Trans Internet-Zeitschrift für Kulturwissenschaften 15. Nr. September 2004
 

8.4. L'éducation multiculturelle ou Est-il possible de créer un espace culturel commun?
HerausgeberIn | Editor | Éditeur: Mirela Moldoveanu (Université d'Ottawa, Canada)

Buch: Das Verbindende der Kulturen | Book: The Unifying Aspects of Cultures | Livre: Les points communs des cultures


Identité et altérité dans le discours littéraire

Cecilia Condei (Université de Craiova, Roumanie)

 

Résumé

Notre communication essaie de répondre premièrement à la question comment peut-on illustrer l'interculturel à l'aide de la communication littéraire ? en metttant l'accent sur les valeurs de l'identité et de l'altérité au cadre du stéréotype et du préjugé. La perspective interculturelle se dégage pleinement de la richesse dialogique de l'oeuvre de Panaït Istrati, écrivain roumain d'expression française dont l'oeuvre a circulé en quelques langues au cours de la première moitié du siècle précédent.

Mots-clé: discours littéraire, stéréotype, préjugé, altérité, identité.

 

1. Bref historique des notions

1.0. Il n'est pas sans intérêt de rappeler au début de notre article que le modèle, soit-il le modèle d'un discours ou d'un comportement, d'une attitude, le préconstruit, en général, adopté au classicisme, revient au centre de la recherche pendant le XIXe siècle. C'est le siècle où lieux communs, idées reçues, poncif ou cliché tournent vers le côté péjoratif, en désignant, comme dans P. Larousse (1869) , par exemple, le cliché en tant que "phrase toute faite que l'on répète"(apud Amossy, Herschberg-Pierrot, 2000: 13).

À quoi bon ce "tout fait" ? quel est son rôle, son importance et comment le distinguer de l'innovation ? Deux notions servent bien de cadre: identité et altérité.

1.1. Présentées ensemble, par exemple dans le Trésor de la Langue Française, (désormais TLFi) et dans le Dictionnaire de l'Académie française (désormais D.A.) , altérité et identité" supposent un inventaire de traits suivi d'une séparation ultérieure en deux groupes: traits qui assurent la ressemblance et ceux qui travaillent pour la dissemblance. Les deux mots sont empruntés du bas latin: altérité de alteritas, "différence" attesté depuis le milieu du IVe siècle et identité de identitas "qualité de ce qui est de même"(D.A.).

L'évolution du français les enregistre à des époques bien différentes. En 1270, une attestation isolée place altérité dans le domaine de la philosophie, le sens étant "altération, changement", quatre siècles plus tard, chez Bossuet, en 1697, le mot désigne "qualité de ce qui est autre" (d'après TLFi). En ce qui concerne identité, on constate sa présence au début du XIVe siècle ( sous la forme de ydemtite) : "ce qui fait qu'une chose, une personne est la même qu'une autre, qu'il n'existe aucune différence entre elles" (d'après TLFi). En parlant d'identité, on prend en compte aussi l'ipséité, notion bien plus récente, attestée en 1840 (P. Leroux, Humanité, t. 2, p: 860, cité par TLFi) , empruntée au latin scolastique (ipseitas) , à son tour dérivé de ipse (moi, toi, lui...) -même. L'ipséité se réfère à "ce qui fait qu'une personne, par des caractères strictement individuels, est non réductible à une autre. Il n'est pas d'être sans "ipséité". Faute d'"ipséité", un élément simple (un électron) n'enferme rien" (G.Bataille, cité par TLFi)

1.2. Le stéréotype a une origine plus récente. Employé souvent, sous une forme abrégée (stéréo) , le mot est lié à l'apparition de l'imprimerie et utilisé pour "cliché métallique en relief". TLFi mentionne qu'en 1796, l'adjectif stéréotype avait le sens "imprimé avec des caractères stéréotypes", en 1803, le mot réfère au "cliché obtenu par coulage de plomb dans un flan ou une empreinte ". En 1810 on mentionnait l'existence des ouvrages imprimés avec des stéréotypes et Stendhal utilise, en 1836, l'expression "volumes stéréotypes" au sens de "volumes imprimés à l'aide des stéréotypes" (TLFi).

La migration du mot vers le domaine de la psychologie le fait paraître comme "opinion toute faite, formule figée, banale"(TLFi).

Ce qu'on garde dans ces interprétations c'est le caractère de fixité qu'accompagne chaque objet qualifié comme stéréotypé. Depuis 1920, le stéréotype, en tant que schème, ou formule figée, garde sa position de centre d'intérêt pour les sciences sociales (Amossy & Herschberg-Pierrot, 2000: 26).

Étudié par Walter Lippmann (dans l'Opinion publique, 1922) le stéréotype est présenté comme médiateur entre nous et le réel, filtre que nous utilisons quotidiennement. Cette notion a donné lieu à des débats multiples, surtout dans la psychologie sociale. Les tentatives plus récentes de le définir (Louis Marie Morfaux, 1980, Gustave-Nicolas Ficher, 1996, Ruth Amossy, 1991) soulignent son caractère de fixité et de rigidité. Le trait de bivalence persiste dans la plupart des démarches de définition. Il découle de deux positions: l'une qui l'envisage soulignant sa péjoration (jugement non critique, un "savoir de seconde main" comme dans Amossy & Herschberg-Pierrot, 2000: 28) l'autre soulignant sa fonction constructive, d'ensemble de croyances qui concernent les attributs personnels d'un groupe, ce qui offre un point de départ raisonnable à l'investigation.

Présentés ensembles stéréotype et préjugé ont eu tendance à se confondre, surtout dans le lexique des sciences sociales.

L'on dissocie, pourtant, la dimension classificatoire qui prédomine dans le cas du stéréotype (croyance, opinion, représentation concernant un groupe et ses membres) de la tendance émotionnelle qui prédomine dans le cas du préjugé. Celui-ci désigne "l'attitude adoptée envers les membres du groupe en question" (Amossy & Herschberg-Pierrot, 2000: 35).

 

2.0. Stéréotypie, interculturel, multiculturel

Nous nous situons dans le territoire du discours littéraire où persiste l'image d'une confrontation permanente entre l'identité individuelle et l'appartenance à la société humaine. La détermination spatiale et temporelle de la littérature "ne l'empêche pas de se présenter à la fois de partout et de quelque part" (Abdallah-Pretceille, 1992: 162) , ce qui accentue son statut de lieu préféré d'inscription pour l'interculturel "construction susceptible de favoriser la compréhension des problèmes sociaux et éducatifs, en liaison avec la diversité culturelle" (Abdallah-Pretceille, 1992: 36).

L'effort de créer des relations entre les groupes minoritaires s'oriente vers deux directions: l'une appartient aux groupes minoritaires, et l'autre s'oriente vers les groupes majoritaires au cadre de la société pluriethnique. Cette coordonnée se présente "comme un choix pragmatique face au multiculturalisme qui caractérise les sociétés contemporaines" (Carlo, 1998: 40). La distinction interculturel-multiculturel, selon M. Abdallah-Preitceille, est marquée par la préoccupation du multiculturel "d'éviter l'éclatement de l'unité collective tout en acceptant la pluralité des groupes" (Abdallah-Preitceille, 1992: 36-37).

2.1. La stéréotypie dans le discours littéraire. Notre approche interculturelle vise à dégager la richesse dialogique de l'oeuvre littéraire, en particulier l'oeuvre de Panait Istrati, écrivain roumain d'expression française, né à Braila, en 1884 (mort en 1935) et dont les écrits continuent de circuler en plusieurs langues.

"Poussé par un démon de vagabondage ou plutôt par le besoin dévorant de connaître et d'aimer" selon l'affirmation de Romain Rolland, l'ami et le protecteur, Istrati, écrivain autodidacte, a parcouru l'Egypte, la Syrie, Jaffa, Beyrouth, Damas et le Liban, la Grèce, l'Italie et, surtout, la France.

Ce qu'il raconte dans son français appris à l'âge de quarante ans, et parsemé de mots roumains sont les aventures de ses voyages sur les routes de l'Orient ou, plus précisément, dans un espace fabuleux et étrange où l'Europe et l'Asie se rejoignent. L'optique interculturelle montre les liens qui existent entre la construction des connaissances d'ordre linguistique aussi bien que culturel et les représentations sur les pays et les peuples. Les personnages de Panait Istrati, tout comme leur créateur, voyagent beaucoup, aiment se lier d'amitié, causer, connaître du monde.

Les relations qu'ont les hommes sont facilitées par les généralisations et les "étiquettes" construites à base des symboles. Les personnages ont la tendance d'opérer une simplification de la réalité et de créer des catégories qui comprennent des classes possédant une forte homogénéité interne, c'est-à-dire de créer des stéréotypes. Ainsi, l'identité personnelle, de groupe ou nationale se construit en opposition aux autres et l'autre est défini tenant compte de la diversité. Les deux côtés du stéréotype prennent chez Maddalena de Carlo la forme de deux catégories: le stéréotype dévalorisant - "pour ceux qui occupent un espace proche du nôtre" et le stéréotype de l'exotisme - "pour les cultures lointaines" (Carlo, 1998: 86). En fait, le stéréotype est lié à la formation de l'identité parce qu'en essayant de le démonter, de l'affronter, nous contribuons puissamment à faire de nous ce que nous sommes. Le stéréotype se présente donc, comme une hypergénéralisation (idem).

Pour observer la façon dont on peut illustrer l'interculturel à l'aide du discours littéraire, nous allons souligner les valeurs de l'identité et de l'altérité au cadre du stéréotype. Celui-ci "en tant qu'image de l'altérité est constitutif de l'identité de chacun" (Carlo, 1998: 88) L'identité est l'idée que chacun se fait de soi-même et qui comprend son histoire personnelle, les opinions concernant ses capacités, ses possibilités et ses attentes" (idem.).

2.2. Le discours littéraire de Panait Istrati permet de dégager quelques marques de l'identité et de l'altérité, selon le modèle de Maddalena de Carlo:

a) l'identité individuelle, illustrée dans la permanente préoccupation de trouver des amis:

Je prenais le bateau Arcadia d'Alexandrie d'Egypte pour aller en Grèce (...).Sur l'Arcadia, je fis la connaissance d'un Péruvien, un mulâtre à l'allure de sportsman (...) Nous devînmes rapidement amis et arrivâmes aux confidences. Je sus qu'il était professeur d'athlétisme abonné au chômage, et...pick-pocket" (Istrati, 1997: 469)

b) l'identité de groupe. Les aventuriers forment un groupe avec des marques distinctes, ils se reconnaissent facilement.

[Adrien, personnage qui donne le nom d'un cycle, le cycle d'Adrien Zograffi, rencontre à Constantza un autre personnage, qui l'attire - Sotir, un matelot](1):

"Ils sortirent ensemble pour faire, avant le coucher du soleil, une promenade dans les magnifiques bois de cette résidence royale. Adrien se sentit tout de suite attiré vers cet homme beaucoup plus âgé que lui par l'instinct d'aventure qui grouillait au fond de son être. Et le tendre aventurier qu'était Sotir ne manqua pas de reconnaître, dans le jeune homme au coeur prompt, un disciple d'une égale tendresse. Sotir respirait dans toute sa personne cet air d'altitude que dégagent ces grands groupes joyeux qui descendent de la montagne un dimanche soir et à qui la terre sert de patrie, et dont les départs et les arrivées sont la principale nourriture" (Istrati, 1997: 484)

Une autre scène se passe dans la boutique de kir Nicolas où Adrien voit un homme habillé en loques, lisant un livre.

"Le livre était un ouvrage français illustré: Jack, d'Alphonse Daudet; et sur l'épaule du lecteur Adrien vit en même temps une autre illustration, bien plus éclatante: un gros pou qui marchait en se dandinant comme un canard bien nourri..." (Istrati, 1997: 143)

Les deux font connaissance.C'est kir Nicolas, pâtissier grec, celui qui fait les présentations. De son discours, l'on dégage l'idée que l'identité est repérable de l'extérieur, elle est visible, perceptible. Kir Nicolas s'adresse à Adrien:

"Il ne sait pas le roumain, Adriani. Mais il connaît bien la langue de ton père: parle-lui en grec. Et voilà un avec qui tu t'entendras sûrement; il doit être de ta race" (Istrati, 1997: 143)

Puis, kir Nicolas s'adresse à Mikhaïl:

"- Tiens, Mikhaïl: le voici, le jeune homme qui se nourrit de rêves, et dont je te parlais ces jours derniers" (Istrati, 1997: 143)

Kir Nicolas avait donc remarqué les ressemblances de ces jeunes hommes.

c) l'identité nationale - on la garde même si on est loin de sa patrie.

[Simon Herdan est un juif de Roumanie qui vit à Alexandrie. Adrien s'arrête comme par hasard devant sa boutique]:

"[Simon]n'y tient plus et m'interroge brusquement, en arabe, je lui réponds en grec:

"- Je ne vous comprends pas! N'êtes-vous pas Roumain ? (...)
- Et en cette qualité, je t'invite à un narguilé, si cela ne te vexe pas! (...) Je suis resté Roumain, de tout coeur et de tout mon estomac. Je sais préparer nos saucisses caltabosh, nos muraturi, notre incomparable choucroute, nos piments farcis(...)
A mesure qu'il parlait, ses yeux se mouillaient de larmes, son visage s'embrassait, sa voix s'étranglait"
(Istrati, 1997: 448)

Ils sont devenus amis: Adrien - roumain d'origine grecque et Simon - juif de Roumanie.

L'oeuvre d'Istrati nous propose l'image de l'altérité sous plusieurs aspects:

a) l'exotisme, qui amplifie l'intensité d'une sensation, transforme les goûts et souligne les différences. Chercher les aspects exotiques signifie connaître quelque chose qui n'est pas soi-même.

[Sur le territoire libanais - une conversation entre Adrien et Klein, juif de Roumanie. Klein demande à Adrien ]

"-Vous aimez tellement ce pays ? (...)
-Oui...Je sors des steppes du Baragan, et ce que je vois ici me captive. Je voudrais avoir une baraque à moi, là-bas dans cette baie solitaire, verdoyante, y vivre comme un sauvage"
(Istrati, 1984: 421)

b) l'aliénation, sentiment opposé à l'exotisme, né dans le contact avec l'altérité:

"En arrivant à Beyrouth, nous nous sentions si pauvres, si loin de notre pays, si perdus dans cette Turquie asiatique, que nous étions capables de fraterniser avec le diable même" (Istrati, 1984: 412)

c) l'altérité peut aussi être acceptée avec sérénité même si l'on ne la comprend pas toute. Il y a même une réaction personnelle, on imite:

"dans une de ces courses, nous avons été surpris par une bonne pluie, événement très rare au Caire. Alors, j'ai vu des fillettes arabes, dansant sous l'averse, battant des mains et chantant, à peu, près ainsi:
Nàtara! nàtara! ya nàtara!
Roueh, roueh, fit bett okhth!
J'ignore ce que cela veut dire. Mais les enfants étaient joyeux et nous les avons imités, en sautant en l'air, encore plus haut qu'eux, ce qui les a fait rire aux larmes"(Istrati, 1984:395)

Ce dernier exemple souligne aussi l'idée d'interaction dans l'interculturel: les fillettes constatent l'élément étranger et réagissent en riant aux larmes. L'altérité est cette fois-ci percée de deux perspectives: de l'étranger par rapport à l'autochtone, et de celui-ci par rapport à l'étranger.

 

3.0. En guise de conclusion

Pourquoi la communication littéraire est-elle utilisée pour illustrer l'interculturel ?

Premièrement, parce que le discours littéraire implique la polysémie et ensuite parce qu'il représente des situations conflictuelles, contradictoires, inattendues et qui se prêtent à des lectures multiples. Grâce à ces exemples, nous pouvons constater que le discours littéraire permet des interprétations diverses.

Comme conséquence de l'existence du stéréotype, du préjugé, etc., les linguistes constatent le rôle des mécanismes de construction de l'identité ou de l'altérité qui devrait amener à un sentiment de sympathie envers des peuples et des valeurs qui diffèrent de celles de la collectivité d'origine.

© Cecilia Condei (Université de Craiova, Roumanie)


CITES

(1) les crochets sont de nous, leur rôle est d'expliquer là où le texte a été raccourci.


BIBLIOGRAPHIE ET TEXTES DE RÉFÉRENCE

Abdallah-Pretceille, Martine, Quelle école pour quelle intégration ? , Hachette, Paris, 1992;

Amossy, Ruth, Les Idées reçues. Sémiologie du stéréotype, Nathan, Paris, 1991;

Amossy, Ruth, & Anne Herchberg-Pierrot, Stéréotype et clichés, langue, discours, société, Nathan, Paris, 2000;

Amossy, Ruth & Elisheva Rosen, Les discours du cliché, éd. SEDES, Paris, 1982;

De Carlo, Maddalena, L'interculturel, CLE International, Paris, 1998;

Dufays, Jean-Louis, Stéréotype et lecture, Liège, Mardaga, 1994;

Ficher, Gustave-Nicolas, Les Concepts fondamentaux de la psychologie sociale, Dunod, 1996;

Istrati, Panait, La jeunesse d'Adrien Zograffi: Codine. Mikhaïl. Mes départs. Le pêcheur d'éponge, Gallimard, Paris, 1997;

Istrati, Panait, Vie d'Adrien Zograffi. La maison Thüringer. Le bureau de placement. Méditerranée (Lever du soleil). Méditerranée (Coucher du soleil) , Gallimard, Paris, 1984;

Morfaux, Louis-Marie, Stéréotype, Vocabulaire de la philosophie et des sciences humaines, A. Colin, Paris, 1980;

Porcher, Louis, & Martine Abdallah-Pretceille, Éducation et communication interculturelle, PUF, Paris, 1996;

Ricoeur, Paul, Soi-même comme un autre, Seuil, Paris, 1990;

Le Trésor de la Langue Française, Conception et réalisation informatiques:

Jacques, Dendien, www: http://atilf.inalf.fr/tlfv3.htm , Version du 10/12/2002; Dictionnaire de l'Académie française, neuvième édition, version informatisée, www: http://atilf.atilf.fr/academie9.htm


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For quotation purposes:
Cecilia Condei (Université de Craiova, Roumanie): Identité et altérité dans le discours littéraire. In: TRANS. Internet-Zeitschrift für Kulturwissenschaften. No. 15/2003. WWW: http://www.inst.at/trans/15Nr/08_4/condei15.htm

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