect décisif pour le locuteur." (G. Molinié: 1992).

Nous n'aurons affaire ni à un discours au sens le plus ordinaire du terme, ni à une discussion ; il sera surtout question d'un portrait, pourrait-on dire, robot, de Claude-Njiké Bergeret - assumant sa biculturalité. La concession sera donc envisagée dans la peinture de l'Etre et du pouvoir être, intériorisés et manifestés par une subjectivité. C'est ainsi que l'attribut et la concession feront bon ménage pour illustrer la capacité de l'humain à être soi-même en partageant la nature et l'existence de son semblable dans ce qu'elles ont d'attrayant ou de fascinant. Dans cet ordre d'idées, nous appréhenderons à sa juste valeur la nature euro-africaine (afro-européenne ( !?)) et franco-camerounaise (camerouno-française ( !?)) de Claude-Njiké Bergeret. Des valeurs biculturelles entreront en osmose au détriment d'autres qui seront tout simplement sacrifiées du fait de leur portée isolationniste, égocentriste et/ou égoïste.

 

2. De l'attribut simple: question de lexicologie

Notre objectif n'est pas de reprendre ici les critères (de reconnaissance de l'attribut) vulgarisés depuis des lustres à travers le discours pédagogique et didactique(2). Nous considérons ces critères comme des pré-requis. Ne sont pris en compte que des attributs concernant, de manière intrinsèque ou extrinsèque, le personnage de Claude-Njiké Bergeret. Comme nous le remarquerons, il se posera un sérieux problème de lexicologie, résultant du brassage des sociocultures impliquées et de leur expression dans une langue française pratiquement recyclée.

2.1. Du doute à la mise au point lexicologique

Une réelle et satisfaisante intégration sociale de l'individu l'absorbe psychologiquement, moralement et intellectuellement. Cela en sorte qu'il se confond avec le groupe qui l'a accueilli. D'où la double interrogation du personnage-cible, la Française Claude Njiké-Bergeret:

Ex1- D'ailleurs, suis-je vraiment Blanche, suis-je vraiment Française ? (p.14)(3)

L'on est ainsi au cœur de la question capitale, extrêmement délicate et fortement récurrente, d'appartenance à une race, à une nation, bref à une origine particulière. Et l'on voit se profiler à l'horizon la Charte des droits de l'homme avec ses mises en garde moralisantes. Et dans l'esprit se vivifie la forte intégration sportive et même politique(4) qui s'accélère depuis quelques décennies. Dans Ex1, les noms-adjectifs Blanche et Française méritent bien des clarifications sémantiques. L'on ne pourrait vraiment se servir uniquement d'un dictionnaire de langue pour mieux les comprendre, car ils ont subi, chacun, un fort enrichissement contextuel de sens ; lequel enrichissement devient même parfois une pure et simple resémantisation. La double question "Qu'est-ce en réalité qu'être Blanche ? Française ?" interpelle une multitude de critères liés à diverses considérations, pour crédibiliser le rapport indéfectible entre le système-langue et la société (en mutation). L'un de ces critères sémantisants transparaît dans la mise en garde que souligne l'autobiographe:

Ex2- Quand j'étais petite - et même encore aujourd'hui -, avec mes amies, nous parlions des "Blancs" pour nous en moquer, tant leurs attitudes, leur manière d'être et de vivre semblaient étranges, incroyables. Mais le mot "blanc" sous lequel nous les désignions ne signifiait pas seulement la couleur de leur peau. On pourrait traduire par "étranger", ou plutôt "européen", je ne sais pas. (p.14).

Une Française bien intégrée dans la socioculture Bangangté oublie la pigmentation de sa peau. Dans la mise en texte du récit de sa vie, l'on s'aperçoit que se réalisent simultanément les brassages socioculturel et linguistique. C'est ainsi que l'on rentre de plain-pied dans la lexicologie, constituant fondamental du baromètre de la dynamique d'une langue. C'est figurativement que se perçoit mieux la complexification du sens du mot "blanc", à partir des traits de sens qui y sont affectés, en fonction des paramètres d'actualisation:

Le mot blanc est ainsi défini par rapport à une socioculture de référence. Les valeurs prises en compte pour en valider la signification transcendent largement le chromatisme traditionnel. Et l'on comprend aisément l'embarras de la Française que revêt le segment "je ne sais pas" dans Ex2. Elle est consciente de n'avoir pas donné in extenso les composantes sémantisantes du mot "blanc". Ces composantes amènent l'autobiographe à remettre en question une notion apparemment banale. Ainsi "noir" peut signifier "blanc" et vice versa. C'est dans cet ordre d'idées que vont se manifester la reconnaissance des accueillants, la fascination de l'autre et la conscience de l'hybridisme. L'Autre peut plaire, au point d'exercer une véritable fascination, du fait de certaines de ses dispositions. Il se note une attirance bijective, ce qui rend possible l'ouverture et l'acceptation mutuelle.

2.2. De l'ouverture et de la reconnaissance des accueillants:

L'ouverture et l'hospitalité sans hypocrisie ni arrière-pensée des accueillants favorisent une réelle intégration osmotique de l'Autre (qui adopte les mêmes dispositions). Des attributs socioculturels lui sont conférés par les accueillants, fortement hospitaliers:

Ex3 - Un représentant de la municipalité, une des élites, comme on disait, me demanda de faire partie des hôtesses, car, m'affirmait-on, j'étais "Bangangté à cent cinquante pour cent". (p. 146)

Ex4 - Mes futures pensionnaires m'appelèrent "Tata Claude" (p. 134)

Ex5 - Mes élèves ne l'entendaient pas de cette oreille: il n'était pas question que je reste en dehors de cet événement qui les bouleversait. A leurs yeux, j'étais moi aussi une Bangangté. Ne parlais-je pas la langue ? N'était-ce pas parmi leurs aînés que j'avais grandi ? (p. 122)

Ex6 - On me considérait comme une autochtone. (p. 117)

Ex7 - Ntechun, tel était l'éloge que Juliette me transmit. Cela signifie: "Celle qui crée des liens d'amitié" (p. 41)

Ex8 - Toi, tu nous trompes avec ta peau, remarqua la reine. Ton cœur est celui d'une Noire. (p. 155)

Ex9 - Et combien de fois ai-je entendu cette formule:
-Tu es des nôtres. (p. 161)

Les marques d'intégration de la Française Claude (Njiké-)Bergeret sont variées. Elle est surestimée (Ex3) dans une formule hyperbolique ("cent cinquante pour cent"), du fait de sa grande contribution ainsi que celle de toute la famille Bergeret au développement de toute la communauté Bangangté. Elle est familialement intégrée par toute la jeunesse Bangangté (Ex4), en raison de sa protection, de son encadrement (pédagogique) et de sa chaleur quasiment maternelle. En langage familier, tous l'appellent tata Claude. Quelle proximité ! On exige pour elle la compassion à la suite d'un événement malheureux (Ex5) qui afflige toute la communauté Bangangté ; cela pour vivifier la conscience de son intégration indéfectible. On abstrait ainsi toute mise en relief de son origine française, pour ne plus voir en elle qu'une autochtone (Ex.6). Enfin la cerise sur le gâteau: elle n'est plus identifiée socioculturellement qu'à travers un éloge, un titre honorifique identitaire(5) que porte chaque personne dans la communauté Bangangté. Bref, Claude-Njiké Bergeret a reçu tous les grands attributs qui font d'elle une véritable Bangangté, aux yeux des natifs.

2.3. De l'ouverture et de la reconnaissance de la personne intégrée

L'Autre - ici l'autobiographe - est acceptée, accueillie et bien intégrée par le peuple Bangangté qu'elle affectionne ; elle lui voue tout son amour, en en faisant un objet de fascination. Dans cette optique, Claude-Njiké Bergeret s'observe à la lumière de ses attributs de Française parfaitement intégrée dans le peuple bangangté, camerounais et africain. Elle exprime et assume les attributs qu'elle éprouve:

Ex10 - Comme tous les enfants, je voulais être pareille aux autres. Et ces autres, ici, étaient Noires, Africaines, pensionnaires. Pas moi. Alors, j'inventais, je racontais que je n'étais pas la fille de "Monsieur et Madame"(6), mais une enfant trouvée. (p. 43)

Ex11 - J'aimais tout autant jouer sagement là-bas, avec des petites Blanches de mon âge que galoper dans la brousse pleine de mystères et de surprises avec mes sœurs Noires. Car vraiment, nous étions sœurs. Et nous nous appelons encore ainsi. (p. 41)

Ex12 - Nous apprenions la vie en groupe, la spontanéité, l'élan vers les autres. J'étais comme elles. J'étais leur sœur. (p. 41)

Ex13 - Je n'avais aucune envie de vivre un jour comme les Blancs. On pourrait dire alors que j'étais Africaine. Et que je le suis encore. (p.15)

Ex14 - Quand mes parents s'apercevaient de cette complicité avec mes amis et mes sœurs, ils ne se rendaient sans doute pas compte que leur fille était une Africaine. (p. 45)

Ex15 - "Ce sont des incapables... Les Noirs n'évoluent jamais. Ils ne font aucun effort. Ils attendent qu'on fasse tout le travail à leur place..." Quand ma mère tenait de tels propos, je me sentais Africaine. (p. 47)

Une fois de plus, se pose le problème de lexicologie: les mots signifient au gré de leur utilisation sociale ou contextuelle. Une Blanche - physiologiquement parlant - peut être Noire - socioculturellement - et une Française,Africaine dans les mêmes conditions. La parenté mérite également un traitement particulier: l'on distinguerait, suivant le cas, la parenté biologique, socioculturelle ou associative, pour ne citer que ces cas. C'est ainsi que la grille sémique du substantif sœur (Ex9 et Ex10) s'enrichirait d'une multitude de sèmes contextuels en rapport avec l'harmonie communautaire. Cette tendance est très prisée au Cameroun. Les mots sœur, frère, père, mère transcendent le cadre traditionnel de la cellule familiale pour signifier un degré de parenté particulière dans l'attachement avéré aux mêmes valeurs socioculturelles. C'est ainsi que sœur ou frère peut signifier compatriote, ou ressortissant(e) de. Cette conception linguistique soude les peuples et sous-tend la solidarité, le communautarisme, bref l'intégration de tous et de chacun.

En somme, la fascination exercée par l'Autre est essentiellement psychologique. C'est donc l'appel du cœur. Un appel adressé à une personne qui accepte l'Autre et a pour objectif majeur de briser l'isolement, l'enclavement que bâtissent généralement les préjugés négatifs et le complexe (soit de supériorité, soit d'infériorité). La métamorphose à opérer est bien difficile à appréhender, mais très profonde, car il s'agit de transcender les contingences ou les accidents naturels pour agir sur l'essence et le devenir de l'être humain. Le premier pas, et le plus déterminant, c'est la volonté ("je voulais être pareille aux autres" (Ex10)).

Il s'agit, comme dans Ex8, d'une auto-transformation par assimilation à autrui - au point d'y fondre son propre être. En réalité, la petite Française, fille de "Madame et Monsieur", abstrait son étiquette identitaire triviale, pour ne plus être qu'une Noire, une Africaine en pensée. Cette transformation surtout intérieure - qui s'apparente à une mystique - règle la conscience et institue la fraternité universelle (Ex10 et Ex11). Le monde passe alors de son statut de "village planétaire" à celui de "famille planétaire", plus affectif. En fait, au fil du temps, les barrières et les frontières socioculturelles et même géopolitiques se lézardent rapidement et se cassent.

 

3. De la concession attributive(7)

Plus haut, l'accent a été mis sur l'installation de la Française dans ses attributs de Bangangté, de Camerounaise et d'Africaine, pour souligner la dynamique de l'intégration socioculturelle. Dans le segment que nous commençons, nous observerons le jeu concurrentiel des sociocultures et de l'appartenance à une aire géographique dans le processus de biculturalisation. Au cœur de ce processus se trouve une "Française-Africaine" (p.96) - dixit l'autobiographe - qui "a pu assimiler sans déchirement sa double culture européenne et africaine" (p. 55). C'est ainsi que l'attribut fait bon ménage avec la concession, en dépit de quelques heurts. La concession va s'apprécier comme une relation sémantique interpropositionnelle ou interséquentielle ; la séquence étant, de part son étendue, égale ou supérieure à la phrase achevée.

3.1. De la distribution (à concilier)

La concession résulte d'une renonciation et d'une acceptation partielles ; ce qui nécessite la présentation d'un état des lieux: deux modes de vie à concilier:

Ex16 - D'un côté, le mode de vie africain me semblait être un épanouissement continuel, j'y grandissais en habileté, en force physique, voire en intelligence. De l'autre, j'étais forcée d'assimiler les principes que l'on tentait de m'inculquer. Je devenais rusée, sournoise... Ces ruses, ce côté un peu "faux jeton", ressemblaient au fond à l'attitude du colonisé par rapport à son colonisateur. (p. 45)

Le distributif d'un côté... de l'autre... laisse percevoir la difficulté à concilier deux sociocultures apparemment antagonistes. Il ne s'agira ni de les juxtaposer - cela serait impossible - ni de les fusionner - elles perdraient de leurs spécificités et disparaîtraient. Pour que la conciliation, donc la concession, se réalise, les spécificités et l'intersection doivent être identifiées et entretenues ; les incompatibilités doivent être abstraites. D'où la ruse et la sournoiserie de la conciliatrice de notre corpus.

3.2. Du processus de conciliation

Nous notons deux moments importants dans le processus de conciliation des sociocultures prises en compte: la tendre enfance et l'âge de raison.

- Au cours de la tendre enfance, grâce à l'ouverture(8) favorisée par les parents(9), la jeune Française partage la vie de ses congénères africains ; cela en toute naïveté enfantine. L'on comprend alors aisément la dualité qu'elle vit dès son jeune âge:

Ex17 - Ma peau était blanche, mais durant toute mon enfance, dans mon cœur, j'étais Noire, ma façon de voir la vie était celle d'une Noire. Je parlais le bangangté. Donc j'étais Noire. Je ne me sentais pasdifférente de mes petites camarades d'école, de mes "sœurs". (p. 14)

Le morphème mais jouit pleinement de son étiquette grammaticale de conjonction. En réalité, il établit la jonction de deux états de faits: la physiologie (= Blanche) et la psychologie (= comportement de Noire). Le nom-adjectif Noire est une étiquette socioculturelle qui se sémantise en contexte. Un biculturalisme réel et durable s'opère au niveau psychologique, où les préjugés s'enracinent ou se déracinent. C'est là que se construit et s'installe l'attribut (socioculturel) indélébile.

À l'âge de raison, le personnage-cible assume ses choix audacieux et semble ainsi les proposer à la société ; une société en tension vers le brassage des cultures et la mondialisation. Elle se sent riche de la biculturalité qui fait de son existence un modèle de concession socioculturelle:

Ex18 - De stricte éducation protestante, tentée par des études de sciences et de philosophie, puis allant jusqu'aux portes d'une agrégation de géographie, je possède encore plus ou moins consciemment tout ce bagage calviniste et universitaire qui fait de moi une Blanche, une Européenne, une Française, et pas seulement à l'état civil. Pourtant je suis également, simultanément, Africaine, Camerounaise, Noire. Il n'y a là aucun dédoublement de la personnalité, aucune incompatibilité. Ma vie, mon destin ont su tisser des liens étroits, indissolubles, entre mes deux univers. (p. 15)

Dans Ex18, les adverbes pourtant, également, simultanément et la locution adverbiale (et) pas seulement brillent par leur mise en relief de la nuance qui sous-tend la concession grammaticale. Il laissent ainsi entrevoir les composantes du brassage socioculturel comme non aliénables. La relation concessive révèle alors sa complexité sémantique: l'on peut être Européen sans cesser d'être Africain et vice versa, c'est-à-dire Blanc-Noir ou Noir-Blanc.

Au début de cet article, nous formulions l'hypothèse de la liaison indéfectible entre l'attribut et la concession dans l'expression d'une biculturalité effective. Attribut et concession sont bien connus dans la terminologie grammaticale. Notre objectif n'était pas de ressasser, pour une fois de plus ou de trop, la théorie morphosyntaxique (des deux notions) ; théorie devenue aujourd'hui classique dans le discours pédagogique et didactique. En la considérant comme un pré-requis, nous voulions transcender le niveau strictement morphosyntaxique pour envisager son efficacité sémantique dans le cadre restreint d'un biculturalisme appliqué à un personnage pris comme prototype. Nous avons ainsi pu éviter un encyclopédisme ennuyeux.

La notion d'attribut (sémantique) nous a permis de poser des problèmes de lexicologie qui entourent la socialisation ou la contextualisation des mots notionnels. Il s'en est dégagé l'enrichissement sémique ou, parfois, la resémantisation complète du terme pris en considération. Ont pu, par exemple, être affectés Blanc, Noir, frère, sœur, Camerounais, Français, Africain, Européen.

En continuant de fonder nos investigations sur l'attribut, nous nous sommes aperçu que le biculturalisme s'accomplit réellement dans la conciliation de valeurs socioculturelles prises en compte. L'affermissement de cette opération est essentiellement psychologique. Quoi qu'il en soit, l'on intègre deux sociocultures dans ce qu'elles ont chacune de spécifique et de commun. Cette intégration, nécessairement antiraciste, contribue à la réalisation tout autant de la civilisation senghorienne du donner et du recevoir que du concept tout à fait actuel de mondialisation humanisée.

© Etienne Dassi (Université de Yaoundé I, Cameroun)


REFERENCES

(1) Ces dernières lignes de la quatrième page de couverture sont bien expressives: "Itinéraire unique d'une femme exceptionnelle, Ma Passion africaine est avant tout un lyrique chant d'amour à une terre, le pays Bangangté, à un homme, le chef, à une famille élargie et à un peuple. Mais c'est aussi la découverte d'un mode de vie et de pensée. Un modèle de tolérance."

(2) À titre d'exemple confirmatif, la Grammaire du français classique et moderne (Hachette, 1997) détaille dans son index et sous l'entrée Attribut: 1- le substantif attribut (avec ou sans verbe attributif ; substantif attribut ou à valeur de déterminant ; attribut du sujet ; attribut d'un complément ; construction du substantif attribut ; place ; détermination du substantif attribut) ; 2- l'adjectif qualificatif attribut ; 3- Construction de l'attribut introduit par à/de ; 4-Mise en relief de l'attribut (attribut du sujet ; attribut du c.o.d) ; 5- Proposition attribut (proposition relative ; proposition interrogative). Plusieurs autres grammaires que nous ne citons pas ici développement avec insistance la morphosyntaxe de l'attribut.

(3) Cette indication de page(s), à la fin de chaque exemple d'illustration, renvoie à Ma Passion africaine de Claude Njiké-Bergeret (éd. Jean-Claude Lattès, 1997)

(4) L'on pourrait ici évoquer rapidement la mort de l'apartheid en Afrique du Sud, la composition des équipes sportives de France, des Etats-Unis d'Amérique, du Canada, d'Angleterre et de bien d'autres nations qui ne voient en la pigmentation de la peau qu'une simple contingence négligeable. Dans la même foulée, l'on aurait le plaisir de constater que la couleur cesse de constituer un critère électif fondamental codifié dans la gestion politiques des grandes nations et des grands organismes internationaux de nos jours.

(5) Cette pratique est très prisée au Cameroun. A titre explicatif, tout étranger de grande renommée - toute grande autorité politique - qui rend visite à une chefferie bamiléké est revêtu d'insignes et d'attributs traditionnels identitaires (costume, amulettes, bracelets, chapeau...) pour signifier sa parfaite intégration dans la société d'accueil.

(6) Le personnage le rappelle de manière explicite: "Je suis la fille de M. et Mme Bergeret" (p. 103)

(7) L'adjectif attributif est généralement employé, en grammaire, pour qualifier un terme qui contribue à l'engendrement d'un attribut (grammatical). Nous l'employons ici pour qualifier une relation engendrant un type particulier et bien complexe d'attribut ; lequel attribut se constitue de plusieurs déterminations associées à titre concessif.

(8) Nous avons déjà eu l'occasion de mettre en relief l'importance d'une réelle ouverture, ou même d'une réouverture suffisante, dans le dialogue des cultures entre le Nord et le Sud (Dassi, 1997: pp[271-281]

(9) Grande est la reconnaissance que Claude-Njiké Bergeret manifeste à l'endroit de ses parents, qui ont bien voulu la laisser en contact permanent avec ses congénères Africains: "Si mes parents l'avaient voulu, mon frère, ma sœur et moi aurions pu vivre totalement isolés de notre environnement africain, comme la plupart des autres petits Blancs, fils de missionnaires, de fonctionnaires ou de colons, bien à l'abri de tout contact avec les autochtones et la nature." (p. 27)


BIBLIOGRAPHY

DASSI, a / De la morphosyntaxe à la sémantique des présentatifs en français contemporain. Une aperception fondée sur la prose romanesque de Mongo Beti, Lincom Europa, Muenchen, 2003.

b/"Question de sociopoétique: de la réouverture à la redécouverte de l'autre", Écritures VII: Le Regard de l'Autre/ Afrique-Europe au XX è siècle, Éditions CLE, Yaoundé, 1997, pp. 271-281.

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Etienne Dassi (Université de Yaoundé I, Cameroun): De l'attribut et de la concession comme supports du biculturalism. In: TRANS. Internet-Zeitschrift für Kulturwissenschaften. No. 15/2003. WWW: http://www.inst.at/trans/15Nr/07_1/dassi15.htm

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