Les langues nationales du Cameroun et le Camfranglais au coeur des representations glottophobes et glottophiles

VENANT ELOUNDOU ELOUNDOU

Université de Yaoundé 1

Résumé

Cette étude se focalise sur les représentations glottophobes et glottophiles des langues nationales du Cameroun et du camfranglais. On a scruté tour à tour les images négatives et positives construites par des internautes de trois sites Internet. Il ressort de l’analyse que les langues nationales subissent deux modalités de perceptions. Les représentations négatives sont consécutives à certains facteurs tels que le multilinguisme et les replis identitaires qui rendent difficile, voire impossible le choix d’une de ces langues pour l’enseignement ; dans l’optique de l’ériger en langue officielle. Les images positives de ces langues ont pour mobile leur capacité de traduire les identités culturelles des Camerounais. Par ailleurs, certains internautes estiment qu’elles sont susceptibles de générer un développement durable. Quant au camfranglais, il est perçu comme une langue qui, contrairement aux langues nationales, pourrait réduire les discriminations et des replis identitaires. Face à ces images, une réflexion est menée sur la valorisation des langues nationales. On a proposé des stratégies dans le cadre de leur promotion et leur enseignement : la sensibilisation des populations, la formation des enseignants à la didactique de l’alterlinguistique et son application à l’école.

Mots-clés : didactique – discours épilinguistiques – glottophobie – identité linguistique

Abstract

This study focuses on linguistic discriminations of the national languages of Cameroon and camfranglais. In this regard, the negative and positive considerations made by users of some Internet websites were analysed. The result of the analysis reveals that negative considerations of national languages result from factors such as multilingualism and cultural isolation which make it difficult or impossible to choose one of these languages for teaching, in order to make it be an official language. The positive considerations of these languages stem from their ability to translate Cameroonian cultural identities. Furthermore, some users think that they are likely to generate sustainable development. Unlike national languages, camfranglais is considered as a language which will reduce discrimination and isolation. Based on these various considerations, we carried out a study on the promotion of national languages. Therefore, strategies such as raising awareness, training teachers on how to teach the language of other people in school were proposed.

Key words: Didactics, epilinguistic discourse – linguistic discrimination – linguistic identity

Introduction

Depuis quelques décennies, l’autorité politique camerounaise s’est engagée à l’application des résolutions de la conférence d’Addis-Abeba (1961) et des Etats Généraux de l’Enseignement du français en Afrique subsaharienne francophone (2003), notamment l’enseignement des langues nationales (désormais, LN) dans les différentes composantes éducatives : primaire, secondaire et universitaire. Des approches pédagogiques et méthodologiques sont élaborées, en vue de favoriser l’enseignement de ces langues. En se référant aux analyses du colloque Enseignement des langues et cultures camerounaises : approches théoriques, didactiques et pragmatiques, le constat qu’on peut faire est que les premiers résultats de l’enseignement-apprentissage en cours d’expérimentation, depuis quelques années, sont mitigés. D’une part, on note un engouement manifesté par la communauté éducative (enseignants, parents et apprenants) pour l’apprentissage des LN et, d’autre part, on relève des réticences. Si, depuis plusieurs années, l’on a assisté à la production des discours métalinguistiques en faveur de la promotion des LN, il faut reconnaître que l’analyse des discours épilinguistiques relatifs à ces langues n’est guère menée. Cette contribution a donc pour but d’interroger les représentations sociales produites au sujet des LN et du camfranglais. Les questions de recherche qui la sous-tendent sont les suivantes : quelles sont les modalités de représentations des LN ? Comment le camfranglais est-il perçu dans une perspective glottonymique ? Selon ces perceptions, à quel processus didactique efficace pourrait-on aboutir ? Après avoir précisé l’ancrage théorique et le corpus d’étude, nous analyserons les constructions épilinguistiques des internautes, avant de mener une réflexion sur la promotion des LN.

1. Ancrage théorique et corpus d’étude

L’approche sociolinguistique intègre le volet social de la langue, car elle pose que ce n’est pas seulement la dimension systémique qui importe. La dimension sociale est aussi fondamentale pour une saisie optimale des phénomènes linguistiques. De fait, la théorie des représentations trouve son fondement dans la sociologie. Jodelet (1991 : 668) appréhende ainsi les représentations sociales comme une forme de connaissance courante, dite « de sens commun, caractérisée par les propriétés suivantes : (1) son élaboration et son partage par la société; (2) la visée de l’organisation, la maîtrise de l’environnement (matériel, social et idéel), l’orientation des conduites et des communications et (3) l’établissement d’une vision de la réalité commune à un ensemble social (groupes, classes, etc.) ou culturel ».

L’étude des représentations permet de voir comment les composantes sociales définissent, caractérisent et évaluent les phénomènes de la société, à l’instar des langues. Le but ultime, précise Jodelet citée par Bonardi et Roussiau (1999 : 21), est que l’étude des représentations nous guide dans la façon de nommer, définir, caractériser, évaluer « les différents aspects de notre réalité de tous les jours, dans la façon de les interpréter, statuer sur eux et, le cas échéant, prendre une position à leur égard et la défendre ».

Toutefois, la sociologie distingue d’une part, les représentations collectives (puisque l’unité de base sociologique est un groupe social) et, d’autre part, les représentations individuelles. Pour Bonardi et Roussiau (1999 : 14), « les systèmes de représentations collectives sont liés à la dynamique individuelle et aux représentations individuelles ». Elles constituent des « constructions individuelles » qui peuvent être converties en images collectives, permettant ainsi de construire le réel perçu comme des images d’objets concrets. La sociolinguistique va intégrer l’approche des représentations sociales. Dans cette optique, Houdebine Gravaud (1998 : 23) a développé la théorie des imaginaires linguistiques. A ce sujet, elle écrit :

l’analyse de l’imaginaire linguistique […] a pour principal objectif […] de permettre de dégager une partie des causalités de la dynamique linguistique et langagière. D’où la nécessité d’étudier et les comportements et les attitudes des locuteurs, d’observer les productions et de ne pas se contenter de recueillir les paroles des sujets afin d’en dégager leurs représentations, celles-ci pouvant varier selon les situations, les interactions.

Il convient de cerner les représentations à partir des constructions épilinguistiques produites par des internautes à propos des LN et du camfranglais.

Notre corpus d’étude est constitué de discours issus des sites forumbonaberi.com (FB), cameroon-info.net (CIN) et camfoot (CF). Ces trois sites constituent des espaces de débats où les internautes réfléchissent à des problématiques d’ordre national et international. Les titres suivants sont des thèmes de débats analysés : (1) Et la langue est, (2) Dialecte (FB), (3) Langues maternelles, préalables pour le développement (CIN) et (4) Toli sou le manguier (CF) du 22 mars 2015. Nous postulons que les discours analysés constituent un corpus d’étude, puisqu’il existe un corpus disponible dans d’autres sites où l’on peut trouver les modèles de représentations qui sont au cœur de notre réflexion. Les cas que nous avons retenus constituent donc un échantillon de ces images.

La principale caractéristique de ces espaces d’expression est qu’ils favorisent une modalité d’énonciation directe et différée, mettant en scène des intervenants distants par l’espace et n’ayant pas toujours les mêmes points de vue. De même, il s’agit d’une sorte d’agora où la censure est peu présente. Pour des internautes, c’est une occasion idoine de développer des stéréotypes, des tabous, etc. ; quand bien même la ligne éditoriale interdit la publication des messages sensibles (injures, propos diffamatoires, obscènes, etc.).

Nous reconnaissons que cette catégorie de données présente des limites au niveau méthodologique ; notamment l’impossibilité d’obtenir les variables liées aux intervenants ; à savoir : l’identité, la localisation et autres variables indépendantes pouvant avoir une incidence sur l’interprétation des constructions épilinguistiques. Toutefois, les indications spatiales et nominales sont données. Mais elles sont généralement inventées. C’est le cas des lieux tels que derrière toi et somewher et des pseudonymes, à l’exemple de Piocarin, Platon et Nasoïde l’Autochtonologue.

L’avantage de ce type d’observables est que nous avons affaire à des données non sollicitées, contrairement à une enquête sociolinguistique guidée ou semi-guidée. Par ailleurs, le paradoxe de l’observateur est neutralisé. Les participants aux débats réagissent aux thèmes initiés par des internautes.

Afin de conserver l’authenticité graphique de ces énoncés, nous les avons reproduits comme tels. C’est ce qui justifie la présence de nombreux écarts langagiers dont les internautes sont responsables. Toutefois, afin de faciliter le décodage par des non locuteurs du camfranglais, nous avons proposé des gloses. Nous avons supprimé certains segments des énoncés pour des besoins éthiques.

Par ailleurs, les données recueillies sont traitées sous un angle qualitatif, en rapport avec l’approche empirico-inductive qui, selon Blanchet (2000 : 30), « caractérise […] un paradigme compréhensif en science de l’Homme. Il constitue une approche dialogique, interprétative». Notre démarche (contrairement aux méthodes technicistes qui accordent une importance à la quantification des données (représentativité et exhaustivité qu’on ne peut jamais atteindre1) est qualitative. Elle privilégie le processus de la signification des observables. Cette approche nous permet de « dégager [les] modes de construction sociale efficaces et significatifs en rapport avec le contexte de production et de réception » (Feussi, 2010 : 20). On comprend finalement que la pertinence de cette démarche repose sur la significativité, l’interprétativité et la contextualisation ; points focaux d’une sociolinguistique qui s’intéresse aux langues, à leurs diversités et à leurs fonctionnements (Feussi, à paraître).

2. Discours sur les LN : de la glottophobie à la glottophilie

L’exploration des discours des internautes axés sur la problématique des LN permet de cerner deux modalités de représentations.

2.1. Sentiments glottophobes

Les constructions épilinguistiques de certains internautes ciblés laissent entrevoir deux principales causes de la glottophobie (Blanchet, 2016).

2.1.1. Le plurilinguisme

La diversité linguistique, caractéristique du Cameroun, constitue un obstacle majeur pour ériger une LN en langue officielle. C’est ce qu’on peut observer dans les propos suivants :

(1) Après un colloque sur l’Afrique et le développement, tenu il y a quelques mois, un participant m’a demendé pourquoi le Cameroun n’avait pas sa propre langue, une langue locale quoi, là là là, j’ai été pris de court pour la question mais après une brève réflexion, je lui ai répondu : -“Nous, au Cameroun, nous avons près de 274 langues locales, vous voyez, le choix d’une de ces langues comme langue officielle n’est pas sans risque de déstabilisation. ” Il a semblé convaincu…mais moi, pas du tout ! Aujoird’hui près de 6 mois après, je me repose toujours cette question pourquoi le Cameroun ne peut-il pas adopter une de ses langues comme langue officielle ? Si une langue devrait adoptée, pour laquelle voteriez-vous ? (Professeur Moriarty, Top secret, Et la langue est, 30/04/2012)

(2) Le Cameroun reste un pays a part. Nous avons plus de 240 langues maternelles : s’il faille que nous nous y attardions dans le but de traduire des documents et autres je suis sur que meme dans 100 ans nous y serons encore pendant que d’autres seront entrain de reflechir sur comment faire pour transformer la poussiere en argent. Si, on m avait par exemple dit, officialisons et canalisons le “pijin ou le camfranglais” pour que ce soit une langue nationale et parle’ par tous les camerounais, jaurais dit d accord car partout au moins, les camerounais auraient eu la chance d’oublier ce qui tribalise encore un peu plus notre pays (J’ai nomme’ langue maternelle): C’est ma facon de voir et, ca n engage que moi (CIN, Pioncarin, Maroua, Dialecte : Langues maternelles, préalables pour le développement, 19/04/2010)

(3) Nous devons commencer par oublier le francais et toutes ces langues maternelles pour

Pour n’apprendre que l’Anglais. Ne me fatiguer pas avec des choses inutiles. Le monde s’anglicane et, nous devons y suivre au risque d’etre toujours les derniers. Le temps de la colonisation quand on avait vraiment besoin de nos langues maternelles est passe (CIN, Pioncarin, Maroua, Langues maternelles, préalable pour le développement, 18/04/2010)

(4) Pour moi, tout cela releve d’une utopie. Au Cameroun en particulier, pour faire d’une langue locale une langue nationale, il y aurait trop d’obstacle à surmonter (et si on estime avoir assez d’énergie pour les surmonter c’est qu’il y’a un certain nombre d’autres problèmes à résoude avant) :

– On a une multitude de langues nationales et même en procédant à de grands regroupements par langues visiblement “cousines” ex: douala-malimba, les langues peules, on devrait se retrouver au minimum avec 4 à 5 groupes linguistiques. Cette hétérogénéité complique sérieusement les choses.

– On n’a pas UN grand groupe tribal majoritaire dans la population et réparti uniformément sur le territoire, ce qui rendrait éventuellement possible l’utilisation de sa langue comme langue d’échange.

– La nouvelle génération perd peu à peu le contact avec le patois (à cause du français et de l’anglais). Nous avons engagé un cap qu’il ne sert à rien d’essayer de redresser maintenant, c’est trop tard. Cette discussion me rappelle dans un contexte plus général, pourquoi j’ai un peu de mal à m’entendre avec les panafricains “sentimentalistes”. Certains me renvoient au livre de Cheikh Anta Diop “les fondements économiques et culturels d’un état fédéral d’afrique noire” où il démontre de façon très douteuse que toutes les langues africaines sont issues d’une même “mère”et dès lors que l’unité de langage peut être assurée. Et il s’agit pour lui d’une condition indispensable pour le développement de l’afrique. Aujourd’hui encore il y’en a qui pensent qu’une union africaine qui ne va pas jusque là ne sert à rien. Comme j’ai dit plus haut, c’est un rêve éveillé. Un cap est déjà engagé (FB, Platon (localisation non indiquée), Et la langue est, 01, 2012).

Ces quatre interventions sont symptomatiques du rejet de l’officialisation ou de la promotion d’une des LN que compte le Cameroun. PROFESSEUR MORIARTY (1) estime que le nombre élevé des LN ne peut pas permettre d’ériger une en langue officielle aux côtés du français et de l’anglais. PIONCARIN (2 et 3) est pessimiste au sujet de leur documentation. Selon lui, le Cameroun accuse un grand retard pour développer son patrimoine linguistique. Il serait donc difficile de promouvoir l’une des LN. S’il est impossible de les documenter, leur enseignement dans des écoles n’est pas évident. Le choix d’une langue paraît difficile à opérer car, il y aurait des conséquences très lourdes. Cette thèse est aussi partagée par PLATON (4) pour qui, le choix d’une LN pouvant devenir langue officielle serait difficile. Il est alors inutile d’engager un processus dont le succès est incertain. Outre le plurilinguisme, les clivages sociaux constituent le second facteur qui suscite les sentiments glottophobes à l’égard des LN.

2.1.2. Les clivages sociaux

Les clivages sociaux justifient l’attitude négative des internautes. Les arguments de cette attitude apparaissent dans les propos suivants :

(5) Elan, le Cameroun est à plus de 50% rural. Donc quand tu dis que les langues locales sont pour le village, ben, sache qu’à part Douala, Yaoundé et éventuellement le Nord, il y a beaucoup de villages au Cameroun. Sinon, comme Platon, je pense qu’il y a aujourd’hui beaucoup trop de clivages entre les tribus pour qu’une langue soit choisie et devienne LA langue nationale (FB, Haroun, Juste derrière toi, Et la langue est, 01/05/2012)

(6) Le cas de ton voisin n’est hélas que légion avec nos frères xxx. Mon Oncle a été pendant plus de 15 ans chauffeurs de camions xxx, mais il était toujours temporaire, jamais intégré dans l’entreprise, alors que de jeunes recrues xxx étaient intégrées en 2 ans parfois moins d’un an. Il a fini par être licencié et aujourd’hui, c’est un débrouillard, malgré son âge. Quand tu entre au Magasin xxx ou dans certains Magasins xxx, les employées se communiquent entre eux en patois. C’est tout dire sur le tribalisme qu’il y a pour entrer dans cette boîte. Mais on est déjà si habitués qu’on ne le dénonce même plus (CIN, Northon, Bokito, Diaspora et Développement: Le Point de vue d’Alain Anyouzoa, 10/07/2008).

(7) C’est une réalité vue et vécue dans un express union à Edéa par un contemporain du toli. Ce n’est pas tout. A la fécafoot de la normalisation, la langue officielle est le mongo beti. Pour le candidat Bell le gueulard, il a comme vice, un Basa’a de Bankon, l’Ebouallo Ekeke. (CF, Nasoïde L’Autochtonologue, France, le 06/08/2015)

Les trois discours ci-dessus ont un dénominateur commun : les LN constituent un facteur qui renforce le tribalisme. HAROUN (5) pense que les discriminations tribales sont une réalité au Cameroun. Ériger une LN en langue officielle serait synonyme de les consolider. NORTHON BOKITO (6) et NASOÏDE L’AUTOCHTONOLOGUE (7) révèlent d’ailleurs quelques manifestations de ce tribalisme portées par la pratique des LN. Le premier raconte une expérience vécue par son oncle dans une société privée camerounaise. Il avait été victime d’une discrimination dont le motif aurait été la différence tribale, et par ricochet, linguistique. Les LN, dans des milieux socioprofessionnels, constituent ainsi un facteur d’intégration (intra-ethnique ou communautaire) et d’exclusion tribale. Il fait constater que Quand tu entre au Magasin xxx ou dans certains Magasins xxx, les employées se communiquent entre eux en patois. C’est tout dire sur le tribalisme qu’il y a pour entrer dans cette boîte.

NASOÏDE L’AUTOCHTONOLOGUE (7) note qu’à l’organe de normalisation de la FECAFOOT, la langue officielle, c’est-à-dire celle qui est quotidiennement utilisée par les agents en service dans cet organe, est le mongo beti : une langue inhérente aux régions du Centre, Sud et Est. Cet argument linguistique traduit, de manière implicite, l’origine ethnique de ces agents. Ces manifestations de clivage social montrent que les institutions et les sociétés publiques, parapubliques et privées se confondraient aux entités ethniques voire tribales. C’est pour cette raison que Mbassi (2003 : 97) pense que l’usage des LN renforce le tribalisme, Selon l’auteur,

La tribalité se transforme en tribalisme quand elle entre en contact avec les enjeux économiques et politiques qui renforcent et amplifient les oppositions et donnent à croire qu’elles sont irréductibles. Chaque tribu-langue revendique son morceau de gâteau national, sa voix au chapitre. L’élite intellectuelle politique administrative et/ou d’affaire, même quand elle se bat pour ses ambitions personnelles, brandit l’étendard tribu-langue qui est un argument sérieux aussi bien dans le cas des groupes au poids démographique important qu’à celui des minorités activistes en ce qui concerne l’égalité des chances pour tous. Le recrutement et la nomination des collaborateurs avec lesquels on pourra parler la langue de l’intimité et de la vérité, en face des étrangers, font le reste. De façon générale, la langue nationale est l’arbre qui cache la forêt des intrigues, des intérêts et des ambitions

2.2. Les sentiments glottophiles

Certains discours traduisent un sentiment glottophile à l’égard des LN car, elles constitueraient un paramètre fondamental pour un développement durable de l’Afrique en général et du Cameroun en particulier. C’est ce qui ressort des discours suivants :

(8) Considérations jetées pêle-mêle, à propos de la langue et du développement.
Le concept de developpement reste à préciser, pour dire qu’on peut parler de développement politique, social, culturel, technique économique, bien que ce dernier soit

celui auquel va très souvent l’esprit. Ces divers domaines de développement peuvent être liés les uns aux autres. Le développement économique peut-il être atteint sans un

certain ferment de fierté culturelle ? La langue comporte de nombreux ressorts. Il en est qui appartiennent à l’affectif pur. Le patriotisme ressortit aussi de l’ordre affectif. Il n’est pas indifférent à un certain développement économique.

Q’est-ce qui est donc au coeur du développement dit économique? En Afrique, on pourrait

risquer le mot : les village en majorité, pardi ! C’est une notion dynamique des villages africains qui est proposée dans le développement, celle des langues dont ils vivent, par conséquent. Comment développer le village sans participation des villageois? Comment concerner les villageois, si on ne peut ni ne sait leur apporter ces vues nouvelles que sont l’intérêt général, le développement économique, la nation, au niveau qui permette leur

adhésion ou leur rejet, etc…Enfin, exemple tiré de l’actualité, qui montre que le formatage des réflexions sur l’Afrique est peut-être ce qui est davantage en jeu que l’inanité de la prise en compte des langues maternelles africaines : l’impact de la prévention du

VIH/SIDA en langues camerounaises www.cameroon-info.net/stories/0,26501,@,vih-sida-la-sensibilisation-de-proximite-porte-ses-fruits.html (CIN, Keko, Yaoundé, Dialectes: Langues maternelles, préalable pour le développement, 24/04/2010).

(9)Un moyen essentiel utilise par la bourgeoisie pour maintenir le peuple dans l’exploitation et la misere, est l’oppression culturelle aujourd’hui, un des instrument de cette oppression culturelle est l’utilisation des langues etrangeres : le FRANCAIS et l’ANGLAIS. Ces langues sont en effet les langues officiellles et elles sont les langues de la politique. Nos langues nationales sont meprisees par les bourgeois ventrus qui, en meme temps, en on honte. Aujourd’ hui, sauf quelques deputes analphbetes du RDPC, seul des gens qui parlent francais ou anglais peuvent faire partie des organes du pouvoir politique. CELA EXCLUT CARREMENT LES MASSES POPULAIRE DE LA POLITIQUE. ON NE LES APPELE QUE POUR LES FAIRE VOTER A 100% SUR DES CHOSES DEJA DECIDEES. Une telle situation est SCANDALEUSE. Car il est impossible de faire participer la masse des gens a la direction des affaires du pays, a la politique , si la politique est faite dans une langue que les gens ne comprennent pas, ne parlent pas, ne maitrisent pas. Le probleme de la langue est donc fondamental. AUCUNE LIBERATION REELLE N’EST POSSIBLE POUR LES PEUPLES AFRICAINS SANS LIBERATION CULTURELLE. ET AUCUNE LIBERATION CULTURELLE NE SERA REELLE SANS L’UTILISATION SYSTEMATIQUE DE NOS LANGUES, SANS LE RETOUR

RADICAL A NOS LANGUES A NOUS. Aucun mensonge neo-colonial ne doit tromper le peuple Kamerunais a ce sujet . Les bourgeois et quelques petits bourgeois africains, surtout intellectuels, pretendent le contraire. Certains disent que desormais, le francais et l’ anglais sont des bien commun de la France, de l’ Angleterre et des peuples Africains (CIN, Bakele, US, Capitol, Langues maternelles, préalable pour le développement, 20/04/2010)

(10) une question quand même: pourquoi il n y a que toi, Africain Noir, Camer, ex-Colonisé de la France, qui pense que pour entrer pleinement dans le monde globalisé du 21ème siècle tu dois abandonner ta langue ?

Les Bresiliens, Indiens, Chinois, Sud-africains (Zulus, Xhosa, etc), Russes, Iraniens), entrent bien et FONT même ce monde qui “s anglicane” comme vous dites. Mais auci-un d’eux n’a abandonné sa langue. Les Sud-Africains vont même à marche forcée vers la rébilitation et l’utilisation de leurs langues. Je connais des projets open source pour traduire en Xhosa les logiciels modernes tels que le paquet MS Office, OpenOffice, Windows, …
Pourquoi êtes vous toujours les seuls à croire que pour participer à la “civilisation de l’universelle” il faut tuer vos ancêtres ? (CIN,
Baba Dadda, Allemagne, Langues maternelles, préalable pour le développement, 19/04/2010).

KEKO (8) pense qu’en Afrique, les seuls développements privilégiés sont de l’ordre politique, social, culturel, technique et économique ; pourtant, les LN délaissées constituent un véritable levier de progrès. Les autres catégories de développement en sont tributaires. Pour un développement durable en Afrique, la participation des villageois est fondamentale. Elle devrait passer par l’usage des LN. Les langues officielles présentent ainsi des faiblesses à l’échelle rurale. Pour prouver la pertinence de son point de vue, l’internaute prend un exemple de la sensibilisation au VIH/SIDA.

BAKELE (9) estime que PIONCARIN n’a pas raison de soutenir l’apprentissage exclusif de l’anglais, sous prétexte que le monde actuel s’anglicise. Selon lui, les langues européennes constituent un facteur d’oppression ou de néo-colonisation de l’Afrique. La liberté de ce continent s’obtiendra dès lors que les LN remplaceront les langues des colonisateurs. Leur usage serait à l’origine de l’exclusion des couches sociales qui ne maîtrisent ni le français, ni l’anglais. Dans cette optique, BAKELE prône un retour radical à nos langues à nous.

Plus mitigée est l’intervention de DADDA (10) qui pense qu’en Afrique, il est possible de promouvoir le français et l’anglais, sans pour autant négliger les LN. Il indique les pays qui ont adopté l’anglais, mais œuvrent pour la promotion de leurs identités linguistiques. Il démontre d’ailleurs que ces différentes LN s’adaptent bel et bien aux TIC. Pour lui donc, participer à la civilisation de l’universelle ne devrait pas être synonyme de l’abandon des LN.

Quoi qu’il en soit, la question liée à la promotion des LN est au cœur des débats polémiques. On peut dire que les discours des internautes examinés sont symptomatiques de ces points de vue divergents des Camerounais. Quand les uns soutiennent la promotion des LN, les autres la rejettent. Nous sommes donc face à un dilemme qui nécessite la prise en compte des orientations pouvant faire la synthèse de la diversité linguistique du pays.

3. Quand une langue hybride rime avec l’harmonie sociale : le choix du camfranglais

Face à la problématique du choix d’une LN pour l’enseigner et l’ériger en langue officielle, les internautes proposent la prise en compte du camfranglais. C’est ce qui ressort des interventions suivantes :

(11) AUCUNE ! Je dis bien AUCUNE ! C’est nada, nièt (non), hors de question ! D’ailleurs, si ca ne dépendait que de moi on devait interdire l’usage de ces langues nationales dans tous les lieux publics. Le patois c’est pour le village et la maison ! Je préfère même encore qu’on érige le camfran en langue offcielle. Tendance (FB, Elan d’Anjou de PimpPim, Dans le Nchoutou, Et la langue est, 30/04/2012).

(12) Notre toppo devrait deja avoir 1h par semaine au school (et non obligatoire pour un debut) […]. Les autres cours au school doivent rester normalo en french et en anglais MAIS il faut legaliser ce toppo et put dans les manuelles. Dans ce Camer qui tend vers le tribalisme ce way est une arme strong pour combattre car il rassemble all les mot du mboa (CIN, Nsissim, Monatélé, FranAnglais :New language for divided Cameroon, 23/02/2007) [notre langue devait déjà avoir une heure par semaine dans l’enseignement (et non obligatoire pour un début) […]. A l’école, les autres cours devraient se faire normalement en français et en anglais. Mais il faut accorder des statuts officiels à cette langue et en produire des ouvrages. Dans ce Cameroun qui tend vers le tribalisme, cette langue est une arme puissante pour le combattre car, elle rassemble tous les peuples du pays]

(13) How que le djo la falla a formater notre jeunesse. Moi je ya mo le camfranglai et c’est sure que le way la rapproche all les camers. le kengué la ne know mm pas que de paris à johannesbourg et de rio de janeiro à casablanca quant tu nyè un camer tu lui ask d’abord que c’est how mbom. Heureusement qu’il y a l’hunanimité sur CIN aumoins sur ce sujet. Quand les ways begin il y a tjrs les réticences, je me souviens dans les années 90 quand mon pater ne yaai pas mo qu’on speak le camfranglais à la piole en 2000 ctai lui qui lancai les débats en camfranglais. Le mbom qui veux devenir président du camer j’espere que dans ton programme tu nous prévois un comité de reflexion sur le camfranglais d’ici 2020 pourquoi ne pas en faire notre langue nationale… notre langue nationale (CIN, Bantouclan, somewhere, FranAnglais : New language for divided Cameroon, 22/2007) [comment est-ce que cet homme cherche à détourner notre jeunesse. Moi j’aime le CFA et c’est sûr qu’il rassemble tous les Camerounais. Ce fainéant-là ne sais pas que de Paris à Johannesburg et de Rio de Janeiro à Casablanca, quand tu rencontres un Camerounais, tu lui demandes d’abord que c’est comment gars. Heureusement qu’il y a l’unanimité sur CIN (camerooninfo.net) sur ce sujet. Quand les choses commencent, il y a toujours des réticences, je me souviens que dans les années 90, mon père ne voulait pas que nous parlions le CFA à la maison. En 2000, c’était lui qui initiait des débats en cette langue. L’homme qui veut devenir président du Cameroun, j’espère que dans ton programme, tu nous prévois un comité de réflexion sur le camfranglais d’ici 2020. Pourquoi ne pas en faire notre langue nationale ?]

En lieu et place des LN susceptibles de susciter des tensions et des clivages sociaux, les internautes proposent que le camfranglais soit érigé en LN (qui serait enseigné et parlé par tous les Camerounais) et en langue officielle. Pour ELAN D’ANJOU DE PIMPIM (11), l’usage des LN dans des lieux publics doit être proscrit. Le camfranglais est la seule langue qui peut renforcer l’unité nationale. Certains, comme NSISSIM (12) estiment que ce camfranglais devrait déjà être enseigné dans les écoles du Cameroun, aux côtés du français, de l’anglais et des langues étrangères. L’avantage du camfranglais est qu’il peut réduire les discriminations tribales portées par les LN. En considérant l’expérience de BANTOUCLAN (13), il est parlé aussi bien par des jeunes que par des adultes.

En somme, les discours des internautes analysés présentent des représentations glottophobes et glottophiles des LN. Les images glottophiles véhiculent des thèses en faveur de leur promotion. Leur particularité est qu’elles traduisent une revendication identitaire et une stigmatisation des langues importées. Quant aux thèses glottophobes vis-à-vis des LN, elles proposent leur rejet au profit du camfranglais. Pour les pourfendeurs des LN, elles seraient à l’origine des maux tels que les discriminations tribales et le favoritisme. En proposant la valorisation du camfranglais, on pourrait croire que l’unité linguistique rime avec l’abolition des maux sus-évoqués.

4. Promotion des LN au cœur de l’intégration nationale

Si certains internautes expriment leur pessimisme au sujet de la promotion des LN, cela pourrait signifier que l’engagement de l’Etat du Cameroun à développer ces langues n’est pas pertinent. Nous considérons que les représentations des internautes vis-à-vis des LN et du camfranglais sont révélatrices des aspirations linguistiques du peuple camerounais. Dans ces conditions, il serait nécessaire de les prendre en compte pour une bonne gestion glottopolitique. C’est à ce titre que Guespin et Marcelessi (1986 : 8) pensent qu’

une politique démocratique de la langue exige une information linguistique en deux directions. En direction des « décideurs », qui doivent prendre conscience que les mesures glottopolitiques ne trouvent leur efficacité que dans la conviction des usagers. Ceci ne passe pas essentiellement par une amélioration de leur rhétorique : tous les usagers doivent participer à l’enquête, à la discussion, à la décision. Les problèmes qui viendront en débat auront nécessairement alors des aspects autres que proprement linguistiques : les responsables devront comprendre que, loin d’organiser seulement un débat sur la langue, c’est forcément dans une confrontation sur les rapports d’interaction entre identité sociale et pratiques langagières qu’ils sont engagés.

Au regard de cette orientation glottopolitique, l’on peut se demander ce qu’il y a lieu de faire pour la promotion des LN. Comment concilier les LN et l’intégration nationale ? Afin de proposer une réponse à cette question, nous postulons trois défis glottopolitiques à relever.

4.1. Sensibilisation du peuple au processus de la promotion des LN

Les discours épilinguistiques des internautes montrent qu’il y a une divergence entre les objectifs étatiques et les aspirations sociales. Le gouvernement du Cameroun a résolument entamé la promotion des LN, non pas dans l’optique d’ériger une en langue officielle, mais de les protéger et de les promouvoir au sein des communautés sociales. Que ce soient la loi fondamentale du Cameroun, les lois qui régissent la gestion des LN dans le cadre de la décentralisation ou même la vision du Président Biya (1987), l’enseignement-apprentissage des LN ne visent pas à leur accorder (à court terme) le statut de langues officielles. L’article 1 (alinéa 3) de la Constitution est explicite : « la République du Cameroun adopte l’anglais et le français comme langues officielles d’égale valeur. Elle garantit la promotion du bilinguisme sur toute l’étendue du territoire. Elle œuvre pour la protection et la promotion des langues nationales ». Le Président Biya (1987 : 116-117), pour sa part, dira qu’il « considère […] notre diversité linguistique comme un privilège culturel. Face à cette richesse linguistique […], il importe de ce fait que chaque langue exprime la culture qu’elle véhicule».

La politique de la décentralisation vient réconforter ces positions. La Loi n°2004/019 stipule qu’en « matière des langues nationales », les compétences suivantes sont transférées aux régions :

La maîtrise fonctionnelle des langues nationales et la mise au point de la carte linguistique régionale ; la participation à la promotion de l’édition en langues nationales ; la promotion de la presse parlée et écrite en langues nationales ; la mise en place d’infrastructures et d’équipements.

Compte tenu de ces mécanismes institutionnels mis en place, la promotion des LN est synonyme de leur vitalité et de leur protection. L’option de l’Etat n’est pas nécessairement celle que les internautes redoutent. L’Etat privilégie l’identisation linguistique qui se réfère à un processus d’individualisation, de construction de la spécificité d’un individu appartenant à un groupe restreint (Fasal Kanouté, 2002 : 173). Dans ces conditions, le développement des LN visera la croissance intra-communautaire. Or il s’avère que les populations camerounaises ne sont pas suffisamment informées de cette politique linguistique. Il y a donc nécessité de sensibiliser suffisamment le peuple et chercher à comprendre ses aspirations en matière de langues, afin d’éviter des interprétations erronées.

4.2. Formation des enseignants à la didactique de l’alterlinguistique

L’une des stratégies de promotion des LN devant générer une intégration nationale effective serait la formation des enseignants à la didactique de l’alterlinguistique qui implique l’interculturalité. On pourra amener les enseignants-chercheurs à ne pas s’intéresser uniquement à leur langue identitaire ; mais aussi aux composantes linguistiques extra-identitaires. A cet égard, ils pourraient les documenter et concevoir des grammaires, des dictionnaires et des manuels scolaires. Un enseignant de langues et cultures camerounaises pourra ainsi enseigner la langue d’une autre composante ethnique qui ne lui est guère étrangère, puisque ces entités ethniques partagent certains facteurs de manière forte, mitigée ou faible : espaces, cultures, traditions, etc. Dans ces conditions, les thèses défavorables à la promotion des LN ne seront plus pertinentes. C’est d’ailleurs ce que propose Feussi (2010 : 25), notamment l’approche alter-réflexive qui

faciliterait un développement de compétences [permettant] de considérer la pluralité des langues comme ressources et non comme un frein. En focalisant les analyses sur les pratiques observables, elle devient interventionniste en ce sens que les activités didactiques s’apparenteraient à une action du didacticien dans les pratiques de classes, une manière de relativiser les normes et les langues observées. Avec les apprenants, le cours devient dès lors une expérience interactionnelle.

Cette approche permettrait de se rapprocher de la culture de l’hybridité qui tend à devenir le dénominateur commun des sociétés contemporaines, sans toutefois perdre les valeurs intrinsèques des peuples.

Toutes ces mesures seraient effectives à condition que l’Etat, à travers les ministères en charge de l’enseignement supérieur et la recherche scientifique, adopte des politiques idoines pour encourager les recherches sur l’interculturalité, qui jusqu’ici, demeure peu connue et peu appliquée au Cameroun. Il peut par exemple financer les projets axés sur ce champ heuristique.

4.3. Application de l’apprentissage alterlinguistique

L’un des facteurs qui suscitent les sentiments glottophobes vis-à-vis des LN est la frontérisation/discrimination (Tsofack et Kengue Donfouet, 2016) sociale. De fait, depuis l’obtention de l’indépendance, la thèse qui a milité pour le choix du français et l’anglais comme langues officielles est le plurilinguisme social qui ne peut pas favoriser l’intégration nationale. Or comment réduire, grâce à l’école, les clivages sociaux portés par des LN ?

L’intégration nationale constitue un pan très proche de l’interculturalité. Dès lors, l’enseignement-apprentissage des LN peut être organisé autrement. Au lieu d’amener les élèves à apprendre seulement leur langue identitaire à l’école, ils apprendront la langue de d’une autre ethnie. Cet apprentissage sera fonction des contextes rural et urbain.

i En contexte urbain

On pourra déterminer les compétences-performances de chaque apprenant. Ceux qui présentent une très bonne compétence en leur langue identitaire l’apprendront en quelques années, en insistant sur les aspects systémiques (écriture, lexique, morphologie, syntaxe, tons, etc.). Le reste du temps sera consacré à l’apprentissage d’une autre LN à leur convenance. Ceux qui auront un niveau moyen en leur langue identitaire l’apprendront pendant la première moitié de leur cycle de scolarisation. La seconde phase sera axée sur l’apprentissage d’une autre LN qu’ils auront choisie.

En revanche, les apprenants n’ayant pas de compétences en leur langue identitaire l’apprendront, tout au long de leur parcours scolaire. Enfin, on pourrait avoir une catégorie d’apprenants qui choisira délibérément une langue des LN retenues pour l’enseignement-apprentissage.

ii En contexte rural

Même si l’on constate des mutations sociolinguistiques dues à la mobilité sociale en milieux ruraux qui deviennent de plus en plus péri-urbains, il faudrait reconnaître que les LN y sont majoritairement pratiquées. On peut concevoir des parcours pédagogiques devant renforcer le processus d’intégration nationale dont la consolidation semble tributaire de la maîtrise de plusieurs LN. On distinguera, dès le début du processus didactique, les catégories d’apprenants. Ainsi, ceux qui auront une bonne maîtrise de leur langue identitaire, parce qu’ils l’auront acquise dans le cadre familial, pourraient l’apprendre pendant la première moitié du cycle scolaire ; afin d’en maîtriser son fonctionnement systémique. Ils apprendront donc une autre LN à la seconde moitié de leur cursus scolaire.

Dans ce cas, l’instrumentalisation des langues identitaires pourrait être réduite. Le tribalisme céderait la place à la tribalité. La notion même de tribalité serait flexible, car une tribu deviendrait, non pas une entité close et statique, mais dynamique, variable et surtout construite en fonction des contextes et des enjeux.

Quant aux apprenants qui ne maîtrisent pas leur langue identitaire, à cause des facteurs multiples (mariage exogamique, négligence parentale, etc.), ils seront astreints à l’apprendre durant tout le parcours scolaire.

Conclusion

En définitive, les constructions épilinguistiques en lien avec la problématique des langues au Cameroun permettent de saisir les images négatives et positives liées aux LN et au camfranglais. Les premières mettent l’accent sur la stigmatisation des LN. Leurs tenants sont symptomatiques des opinions sociales. Plusieurs raisons sont défavorables à l’enseignement et la promotion des LN. Les arguments les plus saillants sont : leur instrumentalisation, dont le but est de transformer la tribalité en tribalisme, leur pluralité qui rend difficile le travail de documentation, l’impossibilité d’ériger une ou certaines LN en langues officielles. Ces arguments sont donc à l’origine des représentations glottophobes. Quant aux internautes qui émettent des avis favorables aux LN, les arguments évoqués sont : la valorisation de l’identité culturelle et le développement durable. Selon certains internautes, le camfranglais apparaît comme la seule langue susceptible de favoriser une intégration nationale réussie. Face à ces positions polémiques, il convient de repenser le processus d’enseignement-apprentissage des LN. Si les discours métalinguistiques en faveur des LN ont stimulé les décisions étatiques, il faudrait dorénavant prendre en compte les discours épilinguistiques et même les consultations sociales à l’échelle régionale et nationale, afin de mettre sur pied une glottopolitique nationale fiable, pour un développement durable orchestré par les LN. Il nous semble que c’est l’une des tâches de la Commission Nationale pour la Promotion du Bilinguisme et du Multiculturalisme ; consistant à « mener toute étude ou investigation et proposer toutes mesures de nature à renforcer le caractère bilingue et multiculturel du Cameroun » (Décret, 2016 : 2). Ainsi donc, loin de revenir sur certaines propositions, nous avons suggéré trois défis majeurs liés à l’enseignement-apprentissage des LN. Leur dénominateur commun est la didactique de l’alterlinguistique. Nous pensons que cette perspective peut réduire les clivages sociaux et renforcer l’intégration nationale. Son avantage est qu’elle est proche de la culture de l’hybridité que soutiennent les pourfendeurs des LN et qui se manifeste par le camfranglais.

Références bibliographiques

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www.bonaberi.com

www.camerooninfo.net

www.camfoot.com

1 Pour plus de détails critiques de l’approche quantitative, on pourra se référer aux réflexions de Blanchet (2007 et 2000), Robillard Didier de (2007), Feussi (2010), Pierozak et al. (2013).