Démocratie pluraliste et ethnie en Afrique noire

NGUEMA EZEMA SYMPHORIEN

Ecole Normale Supérieure de Libreville, Gabon

Résumé :

Cet article s’intéresse à la question ethnique dans les processus politiques démocratiques d’Afrique noire. Il revient notamment sur le fait que la question ethnique soit souvent un point d’achoppement, lors des élections, entre les différentes composantes des sociétés négro-africaines. Après avoir fait l’historique de cette situation, que l’auteur fait remonter à la colonisation et à l’incapacité des élites négro-africaines d’après les Indépendances, des pistes de réflexion sont jetées. Celles-ci concernent notamment l’introduction de la question ethnique à la fois dans le débat démocratique et dans les institutions politiques. Pour apaiser les Etats multiethniques d’Afrique noire et pour leur permettre de se concentrer sereinement sur l’essentiel c’est-à-dire sur des projets de développement permettant de sortir les populations de la misère.

Mots-clés : Afrique noire, démocratie pluraliste, culture, élections, ethnies, violences, favoritisme, tribalisme, Etats.

Introduction

La présence des références ethniques dans les processus démocratiques africains exige que l’on s’attarde un tant soit peu sur cette question ; cela, d’autant plus que dans la plupart des cas, ces références sont des sujets de crispation, puisque l’ethnie est souvent perçue, dans ces processus démocratiques, de manière négative. Elle est souvent présentée, généralement, à la fois par les hommes politiques et par les intellectuels, comme étant un point d’achoppement dangereux pour la paix civile, pour la stabilité des Etats africains et pour la cohésion sociale. Présentée comme une grande menace, comme un grand danger, l’ethnie est alors vilipendée, jetée aux gémonies et accablée de tous les maux.

Dans cet article, nous essayerons de montrer que, loin de constituer un sujet de rejet, de réprobation, l’introduction de la question ethnique dans le débat politique démocratique en Afrique noire doit être encouragée. Nous ne sommes pas entrain de dire que c’est le seul débat qui doive avoir lieu. Nous considérons tout simplement qu’en même temps que sont posées des questions purement politiques, économiques, sociales, la question ethnique doit également exister, car la réalité ethnique et, par ricochet, ses répercussions, n’est pas une fiction1. En parler, ce n’est pas ouvrir la boîte de pandore, puisque la question se pose bel et bien. Elle s’est récemment posée, à titre purement illustratif, en 2011, pendant l’élection présidentielle camerounaise, en 2010, pendant la crise politique ivoirienne, en 2009, pendant la présidentielle gabonaise et, en 2007, pendant les violences post-électorales kényanes. Cette question – la question ethnique – se pose toujours en Afrique noire, de manière implicite ou explicite, pendant toutes les présidentielles – pour ne parler que de ce type d’élection – qui ont lieu.

On rencontrera certes, dans le paysage politique négro-africain, des partis politiques défendant l’idéologie socialiste, comme le Front Populaire Ivoirien (F.P.I.) de Laurent Gbagbo en Côte d’ivoire, des partis politiques soutenant l’idéologie social-démocrate, comme le Parti Social Démocrate (P.S.D.) de Pierre Claver Maganga Moussavou au Gabon, et d’autres partis encore, défendant et soutenant officiellement d’autres idéologies2. Mais, en réalité, concrètement, tous reconnaissent d’abord comme idéologie le triptyque tribu, région,ethnie, lorsqu’ils ne sont pas obligés de s’y conformer.

C’est dans ce sens, nous raconte Bitumba Tipo-Tipo, qu’en « Août 1992, le multipartisme, lors de l’élection présidentielle au Congo-Brazzaville, n’était qu’un simple artifice. Le scrutin n’a pas opposé les trois (3) partis principaux : le Parti Congolais du Travail (P.C.T.) de Dénis Sassou Nguesso, le Mouvement Congolais pour le Développement et la Démocratie Intégrale (M.C.D.D.I.) de Bernard Kolélas et l’Union Panafricaine pour la Démocratie Sociale (U.P.A.D.S.) de Pascal Lissouba.

Le trio Sassou-Kolélas-Lissouba représente en réalité les trois (3) grandes aires régionales et ethniques du Congo : le Nord (Sassou), le Centre ou le Pool (Kolélas) et le Sud ou le fameux Nibolek, c’est-à-dire le pays Niari-Bouenza-Lekoumou (Lissouba) 3».

Dès lors, on ne peut faire comme si cette question n’existait pas. Les exemples rwandais, angolais, congolais, kenyan sont là pour nous rappeler la nécessité, l’urgence, d’aborder cette question de manière objective. Nous voudrions même dire de manière scientifique, car l’ethnie, apprivoisée comme n’étant qu’une simple réalité sociale, n’est pas un mal. De manière endogène, aucune ethnie n’a jamais, dans le format éducatif qu’elle propose à ses jeunes, été une propédeutique à l’intolérance, à l’irrespect, à la désobéissance, au refus de l’Autre, de la différence. Au contraire. Et cela, que ce soit chez les Wolof du Sénégal, chez les Zulu d’Afrique du Sud, chez les Beti du Cameroun, chez les Vili et les Nzebi du Congo, chez les Luo du Kenya, pour ne citer que ces ethnies. Dès lors que l’on prend en compte ce postulat, on comprendra alors que ce sont des causes exogènes, notamment l’histoire controversée du Négro-africain et l’inconstance de ses élites politiques et intellectuelles qui sont à l’origine de la situation politique, économique, sociale et culturelle de l’Afrique noire et non l’ethnie. D’ailleurs, aucune ethnie en tant que réalité sociale ne dirige des entreprises, des Etats, ni quoi que ce soit d’autre. Ce sont des hommes avant tout, et non des ethnies.

C’est parce que nous ne mésestimons pas le caractère ethnique implicite des processus politiques d’Afrique noire que nous pensons que la question doit être abordée de manière explicite. Elle ne doit pas être taboue, d’autant plus que si l’on fait preuve de volonté, d’intelligence et d’inventivité, il apparaît que l’ethnie n’est pas antinomique à la démocratie pluraliste. Nous sommes pour l’introduction d’un nouveau type de regard et de discours sur la question ethnique dans les processus démocratiques en Afrique noire. Nous sommes pour la construction d’un système démocratique qui prenne en compte la réalité ethnique, à la fois pour la dépassionner et la banaliser, en même temps que pour renforcer le Négro-africain dans son être culturel et l’intègrer à la fois dans le débat et les institutions.

Nous aborderons cette réflexion en essayant de répondre à cet ensemble de questions constituant l’ossature de notre travail : qu’est-ce que la démocratie pluraliste ? Sur quoi se fonde-t-elle ? Qu’est-ce que l’ethnie ? Est-elle antinomique à tout processus démocratique ? Pourquoi et comment devrons-nous l’intégrer dans le processus démocratique des Etats d’Afrique noire ?

1. De la Démocratie pluraliste

La démocratie pluraliste est un régime politique dans lequel la pluralité des partis politiques et des candidatures aux élections politiques est garantie par la Constitution. Dans ce système politique, tous les citoyens, c’est-à-dire toute personne en âge de participer à la vie politique, sont autorisés à créer un parti politique ou à se présenter aux élections politiques s’ils remplissent un certain nombre de conditions variant selon les pays. En France, ces conditions sont précisées par l’article 3 de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 qui présente les conditions requises pour toute candidature à l’élection du Président de la République.La démocratie pluraliste est donc un système de gouvernement dans lequel le peuple exerce lui-même le pouvoir politique. Le terme démocratie a été utilisé pour la première fois par Platon4. Il tire son origine du grec démos (peuple) et de kratia (pouvoir ou puissance). Le régime démocratique est un régime politique dans lequel la souveraineté, c’est-à-dire la toute puissance et la légitimité politique appartiennent au peuple. En d’autres termes, en régime démocratique, c’est le peuple qui exerce lui-même le pouvoir politique. C’est lui qui, comme dans le cas d’Athènes, exerce directement le pouvoir politique en délibérant et en légiférant dans des écclésia ou, comme dans les démocraties modernes, confie ses responsabilités à des représentants qu’il désigne par des élections libres.

Ce système de gouvernement se fonde sur des valeurs cardinales que sont : la liberté, l’égalité et la tolérance. Ce triptyque, la démocratie moderne le puise directement dans l’histoire et la culture anglo-saxonne et notamment dans son caractère individualiste. Celui-ci pose implicitement que la personne humaine est sacrée, que l’égalité et la justice sont reconnues à tous et que la liberté est un droit inaliénable. Nier ou mésestimer le caractère de l’histoire et de la culture anglo-saxonne dans la construction de la démocratie moderne, d’abord aux Etats-Unis, ensuite en Europe, et par le fait de la colonisation en Afrique, en Asie et en Amérique Latine, est une erreur. Car les émigrants protestants qui fuient l’Europe dès 1607 et l’intolérance religieuse qui y règne et qui fondent la Virginie, la Nouvelle-Angleterre, puisent dans certains éléments de la culture anglo-saxonne qu’ils portent en eux les principes qui régiront leurs relations sociopolitiques. Ces premiers principes sont ceux de liberté et d’égalité. Ce sont des principes inaliénables et sacrés. Françoise Melonio étaye cette affirmation dans l’introduction de la réédition de 1986 de De la démocratie en Amérique de Tocqueville en écrivant : « L’Amérique est à la fois le pays des égaux et celui des hommes libres 5». Elle renchérit ainsi à la suite de Tocqueville, qui affirmera dans le même livre que 

l’égalité qui rend les hommes indépendants les uns des autres, leur fait contracter l’habitude et le goût de ne suivre, dans leurs actions particulières, que leur volonté. Cette entière indépendance dont ils jouissent continuellement vis-à-vis de leurs égaux et dans l’usage de leur vie privée, les disposent à considérer d’un œil mécontent toute autorité, et leur suggère bientôt l’idée et l’amour de la liberté politique 6.

Mais au-delà de ces valeurs originelles, d’autres valeurs viennent s’agréger. Parmi celles-ci, nous citerons : le suffrage universel (il suppose que le peuple seul est souverain et que lui seul peut faire accéder un individu au pouvoir par le biais d’élections libres et transparentes), la séparation des pouvoirs (Exécutif, Législatif et Judiciaire), le pluralisme des opinions, qu’elles soient politiques ou religieuses, le respect des droits de l’homme et des minorités, la reconnaissance des associations et des organisations syndicales. Ces valeurs, assemblées aux premières (tolérance, liberté, égalité), sont les principales valeurs sur lesquelles se fondent la démocratie représentative moderne.

2. De l’ethnie

L’ethnie se définit comme un groupe de personnes possédant une histoire et une culture – constituée d’une langue, d’une religion, de rites, des croyances, des us et coutumes -commune. La culture est la somme d’un ensemble de pratiques qui permettent au peuple dont elle est dépositaire d’avoir une vision sur le monde et sur son organisation sociale ; ce que, dans Affirmation de l’Identité culturelle, Emmanuel Soundjock explique en ces termes :

La culture c’est l’ensemble des faits et gestes d’un groupe d’hommes ; c’est la manière dont il conçoit, organise et conduit son existence quotidienne et millénaire ; ce sont les gestes et les paroles employées pour demander la main d’une jeune fille, l’introduire dans sa maison et sa famille, s’unir à elle, c’est l’ensemble des interdits ou des régimes alimentaires qui accompagnent la grossesse ; c’est la manière dont l’enfant est éduqué, initié et introduit dans la société des adultes ; ce sont des rites thérapeutiques et funéraires. C’est le système économique et le système technologique. La culture c’est tout ce grâce à quoi et par quoi l’homme existe et subsiste, c’est l’arsenal des moyens techniques et mystiques qui assurent vie et survie à l’Homme et au groupe. 7

Si, dans l’Afrique noire contemporaine, la question ethnique se pose avec autant de violence (violence physique et verbale), de craintes et d’acuité, les causes doivent être recherchées ailleurs que dans la culture transmise par l’ethnie. Les deux principales raisons qui font que l’ethnie soit politiquement stigmatisée et qu’elle fasse peur sont : la colonisation et l’irresponsabilité des dirigeants.

2.1 La colonisation :

La colonisation est le fait par lequel une puissance étrangère occupe, domine, exploite et administre un territoire qui n’est pas le sien. Mais elle ne se limite pas qu’à cela. Elle se poursuit aussi dans la volonté et le désir de la puissance occupante, par une politique assimilationniste, de renverser l’ordre culturel du territoire occupé, de changer les modes de penser, pour les substituer, en les détruisant systématiquement, par les siens.

La colonisation de l’Afrique noire débute à partir de 14508. Elle se divise en deux parties : la période de l’esclavage et la période coloniale proprement dite. Cette colonisation s’accentue dès 1884, date du Congrès de Berlin9 qui consacre le partage de l’Afrique par les puissances européennes.

Sans vouloir revenir sur tous les aspects de cette colonisation, nous préciserons tout simplement qu’elle a réduit le dynamisme culturel et intellectuel des Négro-africains et l’individu qui est ressorti de cette période est un être nouveau, traumatisé, indéfini, honteux à l’égard de lui-même et méprisant sa culture. C’est un individu qui ne s’assume plus et n’assume plus ce qu’il est et dont il était fier. Il a une peau noire, certes, mais porte, pour reprendre une expression de Frantz Fanon, des « masques blancs ». Il est désemparé et tourne « sur lui-même comme un pur-sang pris dans un incendie 10» car ses repères existentiels ont, soit été effacés, perdus, soit été dévalorisés ou négligés.

L’Haïtien Léon Laleau à travers ces vers tirés de son poème intitulé Trahison nous décrit mieux l’angoisse du nègre colonisé. Il écrit :

« Ce cœur obsédant qui ne correspond
Pas à mon langage ou à mes costumes
Et sur lequel mordent comme un crampon,
Des sentiments d’emprunts et des coutumes
D’Europe, sentez-vous cette souffrance
Et ce désespoir à nul autre égal
D’apprivoiser avec des mots de France
Ce cœur qui m’est venu du Sénégal 11».

A côté de la destruction culturelle qui ouvre à l’angoisse, au désespoir, les contacts avec les Européens se caractériseront également par le fait que ces derniers créeront le mythe de la race supérieure, en dressant volontairement les différentes ethnies, les différentes tribus, les différentes régions les unes contre les autres. La conséquence fondamentale de l’introduction de ce concept, qui pose un ordre naturel, une hiérarchisation, entre ceux qui ont reçu de la nature et de Dieu le droit de commander et les autres qui en ont reçu le devoir d’obéir, est l’intolérance et ce que les Anthropologues ont appelé le tribalisme. C’est-à-dire le rejet de l’Autre à cause de sa différence tribale.

Il est vrai que les ethnies n’étaient pas naturellement pacifiques. D’ailleurs, selon Thomas Hobbes, personne ne l’est. Souvenons-nous de son : Homo homini lupus12. Mais, il est également vrai qu’elles n’ont jamais été ontologiquement intolérantes. Elles n’ont jamais rejeté un individu à cause de sa race ou de son origine ethnique, régionale, tribale, religieuse. Le mythe de la race supérieure, créé par les Européens, est une introduction à la haine dont le génocide rwandais de 1994, pour ne parler que de lui, sera l’une des conséquences. Les origines de ce génocide remontent au début du 20e siècle, lorsque les Belges, occupant une partie de la région des Grands Lacs13, feront du Tutsi, à partir de critères purement subjectifs et dangereux, un être supérieur au Hutu et diront, à l’instar du père François Menard en 1917, que le « Mututsi est un Européen sous une peau noire 14».

Un argument que soutiendra d’ailleurs en 1931 Pierre Ryckmans, à cette époque Gouverneur Général du Congo-Belge et du Rwanda-Urindi. Il écrit clairement :

Les Batutsi étaient destinés à régner, leur prestance leur assure déjà sur les autres races inférieures qui les entourent un prestige considérable. Rien d’étonnant que les braves Bahutu, moins malins, plus simples, plus spontanés et plus confiants se soient laissés asservir sans jamais esquisser un geste de révolte 15.

Confirmés dans leur supériorité raciale, le mythe se transformera très vite en certitude, tel que le confirme ce poème lyrique tutsi :

« Notre peuple tutsi haut de taille et de cœur
Qui arbore un nez d’une beauté inconnue
Partout ailleurs en Afrique
Fait la jalousie des vers de terre, de la vermine
Basse de taille et d’esprit
Qui polluait l’air frais de nos montagnes
Et qui dans ses larges griffes allait nous étouffer 16».

C’est ainsi que sont nés l’intolérance, la haine et le rejet de l’Autre dans la région des Grands Lacs. C’est ainsi que les Hutu et les Tutsi, deux groupes proches culturellement17, ont fini par ne plus se tolérer, par ne plus dialoguer et finalement par se massacrer. Aujourd’hui, l’Histoire a tôt fait d’oublier que ces deux groupes cohabitaient dans la même région, sur le même sol, depuis des millénaires. Elle devrait se souvenir que les germes de la division, du rejet, et de la peur ethnique, notamment à partir du mythe de la race supérieure, qui ont donné naissance à l’intolérance, au refus et au rejet de l’Autre, du fait de son ethnie, dans les Grands Lacs ou ailleurs en Afrique noire, ont été introduits par la colonisation européenne. Aujourd’hui encore, ils demeurent enfouis au fin fond de notre inconscient collectif et n’hésitent pas à se manifester à la moindre occasion, aussi anodine soit-elle, comme nous le démontre ce témoignage de Bitumba Tipo-Tipo. Il raconte :

A Kinshasa, un chauffeur de bus a un jour arrêté son engin pour permettre à ses convoyeurs de contrôler les passagers comme cela arrive bien des fois. Un passager lui a demandé d’opérer le contrôle pendant que le bus roulait, car il faisait chaud et la route était longue. Cela arrive souvent aussi. Mais cette fois-ci, le chauffeur a aussitôt donné cet ordre à ses convoyeurs : Descendez-moi ce Muluba ! Ils embêtent dans ce pays en se croyant une ethnie supérieure ! 18.

Des exemples de ce genre sont légion en Afrique. Mais ce qu’il conviendrait de retenir c’est que la culture traditionnelle négro-africaine, et avec elle l’ethnie, n’est pas intolérante. Elle n’enseigne pas l’intolérance.

2.2 L’irresponsabilité des dirigeants :

L’irresponsabilité des dirigeants négro-africains est le deuxième élément qui encourage la stigmatisation de l’ethnie. Précisons que nous entendons par dirigeants les élites politiques et intellectuelles. Dans toutes sociétés, elles ont un devoir de responsabilité qu’elles doivent manifester en portant celles-ci vers leur plein épanouissement. Tel était déjà le cas dans les sociétés traditionnelles négro-africaines.

Les élites dirigeantes doivent orienter leurs forces dans le seul intérêt de la communauté dans laquelle ils vivent et qu’ils servent. Leur comportement doit ainsi être exemplaire car ce sont des modèles, des références.

Les peuples ont des difficultés à se responsabiliser lorsque les dirigeants ne font pas preuve de leadership. Tout comme ils ont une grande capacité de mobilisation lorsque ceux-ci sont déterminés. Peut-on penser un seul instant que le combat pour les droits civiques des Noirs-américains aurait abouti dans les années 60 si les dirigeants du mouvement avaient fait preuve d’irresponsabilité ? Peut-on penser que Gandhi aurait mené son pays (l’Inde) à l’indépendance s’il avait été irresponsable ? Peut-on penser que l’apartheid en Afrique du Sud aurait été vaincu si les leaders sud-africains avaient fait preuve d’irresponsabilité ? Dans les trois cas, la réponse est simple : elle est négative.

Or, en Afrique subsaharienne, l’irresponsabilité ou l’incurie de la majorité des élites (élites politiques et intellectuelles) n’est plus à démontrer. Leur gestion de la chose publique suivant des logiques se distinguant, parfois de manière ouverte, parfois à mots couverts, de l’intérêt général ; tout comme l’ambigüité des rapports existant entre le pouvoir et l’opposition désarçonnent les citoyens. Ainsi, à titre d’exemple, dans l’ex-Zaïre, pendant que Tschisekedi (le chef de l’opposition) affirmait la journée que : « Il est exclu pour l’opposition de participer à un gouvernement où Mobutu joue un quelconque rôle. C’est un peu comme un bon fruit qui serait en contact avec un fruit pourri 19», la nuit, lui et ses amis « fraternisaient (…) avec le dictateur 20».

Cette inconstance des élites politiques négro-africaines a pour conséquence d’éloigner les couches populaires de la politique qu’elles ont fini par assimiler au mensonge, à la démagogie. Elles ont bien compris que seuls le pouvoir et les honneurs intéressaient les élites politiques qui n’hésitaient pas à jouer sur la fibre ethnique pour conserver leurs acquis. L’irresponsabilité des élites politiques négro-africaines n’est point un secret. Elle est déjà relevée par de nombreux auteurs tels que Rossatanga-Rignault qui faisait cette révélation :

Malheureusement, l’une des maladies infantiles des démocraties africaines demeure incontestablement l’irresponsabilité des élites politiques qui ont tendance à réduire le débat politique aux invectives et aux menaces, l’immaturité des uns le disputant trop souvent à la malhonnêteté des autres (…). C’est ainsi qu’on dresse différentes fractions du peuple les unes contre les autres jusqu’au jour où l’inévitable affrontement physique remplace l’affrontement verbal 21.

Même si elle veut jouer son rôle de temps en temps, l’élite intellectuelle n’en est pas moins souvent obligée de se soumettre à l’autorité politique, la principale raison de cette soumission étant d’ordre pécuniaire. Ainsi, alors qu’elle avait les moyens intellectuels (et elle les possède toujours), d’éclairer le peuple, de l’aider à saisir les véritables enjeux des sociétés africaines post-coloniales, enjeux qui se résument aux questions de pauvreté, d’éducation et de santé pour tous, aux questions de logement décent, de justice, de liberté et d’égalité, de respect de la personne humaine, d’emploi, l’élite intellectuelle a, dans sa très grande majorité, abdiqué. Elle n’a pas collaboré, dès les années 60, à maintenir les masses africaines, analphabètes dans leur grande majorité, dans l’ignorance et dans des débats stériles.

Alors que l’élite intellectuelle devait porter sa charge, celle d’éduquer, d’éclairer, d’aider à faire accéder à la connaissance, d’aider, par le savoir, les peuples à sortir des logiques exclusives introduites par la colonisation européenne, dans sa très grande majorité, dès les années 60, elle a plutôt contribué, par sa complicité ou par son silence, à détourner les populations africaines des vrais enjeux de développement, en exacerbant des enjeux stériles comme la question ethnique. Il faut le dire, c’est parce qu’elle a échoué que 50 ans après les indépendances, l’Afrique noire tarde à se développer et que, bouc-émissaire idéal derrière lequel on se tient pour cacher son incompétence, la question ethnique divise toujours autant. Maintenant, comme Lénine, la seule question que nous devons-nous poser est : que faire ?

3. De l’intégration de l’ethnie dans le débat et le processus démocratique en Afrique noire

En Afrique noire, l’ethnie, et son extension, à savoir la culture, n’ignore pas les éléments qui fondent la démocratie pluraliste. Peut-être les apprécie-t-elle différemment, mais elle n’ignore pas les éléments sans lesquels la démocratie pluraliste ne serait qu’un vain mot : la tolérance, la justice, le respect de l’Autre, la liberté d’expression, l’égalité, la responsabilité… Autant d’éléments qui constituent le préalable de la démocratie, car, comme nous le rappelle Rossatanga-Rignault, être démocrate c’est d’abord « admettre l’existence de l’Autre, savoir gagner dignement et savoir perdre tout aussi dignement. Dès lors, la tolérance devient une vertu cardinale du démocrate qui s’empêche de considérer que ceux qui ne sont pas avec lui sont contre lui 22».

Au moment où l’environnement mondial est à la démocratie pluraliste, et au moment où ce régime politique apparaît de plus en plus comme étant celui qui préserve au mieux les droits fondamentaux des humains, en même temps qu’il se présente comme le plus capable de conduire au développement, car non seulement il libère les énergies, mais aussi fait intervenir les concepts auxquels il est indissociablement lié, de bonne gouvernance et de transparence dans la gestion des affaires publiques, il devient évident qu’il faut arrimer l’Afrique noire à la démocratie pluraliste. Elle seule peut lui permettre de mieux tendre vers une société plus juste, plus libre, plus développée, plus sereine et plus prospère. Nous parlons là d’une réelle démocratie pluraliste. Cependant, pour nous, elle ne doit être arrimée à l’Afrique noire que sous deux conditions : qu’elle tienne compte des réalités socioculturelles des sociétés dans lesquelles elle se développe et qu’un vrai travail éducatif y soit mené.

3.1 Démocratie pluraliste tenant compte des réalités socioculturelles.

Un système politique, une thèse économique, un décret présidentiel et même une loi, est d’abord construit, adopté ou signé pour les intérêts de la société dans laquelle il s’appuie. Comme tel, sa fin est de servir, d’améliorer, de construire, pour que la société se développe harmonieusement. La démocratie pluraliste n’échappe pas à cette règle, elle est au service de l’Etat et des populations qui le composent. Or, en Afrique noire, depuis 1990 notamment, elle se manifeste presqu’à chaque fois par la violence et par un renforcement des identités régionales et ethniques, de telle sorte que les idées-forces qui s’y dégagent toujours, surtout lors du vote, sont : la tribu, la région et l’ethnie. Cela fait qu’on ne vote qu’en fonction des affinités tribales, régionales et ethniques, alors que les Constitutions méconnaissent la réalité ethnique. Pour nous, ce vote ethnique, régional, tribal, est la conséquence du plagiat du modèle démocratique occidental en Afrique noire qui oublie que pour que le sentiment national s’exprime, il n’est point nécessaire de nier ou d’étouffer la conscience ethnique et régionale.

Ce qu’il faut d’abord faire, c’est prendre conscience de la multiplicité ethnique des sociétés subsahariennes. Ne pas l’éviter, ni la nier, mais l’organiser politiquement, la présenter comme une richesse, la revaloriser, car l’ethnie n’est pas une menace. Elle l’est certainement devenue lorsqu’elle fut instrumentalisée par certains leaders politiques peu scrupuleux. L’objectif étant pour l’Afrique noire d’inventer un modèle politique, démocratique, tenant compte de ses réalités, le nier ou l’éviter, c’est se résoudre à bâtir un édifice sur du sable puisque, comme l’explique très justement Bitumba Tipo-Tipo : « On ne peut nier la pertinence de l’identité ethnique ou régionale, (…) elle reste visible et coexiste pacifiquement avec les identités environnantes 23».

En réalité, ce n’est pas l’ethnie, ni la tribu, encore moins le tribalisme et le régionalisme, qui ne sont que des conséquences, qui menacent l’ordre public en Afrique noire. C’est plutôt le favoritisme qui, en monopolisant le pouvoir national entre les mains des membres d’une même ethnie ou d’un même groupe sociétal, crée les conditions favorables aux frustrations, à l’agitation et à la violence : la nuance est de taille. Ce favoritisme est mis en valeur ici par Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo, lorsqu’il écrit :

Aux premières heures de la démocratie multipartite, le Zaïre disposait de 53 postes diplomatiques dont 18 étaient dirigés par les gens originaires de l’Equateur, soit 34°/. A la tête de tous les services spécialisés (de la Sûreté de l’Etat), on retrouvait les membres du seul clan Ngbandi (…) du Président de la République, ou à défaut, un ressortissant de l’Equateur 24.

A la faveur de la démocratie multipartite, ces pratiques fleurirent un peu partout en Afrique subsaharienne. Au Cameroun, on parla de la « bétisation 25» des postes clefs de la hiérarchie militaire et des autres rouages étatiques, comme Amadou Ahidjo le fit en son temps avec les Peul. Au Kenya, « (…) au sommet de l’Etat, les Kalenjin, l’ethnie du Président, accaparent les postes 26» au mépris des 39 autres ethnies du pays et notamment des cinq (5) premières : les Kikuyu (20, 8°/), les Luhya (14, 4°/), les Luo (12, 4°/), les Kamba (11,1°/) et les Gusii (6, 4°/). Même l’armée togolaise n’y échappera pas car, sur « 13 000 hommes de troupes, 10 000 sont originaires du Nord (la région du Président). Sur un total de 300 officiers, on comptait 50 pour le Sud et 250 pour le Nord, dont 200 Kabyé (l’ethnie du Chef de l’Etat). Et parmi ces Kabyé, ce sont avant tout les ressortissants de Pya (la localité de naissance d’Eyadema) qui jouent le premier rôle 27».

Pour nous, il faut africaniser la démocratie pluraliste en Afrique noire, faire en sorte qu’elle parte des réalités culturelles africaines. Lors d’un discours tenu à une conférence des Chefs d’Etat de l’Organisation de l’Unité Africaine quelques années avant sa mort, Thomas Sankara invitait la jeunesse africaine à oser inventer l’avenir. Sans nous mettre à la hauteur du leader burkinabé, nous affirmons qu’il faut oser inventer un nouveau modèle politique en Afrique noire en y alliant la rigueur et la compétence. Il faut intégrer la réalité culturelle négro-africaine dans le processus démocratique, de telle sorte que l’ethnie par exemple y occupe une place essentielle car celle-ci fait partie du caractère ontologique du Négro-africain. Il ne peut s’en débarrasser sans s’aliéner.

Au niveau national, un système politique assurant la participation et la prise en compte de la diversité ethnique doit être trouvé. Cela peut se faire avec de la volonté, de l’inventivité et un leadership fort. Signalons ici que pour nous, le système transitoire adopté par les Burundais au travers des Accords d’Arusha signés le 28 août 2000 et complétés par les Accords de partage du pouvoir signés le 6 août 2004 à Pretoria (Afrique du Sud) dans lesquels les principaux protagonistes, représentés ici par leurs ethnies, se sont partagés le pouvoir politique en mettant en place des institutions provisoires, est intéressant. L’article 11 de ces accords affirme clairement que : « Le gouvernement, composé d’un conseil de ministres, comprend 60% de ministres et de vice-ministres hutu et 40% de ministres et de vice-ministres tutsi, en tenant compte de la représentation générale ». Ou encore, en son article 13 : « L’Assemblée nationale est composée de 60% de députés hutu, de 40% de députés tutsi et de 3 députés de l’ethnie twa, avec un minimum de 30% de députés étant des femmes ».

Nous regrettons que ce système n’ait été adopté qu’à titre transitoire car en permettant ainsi clairement aux Tutsi, aux Hutu et aux Twa (les trois ethnies du pays) de se partager le pouvoir politique, ce texte a réduit considérablement les risques d’instabilité politique au Burundi.

On pourra expérimenter ce modèle : dans un Etat africain imaginaire dénommé Azur, possédant une dizaine, voire une centaine d’ethnies, on pourra s’arranger à ce que chaque ethnie occupe de manière tournante les fonctions politiques nationales (Présidence de la République, Primature, Ministères…), tandis que les fonctions purement techniques (Secrétaires Généraux, Directeurs Généraux, …) resteront assujetties au seul critère de compétence.

Cette règle, pour être respectée, devra être inscrite dans la Constitution qui, elle-même, ne pourra subir d’amendements sans passer par un référendum. Bien évidemment, toutes les ethnies ne pourront accéder aux responsabilités politiques au même moment, mais le fait d’attendre et de savoir que son tour d’accession à la Présidence de la République par exemple arrivera, permettra à toutes les ethnies de se sentir sereines et de jouer la transparence de peur d’avoir à en pâtir lorsqu’elles ne seront plus aux responsabilités. Si les règles posées au départ sont respectées, il n’y a aucune raison que cet équilibre soit rompu. Nous ne voulons nullement avancer que les partis politiques seraient créés en fonction de la multiplicité ethnique. Au contraire, ils devraient être représentatifs de toute la Nation en ayant toutes les composantes ethniques représentées en leur sein. De sorte que lorsque le tour d’accession à la Présidence de la République par exemple de l’ethnie Z arrivera, ils soient tous en mesure de présenter des candidats de cette ethnie.

A cet instant, il reviendra à toutes les populations de la République, à tous les citoyens de toutes les ethnies, de juger de qui des candidats de l’ethnie Z, en fonction de leurs partis politiques, des projets qu’ils portent et défendent, de leurs compétences, de leur sens de l’Etat, sera le plus à même d’assumer la charge présidentielle. L’avantage dans ce cas sera que, quel que soit le candidat qui l’emporte et quel que soit celui qui perd, l’ethnie Z verra toujours l’un des siens porté à la Présidence de la République et par conséquent ne se sentira pas lésé.

Lorsque le tour de l’ethnie A arrivera, il sera fait de même, et ainsi de suite. C’est d’une telle démocratie pluraliste, à la fois conflictuelle au niveau des partis politiques et de leurs projets de développement et consensuelle au niveau des ethnies, qu’a besoin l’Afrique noire pour espérer se mettre à l’abri des crises politiques, hélas nombreuses, résultant de frustrations électorales. Une démocratie pluraliste conflictuelle et consensuelle qui tienne compte de ses réalités culturelles et non qui les ignore.

Ce système politique présente un double avantage : d’abord, il permet de revaloriser l’ethnie, de la placer en bonne place dans le processus politique puisqu’elle est le plus souvent à l’origine des crises, de permettre à toutes les ethnies d’accéder au pouvoir, mais ensuite, aussi paradoxalement que cela puisse paraître, de minorer le favoritisme et de permettre à tous les partis politiques de disposer d’une réelle base nationale et non plus régionale et ethnique.

La démocratie conflictuelle telle que défendue par Washington n’a pas valeur universelle. Elle est particulière au peuple américain, à son histoire, à sa culture et à son environnement. Il faut souligner que même en Occident, la démocratie pluraliste ne se traduit pas exactement de la même manière dans tous les pays. Chaque pays produit des aménagements en fonction de ses réalités culturelles, historiques… Le système démocratique anglais n’est pas identique au système démocratique américain, tout comme le système démocratique français n’est pas le même que le système démocratique allemand. Chaque pays conserve tout simplement les valeurs fondamentales qui guident toutes démocraties : tolérance, respect de la différence, des droits humains, élections libres, justice, égalité, transparence, liberté, bonne gouvernance…

Des voix plus autorisées que la nôtre l’on dit et redit, l’Afrique noire doit inventer son propre modèle démocratique au lieu de plagier les autres modèles. Hélas ! Elles n’ont pas été entendues. L’Afrique doit inventer sa démocratie, écrivait Jacques Pelletier. « Engager un processus ? D’accord, mais il faut être prudent et éviter de copier systématiquement les autres, les copies n’ont pas de vie (…). Si nous continuons sur le chemin actuel du mimétisme démocratique, nous allons encore couler 28», poursuivait Julius Nyerere. « L’Afrique noire doit réaliser son ajustement culturel en mettant en place des structures gouvernementales qui tiennent compte des spécificités africaines 29», renchérissait l’ancien Premier Ministre belge Léo Tindemans. Mais aucun d’eux n’a été entendu. Que l’Afrique noire s’arrime à la démocratie pluraliste, nous répondons par l’affirmative, pourvu seulement que celle-ci s’appuie sur la réalité locale. Qu’elle se conforme aux fondements de la doctrine de la démocratie pluraliste dans son nexus, cela va de soi, mais que sa structure soit marquée du sceau de la culture négro-africaine et de ses valeurs.

3.2 Education.

La seconde condition concerne l’éducation. Que celle-ci favorise l’alphabétisation, cela va de soi, mais il faut qu’elle réapprenne aussi au Négro-africain à connaître son histoire, sa culture, à maîtriser son espace, sa géographie30, qu’elle lui apprenne à redevenir pleinement Homme en développant chez les élèves les qualités qui feront d’eux de bons démocrates : l’écoute, le dialogue, la tolérance, le respect de la différence, la responsabilité… Sans ces qualités fondamentales, aucune réelle démocratie pluraliste ne pourra avoir lieu puisque, comme nous le dit si bien Rossatanga-Rignault, aucune « démocratie ne peut se construire sur le refus de l’altérité 31».

La démocratie pluraliste pourra alors se développer pleinement et avec elle, la liberté, la justice, les droits humains… Ce sont des valeurs sur lesquelles l’éducation doit insister et sans lesquelles la démocratie pluraliste ne serait qu’un vain mot.

Conclusion

Au sortir de cette analyse, il convient de reprendre le débat d’où nous sommes partis : Démocratie pluraliste, ethnie en Afrique noire. Il s’agissait pour nous de rappeler que la question ethnique, notamment son introduction dans les débats et processus politiques, était en Afrique noire cause de crispations et de nombreux conflits. Mieux, que cette question était presqu’une question taboue, dans la mesure où elle était synonyme de régression, d’instabilité et de menace pour la paix sociale.

Surfant sur cette base, les politiques n’hésitaient pas à faire d’elle la cause des retards visibles, 50 ans après les indépendances, de l’Afrique noire en matière de développement. En somme, l’ethnie devient le bouc émissaire derrière lequel se cache l’incompétence, l’incurie de l’élite politique et l’épouvantail qu’on agite pour fédérer autour de soi en excluant.

Nous essayons de montrer dans notre analyse que l’ethnie n’est pas le problème en Afrique noire, contrairement à ce que d’aucuns pensent ; que le véritable problème c’est l’Africain, notamment l’élite, quelle que soit son ethnie. Pour s’en convaincre, il suffit de garder à l’esprit que la pauvreté frappe indistinctement toutes les ethnies. Que ce soit celle à laquelle appartiennent les dirigeants que les autres. Le véritable problème en Afrique noire c’est l’incompétence, c’est le favoritisme et non l’ethnie. Cette dernière n’est pas antinomique à la démocratie pluraliste. Lorsqu’un dirigeant d’une entreprise publique qui est nommé à partir des critères autres que la compétence et la rigueur dans le travail plombe les comptes de son entreprise, ce n’est absolument pas l’ethnie qui est en cause, même si elle constitue l’affinité qui lui a permis d’obtenir sa nomination. C’est le dirigeant qui s’est révélé incompétent.

Tout au long de notre analyse, nous essayons de montrer que l’ethnie doit être intégrée dans le débat et les institutions politico-démocratiques, parce qu’elle est principale cause de crispations politiques en Afrique noire ; parce qu’elle est sujet tabou, mais central, conduisant à la violence politique ; parce qu’elle est un sujet se dessinant en filigrane dans tous les discours et toutes les postures politiques en Afrique noire. Pour cela, nous proposons un modèle. Nous ne pensons en aucun cas que cette proposition soit stipulative.

L’Afrique noire doit pouvoir transformer la démocratie pluraliste en la faisant s’inspirer de ses réalités culturelles (dont l’ethnie) et en ne conservant que les valeurs universelles qui la fondent. Ce qu’il faut surtout éviter, c’est de plaquer en Afrique noire des systèmes démocratiques conçus pour d’autres réalités sociales, historiques et culturelles. L’Afrique noire doit sortir du chemin du mimétisme pour élaborer une démocratie pluraliste africaine. Elle doit véritablement donner un sens à la res publica. Que l’Etat, la République, soit véritablement une chose commune pour espérer apaiser nos Etats et ainsi avancer sereinement vers le développement.

Bibliographie

Bitumba Tipo-Tipo (Mayoyo), Ajustement politique africain. Pour une démocratie endogène au Congo-Kinshasa, Paris, L’Harmattan, 1999.

Duverger (Maurice), Institutions politiques et Droit constitutionnel, Paris, P.U.F, 1970.

Elenga Mbuyinga, Tribalisme et problèmes nationaux en Afrique noire : le cas du Kameroun, Paris, L’Harmattan, 1989.

Erny (Pierre), L’enfant et son milieu en Afrique noire, Paris, L’Harmattan, 1987.

Gakunzi (D.), Rencontre avec Julius Nyerere, Paris, éd. Descartes et compagnie, 1995.

Guizot, Histoire de la civilisation en Europe, Paris, Hachette, 1985.

Hallowell (J.H.), Les fondements de la démocratie, Chicago, Presses Universitaires de Chicago, 1954.

Jeune Afrique Economie, n° 276 du 5 au 18 octobre 1998.

Jeune Afrique l’Intelligent, n° 2072 du 26 septembre au 2 octobre 2000.

Kane (Cheikh Hamidou), L’aventure ambiguë, Paris, Union Générale d’Editions, 1961.

L’Echo, du 27 février 1997.

L’Union Plus, n° 8198 du vendredi 2 mai 2003.

Le monde diplomatique, mars 1993.

Magazine Elima, 10 septembre 1990.

Pfouma (Oscar), Histoire culturelle de l’Afrique noire, Paris, Publisud, 1993.

Rossatanga-Rignault (Guy), L’Etat au Gabon, histoire et institutions, Libreville, éd. Raponda Walker, 2000.

Tocqueville (Alexis de), De la démocratie en Amérique, Paris, Robert Laffont, 1986 (réed.).


1N.B. Notre analyse se limite certes à l’Afrique subsaharienne, mais il convient de prendre en compte le fait que, de manière importante ou peu importante, cette question se pose également dans les autres régions du monde où existent des sociétés multiethniques. Nous pensons en particulier à l’Asie, à l’Océanie, à l’Amérique latine, à l’Europe centrale et à l’Afrique du Nord.

2 Sans pour autant que leurs militants ne soient capables d’énoncer les aspirations de ces différentes idéologies.

3 Bitumba Tipo-Tipo (Mayoyo), Ajustement politique africain. Pour une démocratie endogène au Congo Kinshasa, Paris, L’Harmattan, 1999, p. p. 193-194.

4 Philosophe grec du Ve siècle avant J.C.

5 Tocqueville (Alexis de), De la démocratie en Amérique, Paris, Robert Laffont, réed., 1986, p. 64.

6 Ibid, p. 28.

7 Soundjock (Emmanuel), cité par Etounga-Manguele (Daniel) in L’Afrique a-t-elle besoin d’un programmed’ajustement culturel ?, op. cit., p. 39.

8 Date des premiers contacts entre navigateurs portugais et la côte africaine.

9 15 novembre 1884-26 novembre 1885.

10 Kane (Cheikh Hamidou), L’aventure ambiguë, Paris, Union Générale d’Editions, 1961, p. 22.

11 Ibid, p. 22.

12 « L’homme est un loup pour l’homme ».

13 Région dont fait partie le Rwanda-Urindi.

14 Menard (François) cité par Bitumba Tipo-Tipo (Mayoyo) in Ajustement politique africain. Pour une démocratie endogène au Congo Kinshasa, op. cit., p. 79.

15 Ryckmans (Pierre) cité par Bitumba Tipo-Tipo (Mayoyo) in Ajustement politique africain. Pour une démocratie endogène au Congo Kinshasa, op. cit., p. 79.

16 Bitumba Tipo-Tipo (Mayoyo), Ajustement politique africain. Pour une démocratie endogène au Congo Kinshasa, op. cit., p. 80.

17 Ils parlent la même langue.

18 Bitumba Tipo-Tipo (Mayoyo), Ajustement politique africain. Pour une démocratie endogène au Congo Kinshasa, op. cit., p.p. 96-97.

19 Magazine Elima, 10 septembre 1990.

20 Bitumba Tipo-Tipo (Mayoyo), Ajustement politique africain. Pour une démocratie endogène au Congo Kinshasa, op. cit., p. 134.

21 Rossatanga-Rignault (Guy), L’Etat au Gabon, histoire et institutions, Libreville, éd. Raponda Walker, 2000, op. cit. p. 260.

22 Ibid, p. 263.

23 Bitumba Tipo-Tipo (Mayoyo), Ajustement politique africain. Pour une démocratie endogène au Congo Kinshasa, op. cit., p. 70.

24 Ibid, p. 47.

25 Elenga Mbuyinga, Tribalisme et problèmes nationaux en Afrique noire : le cas du Kameroun, Paris, L’Harmattan, 1989, p. 128.

26 Bitumba Tipo-Tipo (Mayoyo), Ajustement politique africain. Pour une démocratie endogène au Congo Kinshasa, op. cit., p. 51.

27Le monde diplomatique, mars 1993.

28 Gakunzi (D.), Rencontre avec Julius Nyerere, Paris, éd. Descartes et compagnie, 1995, pp. 68-70.

29 Magazine l’Echo, 27 février 1997.

30 Il est stupéfiant de voir de jeunes africains des capitales parler de Paris, de New-York, et d’autres villes occidentales, sans y avoir mis les pieds, alors qu’ils ignorent tout des villes de leurs pays dont ils ne sont pas originaires.

31 Rossatanga-Rignault (Guy), L’Etat au Gabon, histoire et institutions, op. cit. p. 263.