Carmen Dǎrǎbuş — Idéologie et culture urbaine en littérature Die Stadt Arad vor und nach der Wende

Nr. 18    Dezember 2011 TRANS: Internet-Zeitschrift für Kulturwissenschaften


Section | Sektion: Städtische Welten in Industriegebieten – Kulturwandel, (Sprach) Kommunikation, Wissensgesellschaft | Urban Worlds in Industrial Landscapes – Cultural Changes, (Linguistic) Communication, Knowledge Society

Idéologie et culture urbaine en littérature

Carmen Dǎrǎbuş (Universitatea de Nord, Baia Mare / Universitatea din Novi Sad) [BIO]

Email: c.darabus@gmail.com


 Konferenzdokumentation |  Conference publication


 

Abstract:

Ideologie und städtische Kultur in der Belletristik

Angefangen mit der zweiten Hälfte des XX.Jhs. spielt die Literatursoziologie eine immer glaubwürdigere Rolle in der Rekonstitution von Zeit und Ort – auf künstlerisch-literarische Weise dargestellt. Als Teil der Imagologie, wird sie zum Hintergrund von narrativen Ent- und Abwicklungen, welche öfters und implizit Umwandlungen der sozialen Landschaft auf unterschiedlichen Ebenen wiederspiegelt. In seinen Romanen Die Vögel und Das Wasser rekonstituiert der rumänische Schriftsteller Alexandru Ivasiuc die Welt einer Grenzstadt zur Zeit der sozialistischen (Zwangs-) Industrialisierung Rumäniens. Die Urbanisierung (Verstädterung) ist kein autonomer Prozess, sondern ein mit sozialen, ökonomischen und politischen Umwandlungen und Umwälzungen korrelierender Vorgang, wobei die Spezifik der rumänischen urbanen Kultur der Industriestadt vor allem vom politischen Faktor geprägt war. Die dieser städtischen Kultur typische Transformation sozial-beruflicher Strukturen, die Erweiterung der Beziehungs-, Wert- und Informationsauswahl, die individuelle Autonomie wie auch die Urbanisierung selbst, die dem Individuum mehr Freiheit gewähren sollte als das Dorf, sind vom politischen Faktor eingeschränkt; die Vorteile der Urbanität bezüglich der Freiheit des Individuums werden gehemmt. Die doppelte Entfremdung (Alienation), die Fragmentierung des Individuums durch die Urbanitätscharakteristika von überall und in jeder Zeit und das durch die neue politische Struktur dem Individuum aufgezwungene Doppelleben einerseits, andererseits die Überlappung ländlicher und neuer (industrie) städtischer Lebensweisen, durch ihre Akteure selbst, ersetzt rurale Sitten und Bräuche durch ideologisch auferlegten Zwang.

Dès la deuxième partie du XXe siècle, l’imagologie littéraire endosse un rôle important dans l’analyse et l’investigation des divers types de sociétés, devenant une part entière de la sociologie littéraire, ayant la dimension d’anthropologie littéraire, rôle confirmé par l’Ecole de Konstanz. Bien qu’elle soit une forme de connaissance artistique, dépourvue des critères soit-disant objectifs de la science, la littérature «met en mouvement l’appareil d’interprétation symbolique, la capacité d’association, dont les mouvements, répercussions, ondes de choc se propagent longtemps après le contact initial; elle le fait par l’utilisation évocatrice des mots et par le recours à l’histoire, aux exemples, aux cas particuliers» (Todorov, 2009: 11). En conséquence, les belles lettres sont plus capables que les autres formes de connaissance scientifique, pour évoquer le temps et l’espace, selon des typologies formées ou naissantes, par lesquelles elles coagulent et gardent des images dynamiques, presque toujours entraînées par les divers rapports du Moi avec l’Autre. En allant au-delà du simple décor en littérature grâce à Rousseau et à ses théories sur la civilisation, la ville est déjà, à l’Ouest de l’Europe, là ou la Révolution industrielle est en plein développement, un topos préféré. Seulement au XXe siècle, la ville (en plein industrialisation ou déjà industrialisée) devient discours narratif, en Europe Centrale et de l’Est. Elle est une partie importante de la configuration de l’espace, assumée et modifiée socialement, qui «définit l’identité du sujet: l’individu se recherche et se construit dans ses périples politiques, personnels, esthétiques (la ville est une signe du civisme-agora ou de l’esthétique: la ville-paysage, la ville-palimpseste ou place de la mémoire)» (Rovenţa-Frumuşani, 1999: 207), devenant forme de communication dans un espace symbolique. Les romans d’Alexandre Ivasiuc, Păsările, 1970 (Les oiseaux) et Apa, 1973 (L’eau)  – romans sociopolitiques avec des éléments historiques, reconstituent la période de l’après-guerre, d’abord une période de transition, ensuite en grande partie la période stalinienne décrite dans une ville frontière de l’Europe Centrale, située dans le nord-ouest de la Roumanie (l’auteur lui-même étant né à Sighetul Marmaţiei). Appartenant à une vieille famille des Maramureş, il a avoué son intention balzacienne de reconstituer la chronique de sa famille. Les deux romans sont, en effet, issus de cette histoire familiale, dominée par l’autorité paternelle du chef de la famille – la famille Dunca – où la famille fonctionne selon les lois tribales héritées des zones rurales, alors qu’elle s’est déplacée en zones urbaines; en changeant d’un décor à l’autre, rien n’a évolué au niveau des coutumes et le problème de la liberté individuelle est doublement inhibé: d’un côté, par la nouvelle idéologie communiste en ascension et de l’autre côté, par la mentalité archaïque de la famille, d’ailleurs bien impliquée dans la destinée de la région, comme toute grande famille de Transylvanie. Liviu Dunca, ensuite Paul Dunca, les protagonistes des deux romans, ne pourront s’échapper que superficiellement à ces deux types de pression. La ville d’Ivasiuc est ce que l’anthropologue américain E: T: Hall appelle «urban village». Les quartiers populaires, mais aussi ceux de la classe la mieux située sont organisés sur le modèle rural, les systèmes et les sous-systèmes des villes de la deuxième moitié du XXe siècle restant étranges, éloignés. Dans le roman Păsările, le paysage industriel naissant des topos urbain est un véritable actant, qui structure et restructure des énergies, en Apa, l’urbain. C’est l’arrière-plan, avec la fonction ordonnatrice, mettant en miroir, à petite échelle, au niveau d’une ville roumaine de province, l’incertitude, pour devenir, ensuite, la chronique de l’instauration d’un nouvelle ordre, imposé au plan moral par l’attitude de la population et au plan administratif par l’opérativité-modèle de ’l’envoyé du centre’» (I.  B.  Lefter, 1987: 8). Bien que la littérature roumaine ait abordé, le thème de la ville, plus tard, au XXe siècle, par rapport à la littérature européenne, en même temps, grâce à l’urbanisation d’un pourcentage plus élevéde la population, au regard des siècles précédents, la ville est analysée de façon livresque dans toutes ses nuances.

Topos urbain

Parlant sur l’étude en perspective anthropologique des communautés humaines, Tzvetan Todorov affirme: «L’anthropologie, telle qu’elle est actuellement pratiquée, n’est jamais ’générale’: elle a comme objet les sociétés particulières et leur culture» (Todorov, 2009: 7). La culture urbaine se manifeste différemment, en fonction de l’histoire parcourue des zones rurales vers les zones urbaines, le mélange des espaces étant une caractéristique de la période du début de l’urbanisation, qui peut se maintenir par une durée à charge de la résistance de l’ancienne mentalité transposée du plan rural au plan urbain, mais aussi du succès des leviers par lesquels l’urbanisation se réalise.

Le retour du personnage principal, Liviu Dunca, du roman Apa, dans la ville natale après vingt ans d’absence est balzacien; l’expression du paysage construit est typique des villes de la Mitteleuropa – murs de protection, froids en apparence, mais accueillants à l’intérieur. La maison, telle qu’il s’en souvient, était «construite sous la forme de winkle [coude], le jardin bien protégé contre les regards indiscrets de l’extérieur, l’entrée pratiquée par une sorte de voûte, où les carrosses roulaient lourdement, et dès la sortie de son obscurité, […] s’ouvrait, la perspective de la cour ornée avec des brillants arbustes de Buxus, des massifs fleuris circulaires avec des nains égarés ci et là, de grands rosiers et des bosquets de lilas. La richesse végétale, confrontée à la froideur du bâtiment et à l’obscurité de la voûte produisaient un effet de contraste trouvé il y a bien longtemps par le créateur des maisons bourgeoises du siècle passé. De telles maisons se trouvaient sur quelques rues de chaque ville de Transylvanie, de Hongrie, de Bohême, de Styrie, de Carinthie et de Carniola, en Autriche et au Palatinat, ce qui justifie pleinement le nom de Mittel-Europe, pas à l’Ouest, et certainement pas à l’Est» (Ivasiuc, 1977: 11). Un espace géoculturel est caractérisé par un élément unitaire de civilisation – l’architecture, place où s’était développé une bourgeoisie prospère, active, qui a facilité le développement urbain, une classe sociale moyenne, en position médiane entrela main-d’œuvre rurale, puis prolétaire et le capitalisme de l’aristocratie. La maison fait partie de l’espace proxémique (cf. E. T. Hall) et c’est une conquête urbaine définitive par l’insertion de l’humain dans un espace naturel. La maison de son souvenirne se chevauche pas avec celle de la réalité actuelle; la dégradation, le manqued’intérêt pour l’esthétique sont l’expression du monde contemporain, instauré immédiatement après la deuxième guerre mondiale, quand, dans le paysage construit, le fonctionnel s’est substitué à la préoccupation pour l’esthétique, mais les vieux bâtiments, construits selon des critères différents, ont subi les mêmes malheureuses transformations: «La lourde porte de la maison s’ouvrit, la cour n’avait plus les mêmes fleurs et dans sa longueur se prélassait une corde avec des vêtements» (Ibidem, p. 12). L’oncle retrouvé, Andreï, n’est plus que l’ombre de la grandeur familiale, il essaie d’imiter le vieux Dunca, le chef du clan, mais il n’a pas la vocation d’un leader, il mime les coutumes pour son propre confort. La maison du docteur Ilea, étalon du bon goût et de la prospérité dans le passé, souffre de la même dégradation, en concordance avec les mutations sociales dissolvantes et uniformisatrices, qui ne préservent pas le vieux paysage urbain, personnalisé, en attendant son effondrement, éclipsé par les nouveaux bâtiments où le locataire ne peut pas intervenir dans la construction. Paysage urbain et idéologie, matière et concept reconstruisent en mutilant: «Une clôture était plié vers la rue […]. Une fenêtre était couverte avec des grosses planches et deux chaînes rangées en croix pour la consolidation, cela signifiait quelque chose de précis, une fermeture, une souffrance» (Ibidem, p. 57). En même temps, avec la prospérité de la nouvelle nomenclature politique et administrative, l’austérité initiale se transforme dans un nouveau type de bourgeoisie imitant celle qui vient juste d’être annihilée. Au fur et à mesure, Margareta Vinea, la fille du docteur Ilea, le directeur de l’hôpital, se sent bien dans sa nouvelle maison; à côté de son mari, Dumitru Vinea, le directeur général d’une grande usine locale, comme dans son ancienne maison, remplie de meubles et des tapisprécieux, de lourde argenterie, de tableaux – dans le même espace urbain, mais dans un autre temps socio-historique. Elle prolonge doucement un certain type d’existence urbaine, familière, mais son mari vit chaque jour la tension de l’adaptation – échouée – dans l’espace urbain. Il y a, au niveau des vieilles et des nouvelles élites, une certaine continuité concernant les aspirations urbanistiques et urbaines; alors que les maisons pauvres, situées à la périphérie des villes ne changent d’époque politique. Les fractures sociales y demeurent, mais autrement exprimées.

Le logement de Victoria Popa, la directrice adjointe de l’usine, est représentatif des aspirations de la nouvelle population urbaine, mais pour elle aussi, il synthétise les étapes de son évolution; dans le petit appartement, situé dans un nouvel immeuble «entrent en collision trois influences non harmonieuses qui reflètent la vie et l’évolution de Victorita. Une couverture qui s’étendait du mur à un divan, rayée en rouge et jaune vif ainsi qu’unmince et grumeleux tapis parlaient sur l’origine deVictoriţa, issue d’un quartier populaire de la périphérie, où les maisons gardent encore les traces du village, avec un rangement différent, une autre disposition des objets, plus nombreux et trop ornés» (Ibidem, p. 159). La deuxième influence était celle des meubles standardisés, «typiquement conlemn(1), comme on peut voir dans les magasins de meubles pour les logements-modèle” (Ibidem, p. 161), à côté d’une imitation de tapis oriental. De son ancien mariage avec un ingénieur plus âgé appartenant à l’ancien régime politique, spécialiste respecté, il en est resté une élégante commode «en bois jaunâtre patiné à cause de la l’ancienneté, avec inserts en métal» (Ibidem, p. 162) et un fauteuil à bascule. A grande échelle, l’intérieur de son logement est représentatif pour les topos urbain – le macro-social se reflète dans le micro-social. Le petit nombre de quartiers de «notables», comme l’auteur classifie l’ancienne population bien située, présentent des éléments de solide paysage urbanistique, élégant, authentique, maintenant avalés par les nouveaux districts prolétariens normalisés, dont l’espace prévu est minimal et où on remplace totalement l’esthétique par le fonctionnel. A côté de ceux-ci, divers prolongements et métamorphoses du rural créent un type spécial de topos urbain, caractéristique des villes industrielles qui ont connu une rapide extension, d’où résulte une sorte d’acculturation qui va s’amplifier et se diversifier, mais pas jusqu’à la destruction de la trame conservatrice. Le quartier où vit la famille d’une victime de l’accident survenu à l’usine, Dandu, est spécifique par une sémantique générale basée sur la répétitivité dans toutes ses articulations, à la fois matériellement, urbanistiquement et spirituellement: «L’adresse cherchée se trouvait dans l’un des quartiers, avec de nouveaux immeubles, pas loin de l’usine, où il est difficile de se débrouiller seul sans demander à chaque pas, à cause de rues sans noms, d’immeubles avec nombres et chiffres, tous semblables, où tu es destiné à tourner en rond, t’égarer, frapper aux portes étrangères et semblables» (Ibidem, p. 197)  – dans un ordre apparent générateur de chaos à cause du manque d’individualisation.

La nouvelle ville des années 1945–1946 était le reflet d’une des plus profondes crises morales, de l’annihilation des anciennes valeurs, un espace en dérive, parce que «le même signifiant spatial a des lectures différentes en cultures différentes» (Rovenţa-Frumuşani, 1999: 219). Dans le romanApa, Ion Lumei, surnommé le Nain, prend en possession l’ancienne maison, maintenant délabrée, du baron Grödl, vendue par sa fille revenue d’Auschwitz, en se souvenant de la manière dont le baron avait fait sa fortune et avait acheté le titre nobiliaire de façon douteuse. Son nouveau statut était auréolé du lustre et du goût pour le luxe de sa jeune femme «se développant après la dure lutte pour l’accaparation des forêts et du sous-sol du ce coin de l’Empire» (Ivasiuc, 1987: 42); le geste du contrebandier de s’établir dans la maison du baron s’inscrit dans une continuité où il devient le baron des nouveaux temps modernes et un symbole des changements. La préférence pour un certain type d’ameublement caractérise les époques et les classes sociales; le cultiver d’une manière ou d’une autre signifie l’appropriation d’un certain type d’identité: une suite de salons et de parloirs avec des murs tapissés, du matériel en métal, lustres et lampes en bronze, lourdes poignées de portes en bronze, statuettes en métal ornant les coins des chambres, des représentations de chevaliers en bronze, chinois ou japonais, sages personnages en métal avec un visage grossier et fruste. Tonnes de métal partout, dont la bourgeoisie en pleine ascension raffolait, tout comme les anciens Grecs aimaient le marbre, le métal étant destiné à indiquer, sans subtilités et sans artifices, l’origine de ces fortunes, la grande civilisation du métal se déchaînant grâce la bourgeoisie» (Ivasiuc, 1987: 43). La petite ville frontière change son identité temporairement avec les quelques milliers d’anciens prisonniers qui cherchent le chemin du retour à la maison ou à donner un sens à leur vie, tout en faisant partie, toutefois, du paysage de la ville. Grâce à eux, «Dunca apprenait dès sa jeunesse que le monde est très varié et très peu ordonné et que la valeur des choses n’est pas absolue» (Ivasiuc, 1987: 95). L’ancien marché de la ville devient un bazar, où on entend parler le roumain, l’allemand, le hongrois, l’ukrainien, l’italien. La ville est le visage du mélange rural et urbain, un centre où les fonctionnaires et les artisans côtoient les paysans avec leurs besaces, circulant en traîneaux à chevaux, les voitures étant très rares. Il y a une sorte de continuité des topos d’avant-guerre et l’après-guerre: «Dans le portail de la cour Kahan, où avant la guerre les Juifs galiciens vêtus de coiffes et manteaux orientaux, longs et larges, manipulaient sur des tables simples, grossières, en bois de sapin, des piles de livres sterling, des couronnes tchèques, dollars et guldens hollandais, comme dans une banque lombarde du XVe siècle, surveillant du coin de l’œil l’apparition du premier chevalier menaçant d’enlever l’or à la pointe de l’épée. C’était l’héritier de ces gens, monsieur Vogel Armin. Il n’avait plus le manteau oriental, ni la calotte noire […]. Habillé avec une courte veste en cuir, des bottes rouges bürger, comme tous les gens actifs, prospères et confiants, il serrait entre ses dents une authentique courte pipe droite et anglaise. Il était un homme d’affaire occidental, disponible à tout moment, il pouvait visiter ses entreprises, habillé en costume de superviseur de travaux […] puis changer ses vêtements par un élégant smoking et avec la même confiance, entrer dans un club select» (Ibidem, p. 133). Agent du changement et de la modernisationla plupart du temps, le descendant de ses ancêtres cohabite comme il y a des siècles, avec les autres ethnies dans la petite ville frontière. A côté de la synagogue, les églises orthodoxes et catholiques, les lycées laïques et confessionnels (le lycée protestant) – reconstituent, partiellement, l’histoire: «l’assimilation du chronotop historique réel en littérature s’est passé d’une manière compliquée et intermittente: seulement quelques aspects du chronotop ont été valorisés, accessibles dans des conditions historiques données, et quelques aspects peu nombreux de la réflexion artistique du chronotop réel ont été élaborés» (Bahtin, 1982: 295), parce que la littérature est une forme personnalisée, fragmentaire – donc plus vive – de la recomposition et de la préservation d’un certain temps et d’un certain lieu. Le siège du Parti Communiste Roumain se trouvait dans l’ancienne maison d’un pharmacien réfugié en Allemagne. Il représentait la période de prospérité entre deux-guerres de la ville «avec ses petites et coquettes villas, […] couvertes de tuiles rouges, ses tourelles et jardins soignés séparés par des clôtures en fer forgé avec de hauts et vifs portails» (Ivasiuc, 1987: 153) ; à côté de ces quartiers privilégiés peu nombreux, les maisonnettes rustiques, éclaircies par les lampes à gaz, parsemées partout en zones non- électrifiées, comme dans la majorité de la périphérie. Les restes du mobilier gardé – un haut buffet, une table massive, du papier peint fleuri, recouvert ici et là avec une toile rouge – étaient mélangés avec de nouveaux bureaux et de nouvelles chaises, laides, mais fonctionnelles, un intérieur symbolique du paysage socio-humain de l’époque. Au niveau symbolique et aussi fonctionnel, le changement du nom des rues: exemple, la rue du Vent, devenue, la Reine Marie, puis, pendant la période 1940–44, sous l’occupation horthyste(2) «Hitler Adolf utca», ensuite de nouveau la Reine Marie, après, elle va s’appeler Maréchal Tolbuhin et enfin un peu plus tard «8 Mai», la rue est bordée par des acacias à couronne ronde, avec des solides maisons bourgeoises, bâties au siècle passé [XXe] par la ’gentry’(3) , financées après 1918 par des avocats, des médecins et des officiers supérieurs roumains» (Ibidem, p. 272). Empires, histoires, époques ont métamorphosé la petite ville, plutôt au niveau superficiel et matériel et bien moins au niveau de la mentalité.

L’espace urbain impose une nouvelle philosophie de l’histoire, conditionnée par le dynamisme: «La ville est un espace qui a la vocation de la distribution et du transfert de sens et de valeurs, grâce à un échange continu. L’individu, la société et l’histoire, pôles corrélatifs, forment […] un système déterministe» (Prus, 2009: 78) d’où des résultats différents, en fonction de la nature des facteurs du système.

Paysage industriel

En Occident, la société d’après guerre traduit, par la littérature, les dislocations produites par les conséquences de la guerre. En Roumanie, la situation générale européenne postérieure à la guerre se complique, avec au même moment un nouveau type d’idéologie, dû à l’instauration du communisme et à l’introduction de l’industrialisation accélérée, imposée souvent de force par le désir de récupérer les «handicaps» d’une société fortement ruralisée. L’industrialisation est étroitement liée avec l’idée de modernité, qui opère «dans un champ de tension fixé entre tradition et innovation, préservation et renouvellement. Le succès de la modernité se fonde sur le fait qu’il se trouve sous le signe de la métamorphose. La modernité s’associe avec l’époque des transformations fondamentales, qui suppose un changement de paradigme dans les domaines des activités spirituelles et matérielles» (Prus, 2009: 76). Devenue un nouveau mythe urbain, l’industrialisation accélère les multiples projections du moi, le fragmentant, parce que lesnouveaux impératifs du système industriel génèrent la polyphonie.

Un micro paysage industriel – comme celui d’une fabrique, d’une usine – se fonde sur le mythe du pouvoir, créé au carrefour entre l’élément politique et l’élément professionnel-administratif; les leviers de ces facteurs sont utilisés comme moyens de répression qui se soumettent à la volonté d’un fort leader. Le directeur Vinea est un esprit tutélaire, de nature patriarcale, qui transfère ses compétences de la tribu familiale dans l’espace public: «Pendant dix ans, depuis je conduis l’usine, tous, mais absolument tous, ont passé par mes mains»… Il les avait choisis, ils lui sont redevables, ils se proposent de conspirer contre le rival révolté, Domide «dans le bureau [politique], comme au conseil des ministres (Ivasiuc, 1977: 95–96)». Il se considère comme l’unique émetteur d’informations, vers tous les types d’autorité hiérarchique supérieure; l’urbain industrialisé répète ainsi la structure archaïque-tribale, où le directeur Vinea (surnommé ‘le vieux’ dans l’usine à cause de son expérience et son ancienneté, dès la fondation) et le vieil avocat Dunca se superposent comme l’archétype mental-comportemental dans le même espace, en segments temporels successifs; pour lui, le monde était «une pyramide, où tout était soumis à ce principe d’organisation. Ce que se trouvaità la hauteur devait se retrouver en bas. Un atelier répétait l’usine, l’usine répétait, elle-même, d’autres structures supérieures, jusqu’en haut» (Ivasiuc, 1977: 97). La littérature, ayant comme canevas le chronotope, reçoit les images des transformations sociales où les individus changent, généralement, leur comportement social au niveau formel, déterminé par un certain type de paysage social: «Le chronotope, comme une catégorie de la forme et du contenu, détermine (largement) l’image de l’homme dans la littérature; cette image est toujours essentiellement chronotopique» (Bahtin, 1982: 295). Pour Vinea, «la direction d’une collectivité, soit-elle industrielle, était intimement liée, par des milliers de détails, au pouvoir de l’homme sur la femme et sur la famille entière» (Ibidem, p. 192), trahissant ainsi une mentalité incapable de faire la différence entre espace public et espace privé; attitude, tout le temps dictée par la peur de la fragmentation au cas où la société serait forcée de renoncer aux coutumes familières, et de transférer du pouvoir à la société industrielle pour un certain espace physique et temporel.

Le nucléé tribal répétitif alterne avec son homologue militaire: «Il était entouré d’un respect spécial, presque militaire et plusieurs fois il imaginait l’usine comme une unité militaire» (Ivasiuc, 1977: 112), attitude qui lui donne une sécurité intérieure et extérieure par rapport avec les gens et les nouvelles machines industrielles. Le micro-univers industriel est adouci; dans la cour de l’administration un petit parc est aménagé «à fleurs plantées en rond, rouges et simples, rustiques, situées au milieu du gazon, arrosées par un arroseur à chasse d’eau rotatif […]. Une couple d’ingénieurset trois contremaîtres, habillés en salopettes bleues et propres pour les contremaîtres et en blouses grises pour les ingénieurs s’arrêtèrent et interrompirent leurs discussions. Quand il passa près d’eux, il fut salué en chœur, avec déférence,  avec la même tonalité pour les contremaîtres que pour les ingénieurs […]. La servilité portait le masque d’un simplisme fort et précis, avec des rapports bien définis» (Ibidem, p. 112-113). La discipline militaire doit remplacer la qualification professionnelle précaire, parce que la tradition du prolétariat n’est pas ancienne dans un tel espace, surtout agrarien, où le travailleur agricole est devenu rapidement un ouvrier industriel. L’ingénieur Petrescu ose faire des observations concernant la qualification précaire de quelques personnes qui manipulent deséquipements coûteux, mais il est rapidement admonesté par le directeur, et l’observation minimalisée, prouvant qu’il sait tout ce qui se passe dans les sections, pas tant par préoccupation professionnelle que pour se reconfirmer, toujours, en qualité de despote moderne. Ses recommandations étaient banales, son langage stéréotypé parlait économie, discipline, travail, surveillance attentive, laissant aux spécialistes les conseils de sécurité, que lui-même n’écoutait pas toujours, fait qui va provoquer, à un moment donné, un grave accident de travail, qui va signifier la fin de sa carrière. Sa destinée était étroitement liée de celle de l’usine, construite sous ses yeux: «Ensuite il montât les grands escaliers (il avait demandé à l’ingénieur de projet, quand le nouveau bâtiment de l’administration s’était construit, d’avoir un style moderne, lumineux, avec beaucoup de fenêtres, aspect typique de l’architecture des années soixante, avec ses spacieux escaliers, larges et imposants) et il entrât sous le portail, ouvert par le concierge à l’aspect de vieux sous-officier, ‘le père de la compagnie’, qui le saluait dans la plus parfaite position verticale. […] l’usine ne fonctionnait pas d’une mauvaise manière sous sa direction, c’est vrai, recevant d’immenses investissements, elle s’était agrandie et tous, sans exception, étaient fiers» (Ibidem, p. 114–115). La préoccupation des années ’60-70’ pour les investissements industriels, dans toutes les régions du pays, a créé une nouvelle classe sociale, composée rapidement et déplacée de l’espace rural vers l’espace urbain, permettant, pendant au moins une génération, la pratique des coutumes rurales, en ce que E.  T. Hall appelle «the urban village» – le village urbain. L’univers des usines et des fabriques était conçu comme un système devases communicants, où si on ne respectait pas les termes d’un contrat, on provoquait le ralentissement de l’activité des autres secteurs ou d’autres fabriques.

L’évolution de l’industrialisation constitue le moyen de lutte pour le pouvoir: la nécessité de l’introduction des nouvelles techniques, y compris le jargon, est observé par l’ingénieur Mateescu: «Ne te laisses pas tromper par la terminologie technique entendue», saisissant la capacité de manipulation de Domide par le langage de spécialité: «Quand Domide avait parlé, non pas en utilisant des phrases connues, mais des mots rangés d’une certaine manière, choquante, inhabituelle» (Ibidem, p. 141), il réussit à transformer l’assemblée en une masse soumise pour le vote. Le même vieux camarade de la période estudiantine le met face à face avec lui-même, après le moment de la contestation de sa position en usine par l’élection de Domide, comme secrétaire du bureau de parti, et non pas son homme fidèle: «Tu ne sais pas comment conduire une usine sinon que par une stricte discipline» (Ibidem, p. 145), mais ses arguments sont représentatifs pour une génération entière et semblables pour les autres» (Ibidem, p. 145). La hiérarchie dont il faisait partie, lui donne le sentiment de l’ordre, de la sécurité, du sentiment que le monde bouleversé par la révolution se consolide. Les négations et les contestations le renvoient dans le chaos du début, dans des moments vécus et maintenant interprétés différemment: des spécialistes de divers domaines d’activité, bons techniciens, sont brutalement marginalisés pour le manque d’enthousiasme avec lequel ils reçoivent le nouveau régime politique; dans ce temps-là «pour Vinea ils étaient quelques inconnus d’une autre espèce et il avait admiré le mot décisif du délégué du centre» (Ibidem, p. 146) ; maintenant, parce qu’il se sentait menacé, il comprend autrement les moments de l’histoire. La nouvelle sur l’accident de l’usine (il a ignoré les avertissements des spécialistes concernant la nécessité de remplacer une chaudière trop usée) confirme, aux autres, la nécessité des changements. Pour quelques temps, Vinea refuse de reconnaître ses décisions erronées, subordonnant le personnel aux machines industrielles et aux exigences de parti: «L’une des grandes chaudières avait explosé dans une section-clef de l’usine. C’est vraie, elle était usée et demandait beaucoup de réparations, mais le plan était strict, que faire !» (Ibidem, p. 151) les coutumes militaires sont ignorées pour la première fois, le choc de la mort humanise l’espace, par l’invasion des ouvriers à salopettes sales dans son bureau, des fourgons sanitaires, des blouses blanches et des pompiers dans l’espace de l’usine. L’humanisation continue par Domide, qui «n’était pas obsédé de technique» comme il semblait l’être dans ses discours, mais «de personnes penchées sur leurs outils, de leur cris concentrés pendant les charges» (Ibidem, p. 321), poétisant un âpre paysage qui se propose le faire sortir de la routine. La relation avec l’usine est différente par rapport à celle que Dumitru Vinea pratiquait. Durant sa première année d’étude, la rencontre avec une grande usine lui provoque des frissons, son corps tremble à la vue de la première image composée par une grue géante et le conducteur de la grue en suspension dans l’air, tout prend des proportions mythiques: «Le conducteur de la grue, dans sa cabine, était un simple point suspendu en l’air, accaparé sur ma rétine par l’immense et lourde pièce, un corps insignifiant par rapport à la grande masse en métal» (Ibidem, p. 326). Les outillages, l’épaisse matérialité du paysage industriel le conquit et mit à l’ombre tous les cours théoriques avec lesquels il avait fait son initiation. L’un (Vinea) maîtrise l’usine dès le premier jour et l’autre (Domide) se laisse charmer dès la première journée, charme qui entraina une étrange passion pour les autres qui ont l’intuition du danger, conséquence de leur implication passionnelle, en dehors de la simple affectivité pour leur place de travail. Au dehors de nuances, Vinea et Domide sont attirés, capturés du domaine de la vie privée vers la vie professionnelle, devenant, subtilement, les outils d’un espace qu’ils ne maîtrisent plus, mais par lequel ils sont manipulés, devenant ses serviteurs.

Comme dans le réalisme et le naturalisme littéraire du XIXe siècle, le topos matériel est devenu un véritable personnage humain, capable d’interactions aussi bien avec les individus, qu’avec les assemblées complexes, les usines et les fabriques; dans la littérature roumaine du XXe siècle, ils deviennent des méga-personnages où l’être humain perd son indépendance, son individualité dans le réseau de dépendances qui lient le facteur professionnel et le facteur politique, se transformant en cycle permutable d’un système aliénant. Pourtant, en dépit de l’apparence moderne, les coutumes tribales se gardent aussi à l’intérieur de l’usine, répétant les même modèles anthropologiques, transposés dans un autre décor: l’ingénieur Dumitru Vinea est le directeur de l’usine d’une petite ville frontière, agissant dans le nouveau paysage industriel du milieu du XXe siècle avec la même autorité de chef de clan que le vieil avocat Dunca et ses ancêtres; l’imaginaire tribal et l’imaginaire militaire se rencontrent au niveau de la même matrice paternaliste, centriste dont ils conçoivent le monde; depuis toujours «les gens sont déchirés entre leur aspiration de pouvoir illimité, non partagé avec les autres, et leur incapacité de se dispenser de la société, résultat de leur faiblesse» (Todorov, 2009: 18). La révolte des plus jeunes membres de la famille Dunca par rapport à l’autorité patriarcale est la même que la révolte des jeunes ouvriers, agitateurs du parti et ingénieurs contre Vinea, seulement l’action instrumentaire est différente – quelques éléments insignifiants, centrifuges, dans un monde essentiellement centripète et resté ainsi jusqu’au début du XXIe siècle.

Le roman Apaapporte la suggestion de la brutalité du début de l’industrialisation dans le XIXe siècle, quand «s’était élargi le réseau de chemin de fer et quand avait commencé le nouveau négoce destructeur de forêts, de minéraux et de sel, alors la vie de la région entière s’était changé» parce que le baron Grödl «avait construit sa villa, après il avait construit la gare, le moulin à sel, la fabrique de bois de charpente et de meubles, la fabrique de brosses» (Ivasiuc, 1987: 41). Ayant un titre nobiliaire récemment acheté, il ne se détache pas de son ancien espace, mais il met sa maison à côté de celles appartenant aux petits artisans (tonneliers, charretiers), comme un prolongement, à l’échelle supérieure, d’une situation sociale matériellement symbolisée. La gare est un monde en soi-même, avec trafiquants, ouvriers de gauche, héros ou lâches, témoins incommodes, travailleurs des chemins de fer à l’ancienne, mais adeptes du nouvel ordre aussi: «Chaque monde, quelque soit son importance, comme le monde de cette gare située à la marge du pays, a ses sages, ses fous, ses philosophes, ses juristes, ses dirigeants» (Ibidem, p. 109), un monde qui reproduit à une certaine échelle les structures sociales naissantes. Le veilleur Ioan Leordean, qui va finir stupidement, tué par les acolytes du Nain, n’a jamais quitté la région, mais il se sent appartenant à la famille des travailleurs des chemins de fer et la casquette avec les insignes C. F. R.(4) établissait sa place dans le monde. Un paysage industriel grand ou petit crée des familles spéciales, qui s’identifient en grande mesure avec la réalité professionnelle, les directeurs comme les plus humbles travailleurs. L’occasion de devenir veilleur à la gare «l’avait aidé pas seulement gagner sa vie, mais à devenir travailleur des chemins de fer, membre d’une grande armée industrielle et trouver assez de choses intéressantes auxquelles il avait assez de temps pendant ses patrouilles de nuit, pour méditer et s’étonner» (Ibidem, p. 113). Mécaniciens, pompiers, ouvriers qui inscrivaient les wagons, chefs de train, personnel de maintenance des lignes de fer, partagent les petits repas composés d’haricots, de lard, de pain – un petit monde solidaire, envahi par la bande du Nain. Les âpres discours adressés aux autorités par ses collègues impliqués politiquement lui donnent de la fierté, grâce à un transfert d’autorité, il se sent protégé. Le rôle de la famille industrielle, est organisé de la même manière, suivant des structures tribales et aussi de défense, à condition que chacun sache respecter sa place et les coutumes. Et il ne désirait pas être autre chose que veilleur. Bien qu’il ait un rôle obscur dans la communauté de la gare, sa mort va déclencher l’écroulement d’une structure typique de la période d’inflation d’après-guerre, fondée sur le crime, la contrebande et la complicité à tous les niveaux.

Catégories sociales des topos urbains; formes de communication

Au niveau de la construction du personnage, il est le produit de l’histoire de la société en transformation, portant les marques du passé et du présent dans la création d’un nouveau pattern, phénomène contorsionné, comme n’importe quelle création d’une nouvelle marque, formée au carrefour des tremblements politiques et idéologiques qui composent l’histoire: «pendant l’interaction entrele moi et l’autre, en même temps se noue quelque chose de plus qu’une relation; à l’échange présent s’ajoutent les échanges antérieurs, vieux ou récents, et les possibles échanges prochains – le tout reflété correctement dans le psychisme de la personne qui aspire à la reconnaissance. Ces rencontres antérieures et postérieures, que les autres aussi ont vécues, d’une certaine manière au conditionnel-optatif ou en interrogation, viennent pour orchestrer et pour transformer l’action de surface» (Todorov, 2009: 153). Le niveau des transformations individuelles se transfère à celui des transformations collectives, par un processus d’homogénéisation qui tire à la surface l’acceptation des nouveaux paramètres et sédimente les anciens, sans les annuler réellement. Dans les deux romans les paramètres se compliquent par la forte insertion du politique, surtout dans le roman sociopolitique Păsările: «la place de la politique dans l’espace communicationnel est variable, en fonction de situations nationales ou de périodes historiques dont nous désirons les explorer» (Pedler, 2001: 149). L’espace détermine l’identité du sujet, maintenant il existe une véritable science, la proxémique, qui examine les modalités d’insertion de l’homme (en littérature – du personnage) dans l’espace. Dans les sociétés occidentales, la classe sociale la plus touchée par les changements d’après-guerre a été le prolétariat, les ouvriers étant «les récepteurs les plus sensibles aux perturbations économiques et aux déséquilibres sociaux» (de Lauwe, 1956: 4), alors que dans la société où le communisme était en train de s’instaurer, le bouleversement social a été absolu, le prolétariat naissant plus récemment. Au niveau microsocial, en même temps que l’industrialisation, les fonctions traditionnelles de la famille se diluent: «La désintégration correspond à un fait historique, à la fragmentation de la société en de multiples secteurs spécialisés qui ont enlevé à la famille ses fonctions antérieures. Cette évolution de la famille séculaire, issue de la division du travail dans les sociétés industrielles, ne doit pas être confondue […] avec la désorganisation qui met en jeu la cohésion spécifique de la famille en tant que groupe» (Michel, 1959: 3).

Liviu Dunca vient d’une famille qui a appartenu à la petite noblesse rurale, guerrière de Maramuresh, devenue bourgeoise (juristes depuis quelques générations), sans renoncer aux insignes aristocratiques, qui existent encore sur divers objets de la maison. A ce mélange de noblesse rurale et de bourgeoisie urbaine va s’ajouter le troisième élément, celui de «l’homme nouveau» apporté par le communisme, mais sans pouvoir se greffer sur le caractère fondamentalement honnête, mais castrateur du clan. Aviateur pendant la deuxième guerre mondiale, géologue minéralogiste ensuite, condamné, injustement, à la prison pendant le régime staliniste où tout le monde suspectait tout le monde et où l’accusation de sabotage était déjà l’un des piliers sur lesquels va s’élever la structure paranoïde du système communiste, il se confronte avec le passé pour résoudre les dilemmes du présent, dilemmes qui s’estompent, mais qui ne deviennent pas limpides d’une manière salvatrice.

Domide, au début, est un révolté, mais il attrape rapidement le goût du pouvoir, apprenant les mécanismes par lesquels il pourrait soumettre la réalité de l’usine à sa volonté, s’alliant avec Victoriţa, elle-même un produit plutôt vulgaire du mélange entre le féminisme agressif et le nouveau pattern en train de se créer, concernant l’intégration des femmes à des domaines industriels depuis longtemps inaccessibles. Les mécanismes de parti prévalent sur le professionnalisme; la vraie bataille se livre dans les bureaux de l’usine, dans le bureau du secrétaire du parti; entre la direction politique et la direction administrative-professionnelle, c’est d’habitude, une relation hostile, si le directeur ne réussit pas à imposer quelqu’un appartenant à sa coterie: «le candidat soutenu par la direction, c’est-à-dire par lui-même, n’avait pas réussi à obtenir les votes», c’est ainsi que Domide devient le nouveau secrétaire de parti à pouvoir décisionnel «et il va falloir se consulter avec lui, discuter et lui demander, il va avoir le droit et l’obligation de dire son opinion dans toutes les problèmes concernant la vie de l’usine» (Ivasiuc, 1977: 92–93). L’histoire des relations entre le directeur Vinea et Domide est l’une des plus conflictuelle; le dernier avait envoyé aux organisations supérieures hiérarchiques du parti «une analyse économique» accusatrice concernant les réalités de l’usine, rapport dont le directeur va apprendre l’existence mais dont il réussira à diminuer le menace et le chantage camouflé sous le masque d’un amicale entretien – pratiques fréquentes de ce temps, parce que se créent certaines connotations au niveau micro et macro social. Bon connaisseur de la nature humaine, le directeur sait alterner, dans un système fondé sur l’aliénation, l’alternance récompense/punition, en espérant l’attirer de son côté. L’ingénieur Mateescu, intelligent, cultivé, utilise le cynisme dans la lutte avec le système, montrant un total mépris pour la nature humaine, formé dans les limites des mécanismes stalinistes et post stalinistes: «Il ne va pas se reformé, il est une fripouille, impossible à utiliser» (Ivasiuc, 1977: 94). Une honnête collaboration semble impossible; les relations humaines, professionnelles, même affectives se fondent sur le rapport utiliser / être utilisé, rapport entre la diathèse active et passive fréquente dans une telle morphologie sociale. Mateescu voit Domide comme «un possédé», un homme qui refuse le compromis et qui poursuit ses objectifs, avec un fanatisme qui pourrait provoquer l’exclusion sociale. Le pouvoir n’est pas la communication, mais le contraire; pour ceux obsédés du pouvoir «le monde n’est qu’une place de manifestation de la solitude» (Ivasiuc, 1977: 94). Au niveau de l’articulation des relations entre individus, cela se produit dans le contexte des structures connues; un tel topos urbain ne change pas fondamentalement la nature des catégories sociales sauf au niveau individuel, accidentel, mais pas comme aspect général: «Le monde était une tribu de vieilles personnes de divers niveaux, des sages qui savaient beaucoup de choses, qui punissaient et récompensaient, sans rendre compte ‘en bas’» (Ivasiuc, 1977: 97). 

Malgré le moderne arrière-plan social, industrialisé, les relations entre les gens restent ritualisées, la curiosité est vue comme une forme de rébellion, d’imprudence et elle est marginalisée: «Les gens ne découvrent rien, mais ilssont informés, et s’ils apprennent tout seul quelque chose, cette vérité a aussi peu d’importance que des plaques de lois divines qui n’auraient pas été écrites par Dieu» (Ivasiuc, 1977: 97). La perpétuation de ces coutumes est possible aussi, grâce au fait que la dimension de la ville envisagée par Ivasiuc n’est pas grande, permettant un contrôle rigoureux de la mentalité tribale, combiné maintenant avec le contrôle politique – symbiose naturelle, sans convulsions, étant donné la ressemblance naturelle entre eux – contrôle dont on ne peut s’échapper que par la mort ou l’évasion: Ştefania, la cousine de Liviu Dunca se suicide; la mort de son oncle, Cornel, est suspectée comme un suicide, Margareta Vinea se suicide – les coutumes du clan étant transférées aux mentalités urbaines (en effet, la mentalité urbaine, elle-même, se greffe sur l’organisation tribale, où les structures de parti communiste prennent la place des structures de clan, la modernisation étant superficielle). Domide était le premier qui enfreignit les coutumes, mais il va se retrouver au même point quand il va arriver à une position privilégiée dans la «tribu» de l’usine. L’invention du vote démocratique, avec des élections à bulletins secrets est l’élément le plus bouleversant pour la conservation, de différentes manières, des structures archaïques, parce qu’il est difficile de le contrôler directement. Dans un tel système, l’aliénation ne signifie pas, s’égarer dans la pieuvre urbaine, mais d’être dans l’impossibilité de la maîtriser. Il sent que dans la maison, la véritable femme (maîtresse) au foyer est Margareta, mais il a le sentiment que Margareta, son épouse, ne lui appartient pas: «Sa maison n’était pas à lui, il habitait seulement ici. […] Maragareta n’est pas apparue dans son esprit comme une image, mais seulement comme un ressentiment, comme une impuissance presque douloureuse. Elle était étrange, jusqu’à l’impossibilité d’être représentée; or, pour lui, le manque de maîtrise était un échec» (Ivasiuc, 1977: 100). La raison du mariage avec la fille du docteur Ilea, de la petite ville de nord-ouest avait constitué une provocation pour maîtriser une personne qui semblait inaccessible et réservée, insensible à sa position sociale, mais aussi à la matérialisation d’un phantasme de sa jeunesse: celui de se marier avec une femme appartenant à une autre catégorie sociale que la sienne (modeste, rurale) et «qui sache chanter au piano» (Ibidem, p. 104) ; la confiance en soi-même et l’idée de possession sont interdépendants: «L’expérience de l’espace est un véritable passage sémiotique – sous la forme du flux ou du parcours (professionnel, touristique, deloisir) ou de l’ancrage dans le réel – sous la formedes territoires possédées (terrains, maisons; espaces publics temporairement occupés) etc.» (Rovenţa-Frumuşani, 1999: 207). La véritable maison devient l’usine, qu’il va maîtriser, vivant une fragmentation intérieure qui vient de l’incapacité à s’intégrer dans le milieu urbain authentique, au sens moderne, qui suppose un degré élevé de liberté (dans tous les sens) par rapport avec le rural: «L’usine était une part de lui-même comme de son propre corps et il était également enchanté de tous les deux» (Ivasiuc, 1977: 117). Parce que la communication est primitive, précaire, limitée au niveau des ordres et des recommandations générales, le seul coupable pour toutes les dysfonctions concernant la réalisation des plans est le chef du service administratif, qui sait que n’importe quel essai d’argumentation est inutile, il est absent de la manière d’organisation de l’usine, donc il accepte la position de «paratonnerre». La brutalité, l’intimidation sont les conditions du succès, les conseils donnés par Vinea, concernant les subordonnés, sont: «ils doivent connaître la peur et vous devez connaître leurs faiblesses» (Ibidem, p. 117). Victoria Popa, directrice adjoint de l’administration, montre un impeccable esprit d’imitation, dont l’âpreté dépasse celle du directeur, parce que l’instinct lui dit toujours ce qu’elle doit faire pour son propre bien, de sorte qu’elle paraît toujours tout faire pour le bien de la communauté industrielle qu’elle dirige. Comptant sur un réseau d’informateurs, elle sait et elle rapporte au directeur tout ce qu’il se passe dans l’usine, jouant pendant un temps, le rôle de son alter ego, mais l’écrasant sans pitié quand elle se sent humiliée. L’image qu’elle a créé d’elle-même et que les autres attendent de sa part fait d’elle unemater familias – devenant la paire, pas moins despotique, du directeur: «L’usine avait un père et une mère» (Ibidem, p. 118). Elle était un prolongement organique de l’institution, le directeur et la directrice étant incapables de se détacher d’elle, parce qu’ils avaient construit leurs identités dans l’espace public, professionnel, auquel ils ont subordonné l’espace privé, devenu artificiel, restreint: «Elle était un pilier de l’institution et l’usine pourrait difficilement être représentée sans elle, comme sa présence était une force directe, capable de fournir la production, alimenter les machines, donner les salaires aux gens et leur pain quotidien» (Ibidem, p. 118). Les complexes, bien cachés, rendaient Victoria intolérante par rapport à presque toutes les femmes, à l’exception de celles qui la flattait grossièrement et de celles avec lesquelles la nature a été dépourvue de générosité. Elle cherchait, elle provoquait les signes de soumissions, les seuls liants des relations professionnelles. La complicité érotique entre Victoria et Vinea se passe dans l’usine, en utilisant le jargon de l’espace industriel, politisé, concernant l’organisation scientifique de la production, la réduction de la bureaucratie, l’utilisation de l’espace industriel, les votes des ouvriers; des techniciens et des ingénieurs, la responsabilité de la production, rapports, fichiers, etc. –tout en ayant la même préoccupation du contrôle permanent, parce que l’invasion de ce type de politique dans l’espace professionnel n’enrichit pas le système communicationnel, mais entraîne une simplification par clichés: «la communication politique avait permis, premièrement, une nouvelle approche de l’espace public, qui n’est plus perçu comme réglementé et structuré, par divers mécanismes juridiques, mais s’élaborant d’une manière interactive, par actions conjuguées des acteurs impliqués en cet espace» (Pedler, 2001: 154). Le moment quand les gens quittent l’usine pour aller à la maison lui provoque un réel plaisir, parce que cette «immensité de casquettes et de manteaux, quittant l’usine», cet «écoulement de l’armée» (Ibidem, p. 126) lui donnait le sentiment de la force et de la possession. Pauvre et ambitieuse, comme Vinea l’était dans sa jeunesse, ils considèrent l’industrialisation de la nouvelle société comme une chance de promotion, utilisant des instruments et des mécanismes conformes à leur nature humaine.

L’ingénieur Mateescu est l’expression cynique de l’homme intelligentau-delà du contexte sociopolitique, qui exclue n’importe quelle forme de relation, à l’exception de la dominance. Si Vinea croit qu’une relation professionnelle relativement honnête est possible avec Domide, Mateescu l’exclue: «il y a la possibilité qu’il n’obéisse, ce que du point de vue du tempérament me semble impossible, et il n’a aucun intérêt parce qu’il veut te détruire pour prendre ta place (et pour dire en passant, il sera une véritable calamité) ou toi tu devrais obéir, ce que du point de vue du tempérament me semble, de nouveau, impossible, donc l’un va devoir partir» (Ibidem, p. 140). La soif de pouvoir utilise l’instrument le plus facile, perfectionné à l’extrême par le système communiste de la deuxième partie du XXe siècle – la démagogie, greffée sur des natures primitives, souvent longuement frustrées socialement.

Margareta Vinea et Liviu Dunca se soustraient, chacun à leur manière, à l’écrasement par «le nouveau monde», mais ils ne réussissent pas à vaincre à la fin de leur histoire. L’ingénieur Dunca est la victime politique des années ’50, du siècle passé. Accusé de sabotage et arrêté avec la direction technique entière d’un chantier, il se trouve sur d’autres barricades que le clan Vinea, provenant de milieux sociaux différents; en même temps que pour Dumitru Vinea, la nouvelle société et l’enthousiasme de l’industrialisation accélérée sont une opportunité qu’il sait exploiter depuis des années, pour Liviu Dunca c’est l’effort d’un début permanent, incapable de faire un compromis, mais se sauvant de l’aliénation  et de la fragmentation spirituelle. Margareta devient, pour peu de temps, l’interface des deux structures de classe; échouant dans le monde de son mari, elle ne peut se retourner vers son ancien monde que par la mort. Andreï Dunca avertit son neveu sur l’impossibilité de la rencontre des deux mondes, qui ont, certes, cessé les hostilités à champ ouvert, mais qui ne se sont pas pardonnés. Et le non-pardon devient une forme d’hygiène morale. La discussion entre Mateescu et Dunca, anciens collègues de chantier, confirme la subtile continuité des mondes, parce que sous d’autres formes, rétablissant l’autorité paternelle symbolique en n’importe quelle structure macro et microsociale, dans une famille, avec des nouveaux fondateurs, qui luttent pour qu’ils soient reconnus, enterrant «le stupide rêve égalitaire» (Ibidem, p. 267).

Dans le roman Păsările l’ombre du vieux Dunca domine, parfois discrètement, parfois brutalement dans les événements; Apacommence avec l’image de la vieille Dunca, maintenant veuve, qui ne rapporte plus les événements de sa vie à l’histoire vivante qui n’existe plus pour elle, mais elle se tourne vers un espace mental rural, sécurisant, redevenant «une vieille paysanne» (Ivasiuc, 1987: 29). Paul Dunca, suivant la tradition de la famille, étudie le droit, mais les temps agités, troublés d’après la deuxième guerre mondiale provoquent un étrange mélange des catégories sociales et des espaces; le désir de fronde vis-à-vis de l’ordre rigide de la famille, la tentation de l’argent facilement gagné, le déterminent à devenir l’avocat du Nain, le leader d’un bande de malfaiteurs, issue après la guerre dans la petite ville frontière et qui dirige le commerce du marché noir ainsi que les dangereux transports de céréales, sel et bois. Sa tenue vestimentaire traduit le statut assumé, à la limite de la loi: «une sorte de veste courte en laine, pantalons bouffants à carreaux, qui pendait sur les bottes rouges à lacets, appelées bottes bürger», les gestes, le langage, le ton de la voix deviennent grossiers, ignorant ce qu’une succession de générations avaient construit au niveau du comportement. Les catégories sociales se mélangent, la contamination se faisant d’une manière descendante. Paul Dunca était conscient de l’entrée dans un temps sociohistorique sans règles, où chacun a seulement ce qu’il arrache à l’autre; il nie l’espace de son ancienne maison avec tous ses symboles, qui deviennent «bagatelles» par rapport avec tout l’argent gagné. La maison devient, elle-même, dans ce contexte, part d’une géographie cognitive: «Les individus associent l’ambiance spatiale, les paysages, les villes et autres régions géographiques à connotations typiques, instituées récemment comme un nouveau domaine d’investigation, situé à l’interférence de la géographie avec la psychologie et l’architecture, et appelé cognitive» (Rovenţa-Frumuşani, 1999: 220) qui détermine divers types d’interaction sociale, par les instruments fournis. La majorité des personnages, y incluent les autorités politique administratives et la police représentant la transition alluvionnaire qui mélange les orientations politiques au nom du profit et Ion Lumei (le Nain) est la quintessence de cette situation, le nœud brutal où s’amasse et se trahit la partie sombre de la nature humaine. Toutefois, les seuls moments de tendresse, ils les a envers sa ville, même dans les moments où les bâtiments étaient pleins d’inscriptions qui demandaient qu’il soit puni: «Il regardait seulement la beauté de cette nouvelle ville, qu’il ne va jamais quitter, ville inconnue, bien qu’il se soit beaucoup baladé. […] En allant, il découvrait assez de choses magnifiques, la ligne courbée des rues, les hautes maisons, à toits en pente, la haute tour de l’église Réformée qui perçait le ciel bleu (Ivasiuc, 1987: 136). La menace, le pressentiment de la fin de sa domination sur la ville l’humanise et il commence à voir le côté charmant, hétéroclite de cette ville, au-delà de la réalité comme source d’exploitation.

Les activités du prolétariat ne sont plus réellement menacées; pendant la nuit, la ville est animée par les ouvriers et leurs leaders (qui vont devenir plus tard des dignitaires communistes) collant des affiches avec la faucille et le marteau – les insignes du Parti Communiste. Les confrontations entre les nouveaux leaders politiques sont arbitrées par «le centre», situation similaire avant le communisme aussi. Au niveau social, familial, professionnel, politique existent de profondes structures qui se transmettent d’une génération à l’autre. Le préfet est dans cette ville depuis 1919, comme éternel représentant «du centre» (de la capitale du pays), peu importe le parti de gouvernement. De nouveaux types d’énergie commencent à se confronter au niveau idéologique: le passionnel Mathus, prêt à armer les ouvriers révoltés, est tempéré par le prudent professeur Dăncuş; les vieux aristocrates de la région – Şuluţiu, Chindriş, Pintea, Puşcariu – sentent qu’ils perdent la bataille, que l’estafette est reprise en marche par un autre monde qui parle aussi au nom d’une collectivité, le prolétariat, changeant seulement le point fort du discours sur «le bien de la nation» par «le bien des ouvriers». Lucide, Dr. Pintea a l’intuition de ce qu’il va se passer quand le pouvoir sera dans les mains prolétaires: «Après les gens seront déchaînés, ils seront obligés de les terroriser pour qu’ils soient maîtrisés» (Ibidem, p. 336). Perçu comme «hésitant, sans réelles racines de classe» (p/ 321), Dăncuş l’intellectuel perd la bataille avec «l’envoyé du centre». Dans le discours s’insinue, déjà, l’image mythique, exemplaire de Stalin, qui «s’occupe de milliers et de dizaines de milliers de villes», discours syndicaux par Cati Langa, «l’effroi pour les petits industriels, parce que cette image avait transformé avec force les comités de fabrique» (Ibidem, p. 325), elle souligne déjà le dangereux contenu des mots «petit-bourgeois» et «intellectualiste». Le regard de l’extérieur, de l’étranger, par le fameux journaliste américain Cyrus Warner qui fait une courte visite dans la petite ville transylvaine diagnostique parfaitement la réalité «le même monde cérémonieux, fermé comme dans une dernière redoute dans ses rituels rigides, à vêtements protocolaires, dans des maisons à hauts plafonds, jouant le jeux de la paix, quand tout, autour, est troublé, quand rien n’est plus sûr» (Ibidem, p. 342), mais ayant la conscience de la nécessité d’une réforme radicale pour entrer pleinement dans le XXe siècle. Le besoin d’avoir des gens dévoués au nouveau régime politique entraîne des choix arbitraires; le nouveau préfet, Grigorescu, nomme l’ex-apprenti comme commissaire de police après une interview sommaire. Les changements se passent rapidement, un monde dominé par le Nain d’après-guerre est en train à s’éteindre, Paul Dunca se sauve en se retirant dans son ancienne maison, mais la terreur stalinienne, d’abord au niveau verbal, ensuite au niveau des faits, s’insinue dans un monde qui n’a pas eu le temps se fonder et de chercher ses valeurs.

La littérature confirme l’existence de quelques «systèmes connotatifs comme une corrélation des phénomènes linguistiques avec la morphologie sociale qu’ils pourraient l’instituer à son tour» (Greimas, 1975: 111). La ville protéiforme est, dès le XIXe siècle, pas seulement un décor de la narration de l’être humain, mais la narration en elle-même, coagulant et dispersant les énergies.

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Notes:

1 Conlemn – appellation générique de la période communiste (trouvable encore) pour les fabriques de meubles, ayant des modèles standardisés bien limités. 2 Horthyste – adjectif; Miklós Horthy de Baia Mare, chevalier de Szeged et d’ Otranto, ex-amiral, gouverneur de Hongrie entre premier mars 1920 et 15 octobre 1944. 3 Gentry – origine dans l’ancien français (genterie), noble. 4 C. F. R. – Chemins de Fer Roumai


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For quotation purposes:
Carmen Dǎrǎbuş: Idéologie et culture urbaine en littérature –
In: TRANS. Internet-Zeitschrift für Kulturwissenschaften. No. 18/2011.
WWW: http://:www.inst.at/trans/18Nr/I/darabus18.htm

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