L’enseignement de l’allemand et de l’espagnol à l’université d’Alger : de l’unité de certificat à l’unité d’enseignement (1962-2012)

Nadjia Hami
Adiba Berbar
Université d’Alger 2

Abstract

This paper provides the reader with an overview of the teaching of the German and Spanish languages at university level. These two language programmes have been subdivisions of the same department in administrative terms for some years, and have about the same student enrollment number. The present article is the preliminary stage of a project which aims– as a first step in a long-range plan of research whose goal is to evaluate the changes that occurred in the Didactics of foreign languages in general, and of German and Spanish in particular– to reconstitute the history of the teaching of German and Spanish in Algerian universities, and this from 1962 to 2012. The choice of these two languages is justified by their having gone through a similar growth in enrollment and importance in foreign language teaching in Algeria.

« L’université est une institution mise en place par des hommes en vue d’objectifs concrets relatifs à la société dans laquelle ces hommes sont insérés. En fonction de ses problèmes, de ses aspirations, de son orientation politique, économique et sociale, chaque société crée sa propre université et lui trace ses objectifs. ‘Une université est donc une institution de formation qui ne fixe pas unilatéralement et de manière endogène ses objectifs et leur orientation ; au contraire elle les reçoit de la société qui lui sert de fondement, et qui seule peut lui donner vie, signification et réalité. »1

Partant de ce postulat, nous pouvons affirmer que les différentes réformes des cursus universitaires réalisés depuis l’indépendance de l’Algérie répondent à des besoins en perpétuelle évolution. Ces réformes du processus de formation universitaire toucheront toutes les disciplines tant scientifiques, économiques que littéraires.

Notre centre d’intérêt s’insère dans le domaine de l’enseignement des langues étrangères.

Un descriptif historique et une analyse critique de l’enseignement de l’allemand et de l’espagnol à l’université seront l’objet essentiel de notre article.

Petit rappel : en 1962, date de l’indépendance de l’Algérie, l’université algérienne continuera encore à fonctionner sur le modèle hérité du système colonial pendant encore quelques années.2

Le nouveau bachelier s’inscrit à l’université, en allemand ou en espagnol à condition qu’il ait étudié cette langue au lycée. A la fin de ses études universitaires la licence es lettres dans cette discipline lui était délivrée.

La licence était, et demeure toujours le premier diplôme universitaire délivré à l’étudiant inscrit selon des critères, qui sont restés immuables. Le cursus d’étude s´étalait sur trois années, à l’issue desquelles l’étudiant inscrit pouvait obtenir son diplôme de licence es lettres. Chaque année était structurée en un certain nombre de certificats qui comprenaient des unités de certificats. En lettres où étaient incluses les langues vivantes, en l’occurrence, l’allemand et l’espagnol, chaque certificat s’insérait dans un des axes suivants :

– certificat de littérature sectionné en « certificat de littérature médiévale », « littérature moderne » « littérature contemporaine »

– certificat de philologie : « certificat de syntaxe », « certificat de grammaire » « certificat de linguistique »

– certificat de civilisation et histoire qui lui aussi comprenait deux unités de certificat.

Sachant que les certificats étaient indépendants les uns des autres, l’étudiant assistait à des cours magistraux (entre 15 et 18 heures hebdomadaires), en parallèle il devait effectuer des travaux de recherche. Chaque certificat était sanctionné par un seul examen qui avait lieu à la fin de l’année. En cas d’échec, il devait repasser la matière non obtenue l’année suivante, il n’y avait pas de session de rattrapage, ce qui signifiait aucune chance de repêchage ; cependant l’étudiant pouvait s’inscrire en année supérieure. Précisons que quelle que soit la langue étudiée le cours était assuré en langue française.

Cette structure du système universitaire en vue de l’obtention de la licence va connaître une première réforme en février 1971. En effet, si la durée des études ne change pas, trois années, le mode d’évaluation connaitra, un profond bouleversement. Le système semestriel est mis en place, système qui perdurera jusqu’à ce jour avec des variantes comme nous le constaterons à travers le descriptif des différentes réformes qui suivront.

En quoi consiste organiquement cette réforme? La licence est structurée en modules semestriels et non plus en certificats. L’année universitaire est donc sectionnée en deux semestres académiques. A la fin de chaque semestre, des partiels sont organisés. L’étudiant peut s’inscrire au semestre supérieur avec des modules en dettes, sauf aux modules soumis au pré-requis.3  Dans ce cas, une session de rattrapage est organisée pour les modules non acquis en session ordinaire.

Cette réforme a connu la refonte des matières. En effet, l’objectif de la licence d’une langue vivante est non seulement de s’imprégner de sa culture dans le domaine de la littérature et celui de la civilisation, mais surtout apprendre à la parler avec aisance. Les cours seront donc assurés obligatoirement dans la langue d’étude. Aux modules de littérature et de civilisation s’ajouteront les modules de compréhension et d’expression écrites et orales. Le module de grammaire, lui, sera renforcé par des exercices structuraux. La notation se faisait de 0 à 5, les modules, comme dans la précédente licence, étaient indépendants les uns des autres. En cas d’échec (-3), l’étudiant pouvait repasser le module non acquis le semestre suivant.

Une deuxième réforme entrera en vigueur en septembre 19844. Celle-ci porte tout d’abord sur la durée des études qui passera de 3 à 4 années, sur la mise en place du système compensatoire annuel, et sur la notation qui, elle, passera à une échelle d’évaluation de 0 à 20. La méthode d’évaluation et la progression pédagogique ne changeront pas, elles resteront semestrielles. En effet, à chaque fin de semestre, un partiel pour chaque module est organisé. Pour le passage en année supérieure, une moyenne générale est calculée après le deuxième partiel sur la base des moyennes des modules obtenues aux deux partiels. Si l’étudiant obtient une moyenne compensée égale ou supérieure à 10/20, le jury de délibération le déclare admis en année supérieure, à défaut, il redouble en conservant les modules acquis.

Un arrêté datant du 8 août 1987 apportera une modification : la session de rattrapage organisée en septembre. Cette session de rattrapage est organisée au profit des étudiants ajournés lors des délibérations selon les conditions suivantes :

  • L’étudiant ayant obtenu une moyenne générale compensée égale ou supérieure à 10 avec une note éliminatoire (note inférieure à 5/20) ou M.G.C. égale ou supérieure à 7 et inférieure à 10, pourra passer les modules non acquis.

La circulaire, nº22, datant du 8 décembre 1997, octroiera à l’étudiant une autre opportunité de repêchage appelée communément synthèse. Cette session de synthèse sera programmée juste après les premières délibérations de juin selon les mêmes conditions su-citées; la session de rattrapage de septembre est maintenue.

Les licences d’allemand, d’espagnol connaitront une troisième réforme en 1997.5 Cette nouvelle licence comprend deux paliers. Le premier palier est le tronc commun. Dans le deuxième palier l’étudiant a le choix entre deux options :

    1. Option « Langue appliquée » : Deux nouveaux modules ont été introduits, à savoir «Traduction et Langue de spécialité ». Il s’agit donc d’une licence qu’on pourrait qualifier de « professionnelle ».

    2. Option « Enseignement et Recherche » : Là aussi, deux nouveaux modules ont été introduits, à savoir le module de « Psychopédagogie et celui de Didactique » de la langue enseignée. L’étudiant ayant choisi cette option se destine, en principe, à l’enseignement et éventuellement à la recherche.

Il faut préciser que tout licencié peut s’inscrire en post-graduation s’il répond aux critères préétablis, quelle que soit l’option de son diplôme.

Enfin, un arrêté datant du 23 janvier 2005, fixe, dans le cadre d’une politique globale de développement, des nouvelles modalités pour l’obtention du diplôme de licence, de master et du doctorat –L.M.D.-

Le département d’allemand et espagnol mettra en application cette nouvelle licence en septembre 2010. A cet effet, les enseignants de chaque filière s’organisent en équipes de spécialités pour concevoir les programmes des unités d’enseignement répondant aux nouveaux objectifs de l’enseignement supérieur. Les offres de formation, elles, se traduisent en propositions de cursus réunissant les filières respectives.

Les domaines sont répertoriés dans un tableau élaboré par la Commission Nationale d’Habilitation. C’est ainsi que l’enseignement de l’allemand et de l’espagnol relèvent du domaine « Lettres et langues étrangères ». Plus précisément, les intitulés des offres de formations sont : « Langue, littérature et civilisation allemandes » pour l’allemand, et « Langue, littérature et civilisation espagnoles » pour l’espagnol.

Le cursus d’étude de cette nouvelle licence est structuré en semestres constitués d’unités d’enseignement évaluées par une note et indexées en crédits. La durée d’un semestre doit être en principe de 14 à 16 semaines d’enseignement.

La formation pour l’obtention de la licence s’articule sur 3 paliers :

  • le premier et le deuxième semestre constituent le premier palier. Les enseignements de base spécifiques à la filière du domaine y sont dispensés. Durant cette période, l’étudiant est en période d’acclimatation à l’environnement universitaire.

  • Le deuxième palier, semestres 3 et 4, sont destinés à l’acquisition des connaissances et à la spécialisation

  • Au cours du troisième palier, semestres 5 et 6, l’étudiant accède aux enseignements de spécialités qui le prépareront au diplôme supérieur, le master.

Pour rappel, les enseignements sont regroupés en unités d’enseignements « U.E. » qui sont constituées comme suit :

  • les unités d’enseignement fondamentales (U.E.F.)

  • les unités d’enseignement de découverte (U.E.D.)

  • les unités d’enseignement de méthodologie (U.E.M.)

  • Les unités d’enseignement transversales (U.E.T.)

Chaque unité comprend une à plusieurs matières. Chaque matière, selon ses objectifs, est assurée sous forme de cours, de travaux dirigés ou sous toute autre forme d’enseignement.

Chaque matière est affectée d’un coefficient qui reflète son importance dans l’unité d’enseignement dont elle fait partie. Chaque unité est évaluée semestriellement par un contrôle continu régulier et un examen final.

L’ensemble des Unités d’Enseignements. d’un semestre est de 30 crédits. La répartition des crédits entre les U.E s’agence comme suit :

  • U.E.F. : 60% environ des crédits

  • U.E.M. : 30% «  « 

  • U.E.D. et U.E.T. : 10% 6 «  « 

L’offre de formation d’une licence est élaborée sur la base d’une grille préétablie par le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique.

Avant l’introduction du système LMD, la situation de l’enseignement de l’allemand et de l’espagnol en Algérie a connu une évolution particulière en comparaison avec celui de l’anglais et du français. En effet, jusqu´en 1980, ces deux langues étaient enseignées dès le premier palier du secondaire. A partir de 1981, ces langues changeront de statut : de matières obligatoires elles seront matières optionnelles au même titre que la couture, la musique et le dessin, supprimées du moyen, elles ne seront assurées qu´à partir de la première année du secondaire. En 1995, une nouvelle option entre en vigueur: option « lettres et langues ». L’élève aura à choisir entre l’allemand et l’espagnol. Le français et l’anglais sont deux langues obligatoires qui n’ont jamais perdu leur privilège.

Lors de ce parcours en dents de scie de nos deux langues d’étude, le nombre d’étudiants qui s’inscrivaient en licence a été variable, il y a eu une traversée du désert où le nombre d’inscrits en licence ne dépassait pas la trentaine, et parmi eux la moitié n’avait étudié ni l’allemand, ni l’espagnol au lycée. Pour maintenir en vie ces deux langues, des équipes pédagogiques ont établi un programme d’initiation intensif d’une année pour que l’étudiant puisse intégrer la première année de licence d’allemand ou d’espagnol.

A partir de 1998, le nombre de nouveaux bacheliers qui s’inscrivent en licence d’allemand ou d’espagnol, selon le cas ira crescendo : l’année universitaire 2011-2012, il y eut 1252 étudiants en allemand, dont 681 inscrits entre la première et deuxième année L.M.D., quant à l’espagnol, sur les 1187 étudiants, 662 sont inscrits en nouvelle licence.

Cet état des lieux de l’allemand et de l’espagnol exposé, nous allons tenter d’analyser le bien fondé de chaque réforme. Il est à préciser que l’allemand et l’espagnol, malgré les aléas qu’ils ont connus et leur traversée du désert vécue dans le secondaire, ont toujours leur place á l’université en licence et en post-graduation.

La première réforme de la licence, passage du certificat au module avec de nouveaux aménagements, est une phase logique :

  • c’est une sortie du carcan colonial.

  • c’est un système qui tombait en désuétude car il ne répondait plus aux exigences de la société qui était en pleine mutation grâce aux indépendances des différentes colonies.

  • Le système semestriel mettra l’étudiant plus à l’aise. En effet celui-ci permet à l’étudiant de mieux s’organiser pendant son cursus.

Les réformes qui suivirent cette première nous permettaient de réactualiser les programmes d’enseignement, et de rectifier le mode d’évaluation. En effet elles donnaient à l’étudiant l’opportunité pour lui éviter le redoublement avec les deux sessions de rattrapage, juin et septembre. Une question se pose : est-ce que cela n’influait-il pas sur le niveau des études universitaires ? Nous pensons que non. C’est au corps enseignant d’être vigilant et exigeant sur le questionnaire et la notation des épreuves.

La réforme par option apportait un plus à l’étudiant : il avait le choix entre la professionnalisation et l’enseignement. Le programme de licence a été entièrement refait, modernise, pour répondre aux nouveaux objectifs de cette nouvelle licence.

Enfin la toute dernière réforme, L.M.D., dans l’absolu, est salutaire, dirons-nous : c’est la sortie d’une léthargie sclérosée. En effet, dans le passé, lors des différentes réformes, il était plutôt question de réaménager les programmes qu’autre chose.

Or pour la réforme L.M.D., la Commission Nationale d’Habilitation a imposé une grille d’unités d’enseignement avec leurs matières respectives. Il ne s’agissait plus de dépoussiérer les programmes que nous utilisions, mais nous avons été obligés d’en élaborer d’autres qui répondaient à la charte de la nouvelle licence. Pour cela tous les enseignants sans exception, se sont mobilisés pour concevoir les programmes adéquats, répondant aux nouveaux objectifs de l’universalité. En effet chaque unité d’enseignement a fait l’objet d’une programmation méticuleuse élaborée par des commissions pédagogiques de spécialités. Dans ce travail de commission, les objectifs de chaque matière ont été précisés. Les commissions ont suivi à la lettre le cahier de charge de la C.N.H.

Pour conclure, à notre avis, bien que les différentes réformes aient été faites à bon escient, et qu’elles aient mis fin à une certaine sclérose dans notre enseignement supérieur, et spécifiquement dans les filières de langues étrangères, objet de cet article, leur mise en œuvre dans tous ses aspects butte sur une déficience en moyens pédagogiques, des salles de classes à l’encadrement, sans oublier les ouvrages et publications, déficience malheureusement de caractère structurel et pour laquelle n’existent pas de solutions immédiates et exhaustives, les palliatifs apportés sont des pis-aller provisoires qui ne permettent pas de tirer de ces réformes les résultats et le bond en avant qualitatifs qui en étaient attendus. Il ne s’agit pas de baisser les bras devant cet obstacle de taille qu’est l’inadéquation entre d’un côté l’ambition de placer notre système universitaire à un niveau international reconnu, et de l’autre, la faiblesse des moyens immédiatement mobilisables pour concrétiser sur le terrain cette ambition, mais seulement de rappeler qu’il reste encore beaucoup à faire et que le réalisme est de mise. S’agit-il de baisser les bras devant l’immensité des taches à venir, et de renoncer à ce projet ambitieux, mais qui n’est nullement hors d’atteinte ? Pas du tout, mais de faire preuve de réalisme et de mieux saisir la direction des efforts qui restent à accomplir.

Bibliographie :

  • Benachenou, Mourad (1980) : Vers l’université algérienne : réflexion sur une stratégie universitaire. Alger. Office des publications universitaires.

  • Coulon, Alain (1976) : Où va l’université algérienne ? L’homme et la société 1976/ 39. Revue internationale de recherches et de synthèses sociologiques.

  • Programme de la licence en langue étrangère (allemand, espagnol, italien et russe 1997). Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique.


1 Benachenou, Mourad : Vers l’université algérienne, 1980, p7.

2 Coulon, Alain «Plusieurs années après l’indépendance, l’université algérienne n’avait guère changée ; en 1970, elle tournait encore à l’heure de Paris. », 1976, p245.

3  Un pré-requis est un module dont le contenu est jugé fondamental pour la compréhension des notions d’un autre module postérieur.

4Ministère de l’Enseignement Supérieur : Arrêté du 8 janvier 1984.

5Ceci est également valable pour la licence de russe et d’italien.

6L’introduction du socle commun aux langues étrangères préconise de mettre sur le même pied d’égalité le contrôle continu des connaissances et l’examen final.