La kafala, une solution à mi parcours

Fatima-Zohra SEBAA-DELLADJ
Université Mohamed Ben Ahmed Oran 2

Abstract

Kafala is defined as a commitment to voluntarily support the education, maintenance and protection of a minor child. It is a legal act and according to the texts, the holder of the right of legal collection “kafil”, must be “muslim, sensible, honest, able to maintain the child ” makfoul “and” able to protect him.
The status of these children in their foster family in legal and administrative terms may be problematic in the event of a change in the family situation. Indeed, the fate of the mekfoul child in cases of revocation of kafala, death of the father or divorce is still a problem in Algeria.
We question the status of these children in their foster family, in legal and administrative and psychosocial terms.
If the child is to be treated “as a legitimate son”, it is not one in fact, and it is often around questions of name and inheritance that the breaking point is inscribed.

Key words: Kafala / Adoption, Family, parenthood, social link

Résumé

La kafala est définie comme étant un engagement de prendre bénévolement en charge l’éducation, l’entretien et la protection d’un enfant mineur. C’est un acte légal et selon les textes en vigueur, le titulaire du droit de recueil légal « kafil » doit être « musulman, sensé, intègre, à même d’entretenir l’enfant recueilli « makfoul » et « capable de le protéger ».
le statut de ces enfants au sein de leur famille d’accueil en termes juridiques et administratifs peut poser problème en cas de changement de la situation familiale. En effet, le sort de l’enfant mekfoul dans les cas de révocation de la kafala, de décès du père ou de divorce pose toujours problème en Algérie.
Nous nous interrogerons sur le statut de ces enfants au sein de leur famille d’accueil, en termes juridiques et administratifs et psychosociaux. Si l’enfant recueilli doit être traité « comme un fils légitime », il n’en est pourtant pas un dans les faits, et c’est souvent autour des questions de nom et d’héritage que s’inscrit le point de rupture.

Mots clefs : Kafala/Adoption, Famille, parentalité, lien social

Introduction

Actuellement en Algérie, les naissances d’enfants illégitimes (nés hors mariage) avoisineraient les 5.000 à l’échelle du pays (sur plus de 800.000 naissances annuelles2). On estime à près de 3.000 par an le nombre de nourrissons abandonnés, un chiffre demeuré stable depuis deux décennies. Toutefois, l’ensemble de ces nourrissons abandonnés ne passe pas systématiquement par le circuit officiel et cela laisse à penser que le « chiffre noir », englobant notamment les arrangements officieux entre un couple et une mère célibataire, est considérable.

Comme pour de nombreux phénomènes en Algérie, le problème de recueil de données chiffrées reste posé. Les statistiques sont souvent fournies de manière parcellaire et non actualisée. En 2011, le quotidien El Moudjahid3 annonçait que sur les 1.886 enfants abandonnés enregistrés au cours des quatre premiers mois de l’année en cours, 1.393 ont été placés grâce à la kafala au niveau national et 176  d’entre eux, ont pu être adoptés par des algériens vivant à l’étranger.

Le premier constat à faire est qu’une grande partie des enfants abandonnés est recueillie légalement dans le cadre de la kafala. Celle-ci connaîtra une évolution par deux fois : dans le Code de la famille de 1984, dont le chapitre sur la kafala (Art. 116 à 125) n’a pas subi d’amendement en 2005 et en 1992, où un décret exécutif, autorise la concordance de nom entre parents adoptifs « kafil » et l’enfant recueilli «makfoul ».

La kafala est définie comme étant un engagement de prendre bénévolement en charge l’éducation, l’entretien et la protection d’un enfant mineur. C’est un acte légal et selon les textes en vigueur, le titulaire du droit de recueil légal « kafil » doit être « musulman, sensé, intègre, à même d’entretenir l’enfant recueilli « makfoul » et « capable de le protéger ».

« La kafala n’est pas une institution du droit musulman ; c’est une institution de droit civil : être kafil, c’est se porter garant de quelqu’un et lorsqu’on se porte garant de quelqu’un, on paie au cas où il y a une défaillance de ce dernier » N. Aït Zaï4

Mais il s’agit également de s’interroger sur le statut de ces enfants au sein de leur famille d’accueil, en termes juridiques et administratifs et psychosociaux. Sur le sort de l’enfant makfoul dans les cas de révocation de la kafala, de décès du père ou de divorce.

  1. La kafala, la Convention Internationale des Droits de l’Enfant et la législation algérienne

La kafala est un concept juridique reconnu par le droit international. En effet, la Convention Internationale relative aux droits de l’enfant énonce, en son article 20 que : « tout enfant, qui est temporairement ou définitivement, privé de son milieu familial ou qui dans son propre intérêt ne peut être laissé dans ce milieu, a droit à la protection de l’Etat, tout en précisant que chaque Etat peut adopter une protection conforme à sa législation nationale » qui peut être de droit musulman et opter pour la kafala (Art. 20(3)). Mais dans tous les cas, il revient aux Etats de s’assurer du respect de l’intérêt supérieur de l’enfant (Art.21).

La Convention Internationale des Droits de l’Enfant

C’est après la seconde guerre mondiale et la maîtrise progressive de la procréation que la valeur affective de l’enfant prend un sens. Il n’est plus considéré comme un adulte en miniature, mais une personne ayant des besoins propres de développement.

L’engagement quasi général de la communauté mondiale à défendre les droits de l’enfant et la promulgation d’une législation pour garantir sa protection où qu’il se trouve, témoigne de la prise de conscience par les Etats signataires, des besoins fondamentaux incontestables de l’enfant.

Un projet sur les droits de l’enfant proposé en 1953, fût mis de côté et la Convention internationale des droits de l’enfant ne vit le jour que le 20 novembre 1989 après des années de débats et de multiples réserves pour tenir compte des exigences des Etats (qui ne l’ont d’ailleurs pas tous ratifiée à l’instar des Etats-Unis) ou qui ont émis des réserves sur certains articles.

La plupart des pays de droit musulman prohibent l’adoption ou « tabbâni » au motif entre autres, qu’il serait injuste de priver définitivement l’enfant ou les parents du lien de filiation biologique. En revanche, ces pays, conscients du délicat problème des enfants nés sous x, et donc dépourvus de filiation biologique connue, disposent d’une mesure judiciaire, la kafala, permettant le recueil légal d’un enfant pour en assurer bénévolement l’éducation et la protection.

Que dit la législation algérienne ?

L’enfant abandonné peut être recueilli légalement par un couple et ce conformément à l’article 116 du code de la famille5. De même, l’article 119 prévoit que « l’enfant recueilli peut être de filiation connue ou inconnue ». La kafala est donc consacrée par décision de justice. Le tribunal est saisi par une requête présentée par le kafîl. Suite à cela un jugement définitif accordant la kafala est rendu. Un extrait est alors transmis à l’officier de l’état-civil aux fins de transcription en marge de l’acte de naissance de l’enfant recueilli. Il est ainsi placé dans les mêmes conditions que l’enfant légitime né dans le cadre du mariage et il va bénéficier des mêmes droits et sera soumis aux mêmes obligations. Pour l’héritage, le kafîl peut désigner l’enfant recueilli comme légataire, mais, s’il y a opposition des héritiers du kafil, l’enfant aura droit au tiers seulement. La codification dispose encore qu’« au-delà de ce tiers, la disposition testamentaire est nulle et de nul effet, sauf consentement des héritiers » (Art. 123 du Code de la famille).

  1. La kafala : Une parenté sociale légalisée

L’interdiction de l’adoption en islam est fondée sur l’interprétation d’un verset du Coran intitulé « El Ahzab » (les coalisés) qui prescrit, à propos des enfants recueillis : « Appelez-les du nom de leur père : c’est plus équitable devant Allah, mais si vous ne connaissez pas leurs pères, alors considérez-les comme vos frères en religion ou vos alliés. Nul blâme sur vous pour ce que vous faites par erreur, mais (vous serez blâmés pour) ce que vos cœurs font délibérément. Allah, cependant, pardonne et est miséricordieux » (Sourate 33-V5). En revanche, le droit musulman reconnaît la kafala qui est l’engagement de prendre bénévolement en charge l’entretien, l’éducation et la protection d’un enfant mineur, au même titre que le ferait un père pour son enfant, (comme le souligne l’article 116 du Code de la famille algérien).

A l’instar de la religion chrétienne, l’Islam a privilégié le système patrilinéaire et a opté pour l’institution du mariage. Il a considéré la famille comme la structure de base de la société ; il édicta des principes et des règles pour la protéger contre toute transgression. Selon l’origine de la privation de parents, le droit musulman classe les enfants en trois catégories : légale (enfants nés dans le mariage), illégale (nés hors mariage) et d’origine inconnue (enfants trouvés).

Comme la plupart des pays soumis à une législation musulmane, l’Algérie prohibe l’adoption comme moyen de création d’un lien de filiation. Ce choix législatif s’explique par l’argument religieux (dans le sens où la pratique religieuse légitime des normes, des pratiques, des interdits sociaux) mais aussi par un certain modèle normatif de la famille fondé sur le principe de primauté donnée aux liens consanguins. Mais dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix et même présentement, de grandes mutations sociales sont vécues par la formation sociale algérienne et impliquent donc des redéfinitions des rôles sociaux. On constate l’apparition de nouvelles normes familiales (scolarisation et travail des femmes, célibat en augmentation, mères célibataires…) et notamment une forme nouvelle de parenté « où les parents ne sont pas forcément les géniteurs des enfants qu’ils élèvent » (Bettahar 20076).

L’institutionnalisation de la kafala en tant que recueil légal d’enfants, émane d’une volonté des autorités publiques de se positionner contre l’adoption, en adéquation avec une interprétation de trois versets coraniques (Versets 4, 5 et 37 de la sourate 23), mais sa légalisation émane aussi d’une prise de conscience qu’une politique de gestion de l’enfance abandonnée, phénomène qui s’est intensifié dans les années quatre-vingt, doit nécessairement être élaborée et mise en œuvre.

Le Code de la famille reconnait pour la première fois l’existence d’une catégorie de mineurs, sans réel statut social, jusqu’ici invisible et frappée d’ostracisme et par conséquent reconnait ainsi un statut aux mères célibataires. La kafala est donc l’histoire d’une reconnaissance, celle des enfants illégitimes et abandonnés.

  1. La kafala : Problèmes non résolus

Si l’enfant recueilli doit être traité « comme un fils légitime », il n’en est pourtant pas un dans les faits, et c’est souvent autour des questions de nom et d’héritage que s’inscrit le point de rupture. Le makfoul ne prenait pas le patronyme et n’hérite pas de son kafil. On constate que les rares kafala, prononcées entre 1984 et 1992 (date du Décret exécutif n°92-24 du 13 janvier 1992 complétant le décret n°71-157 du 3 juin 1971, relatif au changement de nom) en faveur d’enfants abandonnés, l’étaient dans le secret le plus absolu. Si les parents tuteurs considéraient dans la plupart des cas, leur makfoul comme étant pleinement leur enfant, la kafala n’en faisait qu’un « ersatz » d’enfant.

  1. Le problème du nom

L’enfant dès sa naissance a droit à un nom et à une nationalité. Ces droits fondamentaux sont proclamés par les articles 7 et 8 de la Convention Internationale sur les droits de l’enfant, mais également par la Charte Africaine des Droits et du Bien être de l’enfant7.

Ainsi tout enfant qui naît sur le territoire algérien est obligatoirement déclaré dans les cinq jours de l’accouchement à l’Officier d’état civil du lieu de naissance sous peine de sanctions prévues à l’article 442 alinéa 3 du code pénal. (Art 61du code de l’état civil – Ordonnance N° 70 20 du 19-07-1970).

Cette obligation de déclaration est faite au père ou à la mère ou, à défaut, au médecin ou sage femme qui ont assisté à l’accouchement. L’acte de naissance comporte un nom et prénoms donnés à l’enfant (Art 63 du code de l’état civil).

Si les parents sont mariés, l’enfant est affilié à son père (article 41 du Code de la famille). Le nom d’un homme s’étend à ses enfants du fait du mariage légal (Art. 28 code civil, article 41 code de la famille).

En cas de non mariage, le nom de l’enfant est celui du parent qui l’a reconnu le premier, c’est le cas de l’enfant de la mère célibataire, qui lorsqu’elle n’abandonne pas définitivement son enfant, le reconnaît à la naissance et le garde : c’est la filiation naturelle. Notons ici, l’absence de dénomination du « père célibataire », mais il est possible et permis au père de reconnaître l’enfant affilié à la mère uniquement par une procédure légitimant le mariage religieux, censé avoir été conclu entre les deux parents. Un jugement civil légitimera ce mariage, conclu en la forme coutumière : cet acte permettra la reconnaissance de l’enfant par le père qui lui donnera alors son nom. Ce qui veut dire en clair qu’un père biologique ne peut reconnaître son enfant que s’il est marié religieusement par la Fataha. Si nous voulons agir pour faciliter l’insertion dans une société pas toujours tolérante à l’égard des enfants issus d’une relation extra conjugale, nous devons nous pencher sur tous ces aspects.

L’abandon définitif par la mère qui renonce à créer tout lien juridique avec son enfant en demandant le secret de l’accouchement, empêchera l’enfant de connaître ses origines. L’enfant abandonné sera, comme le nouveau né trouvé, placé sous la tutelle de l’Etat dans l’attente d’être confié à une famille désireuse de le recueillir légalement dans le cadre de la kafala.

L’enfant recueilli doit garder sa filiation d’origine s’il est de parents connus. Dans le cas contraire, l’agent de l’état civil lui choisit deux prénoms dont le dernier lui sert de nom patronymique (Art. 64 du Code de l’état civil) et ceci constituera un handicap sérieux quand on sait que c’est l’appartenance filiale qui définit socialement les individus. N’étant pas reliés par le même patronyme, lui et ses parents kafil vont supporter le poids de ce stigmate tout au long de leur existence. La législation algérienne tentera de remédier à ce problème par la promulgation du décret de concordance de nom8 qui sera à l’origine d’une envolée remarquable du nombre de requêtes en kafala au point où la demande des familles va dépasser l’offre des institutions.

Une demande de changement de nom peut être faite au bénéfice d’un enfant mineur né de père et mère inconnus, par les personnes l’ayant recueilli. Le nom est modifié par ordonnance du Président du Tribunal prononcé sur réquisition du Procureur de la République saisi par le Ministre de la justice. Jusque-là cette procédure de changement de nom se passait plus ou moins bien. Mais certains tribunaux continuent à faire obstacle ou même à retarder le changement de nom par une interprétation à la lettre du 2ème paragraphe de l’article 1 du décret du 13 janvier 1992 qui stipule que : « Lorsque la mère de l’enfant mineur est connue et vivante, l’accord de cette dernière, donné en la forme authentique, doit accompagner la requête ». Certains tribunaux exigent cet accord de la mère de l’enfant mineur, au vu de l’extrait de naissance de l’enfant sur lequel le nom de la mère est porté.

Mais, souvent, la mère qui a donné son nom peut avoir soit disparue en abandonnant l’enfant après le délai qui lui était imparti (3 mois à renouveler tous les mois), ce qui mène inexorablement au prononcé de l’abandon définitif, soit abandonné l’enfant définitivement dès l’accouchement, un procès verbal d’abandon définitif étant alors établi à la naissance de l’enfant. Dans les deux cas, l’enfant recueilli par une pouponnière est déclaré pupille de l’Etat et placé sous tutelle des services concernés.

On ne peut donc demander à une mère qui a abandonné définitivement l’enfant en demandant le secret de l’accouchement bien qu’ayant donné son nom, d’établir un acte ou figure son accord ou son autorisation au changement de nom demandé par les kafils. On ne peut pas le demander non plus à une mère qui a reconnu l’enfant et qui a disparu sans laisser de traces pendant le délai qui lui était imparti (3 mois), rendant l’abandon provisoire définitif.

Mais l’intérêt supérieur de l’enfant doit être le critère primordial devant guider le tribunal dans la décision à prendre : l’enfant doit donc avoir un nom qui corresponde à celui de la famille d’accueil. Ceci est dans l’intérêt supérieur de l’enfant.

  1. L’énigmatique devenir du makfoul en fonction de la situation familiale

L’article 125 du code de la famille, d’ailleurs controversé, dispose qu’« en cas de décès, le droit de recueil légal est transmis aux héritiers, s’ils s’engagent à l’assurer. Au cas contraire, le juge attribue la garde de l’enfant à l’institution compétente en matière d’assistance ». En interprétant cet article, la mère est donc exclue au profit des héritiers, dans l’exercice de la tutelle sur l’enfant makfoul lors du décès du père kafil. La même situation d’exclusion de la mère en tant que kafil peut se présenter en cas de divorce entre le père et la mère du makfoul, car l’exercice de la garde de l’enfant est confié au père kafil, l’acte du recueil légal étant établi à son nom.

En guise de solution, de nombreuses associations et juristes spécialistes de la question proposent que le Juge ou le Notaire prononçant la kafala, veillent à porter sur l’acte de kafala, les noms et prénoms des époux au profit desquels est prononcée la kafala pour mettre le père et la mère du makfoul au même niveau de responsabilité.

Une fetwa émise en 1991 par le Conseil Supérieur Islamique, autorisant la concordance de nom entre le « kafil » et le « makfoul » (Décret exécutif signé le 13 janvier 1992) permettant à l’enfant « makfoul » d’obtenir le nom de la famille kafila sur les actes et extraits d’acte civil avec la mention marginale «enfant makfoul », met juridiquement un terme à l’injustice qui frappait l’enfant privé de famille. Cependant, deux ans après, en août 1994, le Ministère de l’Intérieur et des Collectivités locales transmet une circulaire à l’attention des Présidents d’Assemblée Populaire Communal, en leur signifiant l’interdiction de porter l’enfant « makfoul » sur le livret de famille.

Mais de l’avis des spécialistes, tant sur le plan juridique que psychologique, cette disposition, qui représente la préoccupation principale des familles kafilate, est nécessaire afin d’assurer une intégration harmonieuse de l’enfant dans le milieu familial et dans les institutions qu’ils fréquentent, comme l’institution scolaire.

  1. Décès du kafil

Au décès du kafil, le droit au recueil légal est transféré aux héritiers, alors que pour l’enfant légitime la tutelle est transférée de droit à la mère. C’est pourquoi dans cette situation la tutelle devrait être transférée à la mère et non aux héritiers. L’enfant a été voulu et attendu par la mère kafila, et il faudrait que les règles concernant la tutelle d’un enfant légitime soient appliquées à l’enfant recueilli pour ne pas créer de discriminations.

Ce qui complique la situation de l’enfant makfoul, c’est que le législateur permet aux héritiers d’entreprendre l’action en abandon de la kafala, s’ils le désirent, auprès de la juridiction qui l’a ordonné. La transmission de ce droit au recueil légal aux héritiers, leur permet de s’engager à l’assurer mais dans le cas contraire, à leur demande, le Juge attribue la garde de l’enfant à l’institution compétente pour le recueillir (Foyers pour enfants assistés).

Bien entendu, parmi les héritiers figure la mère adoptive mais le droit au recueil légal ne lui est pas transféré automatiquement. La transmission du recueil légal doit se faire à son profit et non être subordonnée à un engagement des héritiers. Comme le dit A. Benecheneb9: « … pour ignorer que l’engagement de kafala est le fait des conjoints, le législateur en a fait tantôt un engagement individuel, tantôt un engagement collectif ».

  1. Séparation/divorce des époux

Ainsi, l’exercice de la garde de l’enfant est confié au père kafil car l’acte du recueil légal est établi à son nom. C’est toujours dans le même esprit, qu’un enfant placé en kafala à sa naissance dans une famille, et ayant bénéficié de la concordance de nom avec rectification de son état civil, a été restitué à l’âge de quatre (4) ans à l’institution compétente après le divorce de ses parents kafil car aucun d’eux ne voulait le garder : il a été procédé à la révocabilité de l’acte de kafala et à celle de la concordance de nom mais qu’en sera t-il de son développement psychologique suite à cette situation ?

C’est pourquoi le Juge saisi de la demande de divorce doit au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant, confier la garde à la mère comme s’il s’agissait d’un enfant légitime, accorder au kafil un droit de visite et le condamner à payer une pension alimentaire à l’enfant mineur.

En dépit de toutes les insuffisances juridiques qui entourent la kafala, le Ministre de la Solidarité nationale, de la Famille et de la Communauté nationale à l’étranger, en mars 2009 affirme devant la presse lors de l’inauguration du Salon du bébé : « Sur les 29.000 enfants privés de famille durant les dix dernières années, plus de 13.000 ont été pris en charge dans le cadre de la kafala par des familles en Algérie et 2500 autres par la communauté nationale à l’étranger (…) La kafala a fait le bonheur des parents privés d’enfants et des enfants abandonnés dans les pouponnières par des mères au bord du désespoir10 ».

Toutefois, on oublie trop facilement que le statut de ces enfants au sein de leur famille d’accueil en termes juridiques et administratifs peut poser problème en cas de changement de la situation familiale. En effet, le sort de l’enfant mekfoul dans les cas de révocation de la kafala, de décès du père ou de divorce pose toujours problème en Algérie.


Conclusion

La recherche de l’impact de la Convention Internationale des droits de l’enfant sur le droit national nous permet d’affirmer que l’Algérie possède un dispositif juridique certes complexe, mais riche. L’enfant algérien, et ceci est inscrit dans les textes et réalisé, a droit à une scolarisation gratuite et obligatoire jusqu’à l’âge de 16 ans, aux soins de santé, et malgré certaines difficultés socioéconomiques qui empêchent l’Algérie d’atteindre certains objectifs fixés, une protection spéciale leur est assurée. Par contre les mécanismes mis en place pour protéger l’enfant sont souvent trop protecteurs et ne laissent aucune marge de liberté à l’enfant pour s’exprimer et émerger en tant que citoyen tel que le prévoit la Convention Internationale et la Charte Africaine des droits et du bien être de l’enfant.

C’est pourquoi il apparaît nécessaire de faire les recommandations suivantes :

  • Introduire la Convention Internationale et la Charte Africaine des droits et du bien être de l’enfant dans les programmes scolaires et universitaires

  • Introduire la notion de partage de l’autorité parentale dans la loi sur la famille

  • Organiser l’abandon provisoire et définitif

  • Réorganiser la Kafala en tenant compte de l’intérêt supérieur de l’enfant

  • Eliminer la discrimination entre enfants légitimes et enfants « illégitimes » dits « naturels » nés hors mariage

  • Mettre effectivement en œuvre le fonctionnement du fond de solidarité pour le paiement de la pension alimentaire en cas de litige afin de protéger la mère et l’enfant

  • Spécialiser le Juge des mineurs (Etudier la possibilité de la mise en place de Juges aux affaires familiales)

  • Initier des études et enquêtes sur toutes les questions touchant à l’enfance et en particulier pour cette population : analyser les facteurs d’échec de la kafala (retour de kafala) et réfléchir sur le devenir de ces enfants quand la situation familiale connaît des changements.

Bibliographie 

Bencheneb A., La formation du lien de kafala et les silences législatifs, Revue Algérienne, 1991, Vol. XXIX, n° 1-2

Bettahar. Y, La construction sociale de la parentalité : l’exemple de l’Algérie, L’Année du Maghreb [En ligne], II | 2005-2006, mis en ligne le 08 juillet 2010, consulté le 03 février 2012. URL : http://anneemaghreb.revues.org/97

Ghaouti B., Le droit algérien de la famille, OPU, Alger 1993

Revue du CIDDEF Juin 2008 N°17

http://www.jiljadid.com/index.php?option=com_content&view=article&id=214:algerie-quel-sort-pour-les-enfants-recueillis-legalement&catid=53:tribune-libre&Itemid=126

Journal Officiel République Algérienne Démocratique et Populaire N° 15


1 Membre expert du Comité d’experts Africains sur les droits et le bien être de l’enfant (2010-2015) – Rapporteur Spécial sur le mariage des enfants auprès de l’Union Africaine (2014-2016) – Présidente du Conseil National de la famille et de la femme (Algérie 2014-2017)

2 En 2010, l’Algérie a enregistré 887.810 naissances vivantes réparties en 454.037 de sexe masculin et 433.773 de sexe féminin, soit un rapport de masculinité de 105 garçons pour 100 filles (Démographie algérienne 2010. N° 575)

3 07-06-2011 El Moudjahid

4 Revue du CIDDEF Juin 2008 N°17

5 Loi 84-11 du 09 juin 84, modifiée et complétée par l’ordonnance 05-02 du 27 février 2005 (JO N°15) (Le chapitre du recueil légal « kafala » comporte 10 articles (116 à 125)

6 Yamina Bettahar, La construction sociale de la parentalité : l’exemple de l’Algérie, L’Année du Maghreb [En ligne], II | 2005-2006, mis en ligne le 08 juillet 2010, consulté le 03 février 2012. URL : http://anneemaghreb.revues.org/97

7 Il serait intéressant de noter ici, que la Convention internationale utilise les deux notions de « adoption » et de « kafala », alors que la Charte Africaine des Droits et du bien être de l’enfant ne parle que de l’adoption et ne fait nullement référence à la kafala.

8 Décret exécutif n°92-24 du 13 janvier 1992 complétant le décret n°71-157 du 3 juin 1971, relatif au changement de nom ; Il précise que le changement de nom peut être fait au nom et au bénéfice d’un enfant mineur né de père inconnu, par la personne l’ayant recueilli légalement, en vue de faire concorder le nom patronymique de l’enfant avec celui de son tuteur.

9 Bencheneb Ali, 1991, La formation du lien de kafala et les silences législatifs, Revue Algérienne, Vol. XXIX, n° 1-2

10 In la Tribune, du 22/03/2009 : Plus de 13.000 enfants sont pris dans le cadre de la kafala, par A. Semmar