Du statut des langues aux choix linguistiques et méthodologiques

BOUACHA Abderrahmane
Université Ibn Khaldoun/Tiaret

Résumé :

Il serait vain de croire que depuis les premières réformes1 de notre système éducatif, la politique linguistique, en Algérie, a été fondée sur des critères clairs, sur un projet de société lui-même ayant fait l’objet d’un consensus.
Depuis l’application de la première réforme, la politique prônait en matière du choix des langues en usage était de redonner à la langue arabe2, tout d’abord,  sont statut principal de seule langue digne d’intérêt dans la société. Cela afin d’assoir le concept de souveraineté et voir cette langue émerger au travers du système éducatif mis en place. En ce sens, le statut qui lui conviendrait devait la considérer tout à la fois comme langue nationale et officielle politiquement parlant mais aussi comme objet matière et vecteur d’apprentissage dans le cadre de notre système éducatif.
Cet engagement, en matière de politique linguistique, n’a pas donné les résultats escomptés…
Comment se sont effectués ces changements et cette évolution au fil du temps depuis l’avènement de la première réforme jusqu’à ce jour ?

Mots clés : politique linguistique, statut des langues, méthodologie.

Summary:

It would be futile to believe that since the first reforms of our educational system, the language policy in Algeria has been based on clear criteria, on a social project that has been the subject of a consensus. Since the application of the first reform, the policy advocated in the choice of languages ​​in use was to give back to the Arabic language, first of all, are main status of only language worthy of interest in society. This is to assert the concept of sovereignty and to see this language emerge through the educational system put in place. In this sense, the status that would be appropriate for him should consider it both as a national language and official politically speaking but also as object matter and vector of learning in the context of our educational system. This commitment, in terms of language policy, has not yielded the expected results…
How have these changes and this evolution evolved over time since the advent of the first reform to date?

Key words: language policy, language status, methodology.

1. Introduction

Au lendemain de l’accession de l’Algérie à l’indépendance, notre politique linguistique, en matière d’éducation et de formation, fondée sur les notions de valeurs, de buts, d’objectifs… a connu deux réformes. La première, mise en application dans les années soixante dix, devait amorcer une rupture avec le système éducatif hérité de la colonisation. Cette réforme, dont les fondements reposés sur des options telles l’islam en matière de valeur, de socialisme en matière d’idéologie et d’égalité des chances (enseignement obligatoire à partir d’un certain âge) a restructuré le domaine de l’enseignement en général et de celui des langues en particulier en termes de forme et de contenu.

En liaison avec le projet de développement économique et social, elle a permis la mise en place de l’Ecole Fondamentale3.

La politique prônée par ce système, à savoir l’enseignement fondamental devait dispenser aux apprenants :

-un enseignement de langue arabe devant déboucher, en termes d’objectif, à la maîtrise de l’expression écrite et orale et aussi au développement de la personnalité de l’apprenant. Conçue comme objet matière et vecteur d’apprentissage en même temps, cette langue devait être un instrument d’échange et un objet d’apprentissage.

2. L’arabe comme objet matière et vecteur d’apprentissage

Comme objet matière, l’enseignement de l’arabe, au mépris de toute considération des pratiques langagières de notre milieu et notre société (diversité linguistique), était une langue normée, codifiée, scolaire, fondée sur un apport linguistique dont les contenus ne correspondaient nullement à la langue arabe vernaculaire en usage au niveau sociétale, comme celle décrite dans la conception et les substrats sont décrits dans l’ouvrage de Abdou Limame „Le Magharibi“.

Ce processus de l’arabisation, un des principes sacrés de la Révolution Algérienne, trouve ses origines dans la charte d’Alger (1964) qui, dès cette époque, confirmait l’arabité et l’islamité de l’Algérie. Idéologiquement parlant, „l’arabisation fut alors élevée au rang des grandes tâches nationales, prenant son entière signification dans le renforcement de l’indépendance et de la récupération de soi“4. Le texte de la charte d’Alger énonce, dans ce sens, que : „La langue arabe est un élément essentiel de l’identité culturelle du peuple algérien, et qu’“on ne saurait ainsi séparer notre personnalité de la langue nationale qui l’exprime“. De ce fait, il fallait penser à unifier de façon méthodique l’usage d’une même langue de travail, d’enseignement et de culture et à l’acquérir de façon à pouvoir l’utiliser convenablement.

L’ordonnance portant organisation du système éducatif instaure comme principe que l’arabe normé doit être enseigné comme objet matière et utilisée aussi comme vecteur d’apprentissage devant transmettre le savoir de toutes les autres disciplines (scientifiques particulièrement). Malheureusement, les résultats n’ont pas suivi…

Soucieux de pondérer sa généralisation pour insuffisances de résultats notamment dans l’enseignement des matières scientifiques et techniques, la généralisation de cette langue, que certains réclamaient à corps et à cri, fut stoppée car ayant été utilisée presque de manière hasardeuse et aléatoire… Il fut donc décidé de sursoir5 momentanément à l’application de l’Ecole Fondamentale et de prôner une vision rationnelle et critique sur l’usage qu’on en faisait dans certain secteur. L’arabe, en tant qu’outil de communication, devait donc cohabiter avec le français dans le cadre d’un bilinguisme nécessaire qui permettrait d’utiliser à bon escient et selon les besoins toutes les potentialités du pays en vue de la modernisation du système éducatif. Car, il faut savoir, à ce propos, que l’arabe, en tant que vecteur d’apprentissage, ne répondait guère aux besoins en matière de connaissances scientifiques et techniques spécifiques à certaines disciplines dont les spécificités exigées l’usage des langues appropriées (anglais ou français). Parallèlement à cette approche, la langue arabe, en tant que système devait être soumis à des recherches linguistiques et pédagogiques car „trop marquée encore par des schémas culturels traditionnels ne répondant guère aux exigences de l’heure“(Khaoula. T.I). Il fallait donc envisager une démarche devant faire acquérir cette langue aux moyens de méthodes, procédés et techniques appropriés, identiques aux moyens dont se sert l’enseignement des langues étrangères en usage.

3. De l’enseignement de l’arabe et de sa didactisation

La politique maladroite prônée et marquée par une idéologie et une démagogique sans faille a poussé certain réformateur comme M. Lacheref,6 a démissionné du poste de Ministre de l’éducation contraint et forcé par les adeptes d’une arabisation irréfléchie lui qui voulait réformer le système éducatif grâce un projet ambitieux.

L’instauration d’un enseignement de l’arabe calqué, en termes de méthodologie, sur la didactique des langues étrangères n’a pas eu l’effet escompté puisque les décideurs se sont contentés de s’approprier les concepts propres à la méthodologie SGAV des années cinquante et à les appliquer à l’arabe.

Les supports de base tels de“ vive voix“ ou „voix et images de France“ empruntés à la didactique du FLE ont été les soubassements de la méthode dialoguée7 où le processus du conditionnement (stimulus-réponse) était le maître mot d’un travail à réaliser en classe, au primaire. Il s’agissait, au moyen de phrases agencées dans un semblant de dialogue „artificielle“ et au moyen de figurines et de tableau de feutre, d’enseigner une langue simple qui rappelle par sa simplicité les textes présentés dans les méthodes de compensation en vogue, un certain moment aux Etats Unis (1950/1965) et en France (1965/1975). Cette méthode s’inspirait du béhaviorisme en termes de psychologie et des théories structuralistes de Bloomfield/ Harris ou encore de celles de Fries et Lado. Elle fut d’ailleurs largement critiquée notamment par des spécialistes8 qui voyaient en elle un procédé de conditionnement tout simplement.

4. De l’arabe scolaire à l’arabe dialectal

En plus, cet arabe enseigné ne correspondait à aucun des trois statuts attestés (LM/LS/LE)9 qui régissaient l’usage des langues du point de vue linguistique ou didactique.

En termes de statut régissant l’usage de la langue maternelle, l’arabe scolaire ne correspond nullement, du point de vue linguistique, à l’arabe dialectal qu’une très forte majorité d’Algérien utilisé dans leurs activités quotidiennes aussi bien à la maison qu’en dehors. C’est la langue qui permet d’entrer dans la connaissance du monde.

Du point de vue didactique, l’arabe classique était enseigné en tant que système seulement et non comme moyen usuel de communication. En tant que système, son enseignement portait sur les connaissances métalinguistiques et l’acquisition de concepts dans les domaines de la la grammaire, la conjugaison, l’orthographe, le lexique, les études de textes et la rhétorique Son enseignement tenté de favoriser aussi des apprentissages discursifs10 limités au seul usage de la classe11. Car, dans le cadre des pratiques de classe, la langue arabe maternelle parlée par la majorité des algériens est, paraît-il, peu adapté à un usage scolaire puisqu’elle est totalement différente de l’arabe scolaire. Les quelques tentatives intelligentes12 et ambitieuses à vouloir la codifier afin de lui conférer son statut de langue à usage scolaire sont restées lettres mortes.

Si on confine l’arabe scolaire dans un statut de langue étrangère, elle ne répond pas au critère qui stipule qu’elle doit être la langue parlé dans un pays sans statut social particulier. Si elle n’a pas vocation à avoir ce statut de langue parlée par la population, cela n’empêche pas son utilisation, même restreinte, comme outil de travail dans certains secteurs comme les secteurs administratif ou juridique13 à côté du français. Au-delà, son usage ne dépasserait pas des milieux restreints (enseignement religieux, canonique …)

En plus, l’arabe dialectal en usage en Algérie connaît des variations linguistiques selon les régions où elle est pratiquée. Ces variations s’étendent à tous les pays du Maghreb puisque chaque région à ses spécificités en matière d’usage de cette langue. Paradoxalement à cela, l’arabe officielle ne connait pas ces variations linguistiques (c’est-à-dire pas d’accent ou de caractéristiques régionales).

La seule caractéristique de cette langue scolaire (arabe classique) est qu’elle est apprise dans un cadre scolaire et, de ce fait, enseignée comme objet matière.

Or, n’étant qu’une matière, elle ne peut avoir une dimension identitaire comme le préconisent certains et jouer ainsi sur le concept d’identité du sujet qui l’utilise. Car, elle n’a pas cette vocation à se substituer à la langue maternelle. A ce niveau apparaissent clairement les paradoxes des substrats qui fondent le concept d’identité propre à chaque nation et que l’on retrouve d’ailleurs exprimés du temps de la colonisation au travers du concept d’acculturation que certains écrivains n’ont pas cessé de dénoncer, dans leurs écrits comme problématique dans la formule :“ Qui suis-je moi, nord africain colonisé „14?

5. Du statut des langues étrangères en usage

Une fois l’arabe classique choisi comme langue nationale et officielle(L1), son objectif était de s’adapter au monde de la technique et de la science, et ce, parallèlement aux valeurs qui lui sont liées. Ces orientations, qui étaient centrées sur le rationnel et le scientifique, devraient être véhiculées au moyen d’une langue dont le profil correspondait à ces usages en termes de savoirs à transmettre et à acquérir. La langue française remplissait pleinement ces usages. Paradoxalement, l’usage de l’arabe classique dans les domaines scientifiques et techniques n’eut pas les résultats escomptés tant ces derniers étaient faibles15. Car, comme l’explique Kh.T.Ibrahimi : „Le processus de réalisation de cet objectif, à mettre en place, ne se réduit pas à un simple aménagement linguistique ou à la création d’un appareil institutionnel de formation ou à un renforcement d’équipement et de matériels modernes, mais il doit se traduire-et c’est là où se situe la tâche principale pour un changement structurel et mental profond de la communauté universitaire : changement au niveau des attitudes et comportements des différents opérateurs de l’action d’arabisation“.

En conséquence, les méthodes préconisaient n’étaient pas valables pour permettre la transmission d’un savoir fondé sur une démarche scientifique. En plus, ces méthodes, par leur caractère artificiel, loin d’être authentique, n’étaient pas adaptées à l’enracinement professionnel et à la motivation des enseignants encore moins à leur identité culturelle. L’inadéquation entre les démarches, les méthodes et les contenus d’un côté, et le milieu socioprofessionnel et culturel de l’autre se traduisait par“ des résistances inconscientes, des réactions types d’abandon et, surtout, de difficultés d’assimilation de la langue selon les résultats attendus“(Kh.T .I) .Pour remédier à cette situation, des solutions furent proposées à l’exemple de l’utilisation de la méthode INPED16 ou encore de la mise en application d’une méthode nationale de l’enseignement de la langue arabe . Ce qui ne fut jamais le cas puisque cette méthode n’a jamais vu le jour.

Par conséquent, l’enseignement de la langue arabe a porté uniquement sur l’apprentissage de la langue en termes d’acquisition de capacités linguistiques alors qu’une approche en termes de „langue de spécialité“ ou mieux encore de „langue arabe sur objectifs spécifiques“ aurait été avantageuse car touchant à l’aspect socio professionnel des apprenants. Encore faudrait-il disposer de moyens appropriés pour cet usage…

Parallèlement à cette nouvelle configuration qui a vu la langue arabe classique revêtir le statut de langue nationale17 et officielle, le français pris celui de langue étrangère avec toutes les conséquences „fâcheuses“18 que l’on connaît. De vecteur d’apprentissage dans la transmission des savoirs des matières scientifiques et techniques, elle fut classée comme objet matière.

Si elle fut reléguée au statut de langue étrangère alors qu’elle avait le statut de langue seconde, les nouvelles orientations en matière de méthodologie d’enseignement, lui confère les mêmes démarches et les mêmes techniques appliquées aux autres langues en particulier la langue anglaise qui était quelque peu répandue dans les milieux scolaires et universitaires.

Elle s’enseigna, au même titre que l’arabe et l’anglais au moyen de la méthodologie SGAVet des méthodes dialoguées du type19 :

Malik et Zina,

Chakib et Nassim,

Martin and Julian,

Méthode dialoguée+ exercices structuraux (mécaniques) + techniques audiovisuelles.

Par conséquent, le principal objectif de l’enseignement du français dans la première réforme était de développer la compétence linguistique permettant l’accès à l’information scientifique et technique et visant “ à doter les élèves d’un ensemble d’aptitudes linguistique s et intellectuels qui leur permettent l’accès à la documentation de type scientifique, orale et écrite“20.Les concepteurs des programmes visaient l’acquisition d’une langue scientifique et technique dont le but est de permettre aux élèves de „décrire avec objectivité et de communiquer avec fidélité“ les résultats des observations qu’ils auront à faire dans les matières scientifiques et techniques, de traduire et d’interpréter aussi des messages graphiques ou sonore à caractère scientifique et technique. Ce qui ne fut jamais le cas.

Il fallait donc évacuer du programme la littérature en tant que discipline et l’étude des textes littéraires ou tout au moins s’ils sont conservés dans le programme, ils ne doivent être que de simples supports destinés à favoriser l’acquisition de la langue. Un peu comme si l’élève était appelé à communiquer en français que dans le domaine scientifique et technique.

Or, l’acquisition d’une langue scientifique et technique impose ses règles inhérentes à ce qui était, jadis, communément appelé : “ le français scientifique et technique“ ou encore „les langues de spécialités“ expression désignant à la fois, dans les années soixante, la cible (linguistique) et les moyens (méthodologiques et pédagogiques) à mettre en œuvre.

Ce parcours d’apprentissage propre à la langue de spécialité suit la démarche initiée par la méthodologie SGAV citée précédemment qui préconise une démarche graduelle dans l’appropriation des connaissances et correspondant aux étapes suivantes :

Niveau1 : Acquisition des rudiments de la langue usuelle (usage de termes et structures les plus fréquents considérés, à ce titre, comme les plus nécessaires.

Niveau2 : Application d’un tronc commun de „français scientifique“(moyens d’expression de la pensée scientifique considérée en général)

Niveau3 : S’orienter beaucoup plus vers une langue de spécialité (moyens complémentaires propres à chaque domaine (scientifique ou professionnel d’activité)

L’application de tels modèles exige non seulement un fond lexical approprié en termes de contenu mais également des structures morphosyntaxiques appropriées à chaque activité langagière.

Par conséquent, si pour le premier niveau (de débutants) on pouvait s’accommoder des contenus conçus sur le modèle d’une méthodologie comme celle du niveau seuil, pour les niveaux intermédiaires et surtout avancés (niveau universitaire), le mode de pensée exigé va d’une pensée scientifique considérée d’une manière générale (niveau intermédiaire2) à un mode fondé sur des moyens complémentaires propres à chaque domaine (scientifique ou professionnel). Le premier cas de figure ferait appel à un vocabulaire sélectionné dans le lexique de la langue usuelle. Le deuxième cas de figure s’accommoderait d’un vocabulaire assez peu spécifique de la langue usuelle. Enfin, le troisième cas, nécessite l’usage d’une terminologie domaniale21 (vocabulaire très spécifique). En termes de structure syntaxique, les trois niveaux auraient recours, selon les besoins, à sélectionner les structures syntaxiques propres pour chaque cas. A propos de cette vision du contenu à enseigner, les recherches en didactique des langues privilégient, à l’heure actuelle, le développement des savoir-faire langagier plutôt que celui des savoirs linguistiques, et insiste donc, en matière d’apprentissage, sur les seules formes des messages. Le FOS qui peut être le courant le plus abouti de l’approche communicative22 s’inscrit tout à fait dans cette logique.

Quelques années plus tard, suite aux réformes institutionnelles qui ont touché le pays dans sa totalité, le secteur éducatif fut également réformé.

La commission23, qui fut créée, à cet effet, pose au-préalable le fait qu’“une politique des langues étrangères sérieuse (notons la nuance) et souhaitable, doit être mise en place dès que possible, notamment dans le système éducatif. Elle aura pour finalité de redonner aux langues étrangères la place qui doit être la leur, comme supports incontournables pour l’accès à la science, à la technologie et à la culture mondiale24„. Pour des raisons historiques, sociales et économiques, et pour sa forte présence dans l’environnement linguistique de notre société et notre système éducatif, le français devient la première25 langue étrangère et l’anglais la deuxième langue étrangère.

Cette nouvelle classification n’empêche pas le fait que les deux langues étaient enseignées auparavant comme cela est mentionné dans la Circulaire d’application du 17 Octobre 1976 : „Deux langues étrangères sont enseignées, afin de doter les jeunes d’autres moyens d’accès à d’autres cultures et à la civilisation universelle, la première (le français) est apprise plus tôt que la seconde (l’anglais, l’allemand ou l’espagnol) avec un horaire plus élevé, ceci dans le but de permettre aux élèves de suivre les enseignements ultérieurs (universitaire par exemple) qui ne seraient pas dispensés en langue arabe“ .Les nouvelles orientations ont classé l’anglais comme deuxième langue étrangère et le choix d’une troisième langue étrangère se fera au lycée. Cela n’était pas le cas dans l’ancien système puisqu’en deuxième année du cycle moyen l’élève était orienté vers l’une des trois langues choisies comme deuxième langue étrangère, à savoir : l’anglais, l’allemand ou l’espagnol. Cette orientation se faisait selon des critères peu convaincants dans la mesure où l’élève qui était bon en français et obtenait des notés élevées était orienté vers l’allemand, lorsqu’il était moyen, il faisait anglais et les plus faibles en français faisaient espagnol. Bien plus malin celui qui dira pourquoi de telles orientations. Il ne pourrait y avoir d’explications rationnelles à ces décisions quelle que soit la deuxième langue choisie, le futur usager de la (les) langue(s) étrangère(s) devra réinvestir à court, à moyen et à long terme les acquis dans toute forme de communication. L’évaluation se fera à la fois sur sa maîtrise des compétences linguistiques mais aussi à travers ses capacités à communiquer en contexte bi ou multiculturel avec des partenaires étrangers. L’apprentissage, comme on pourrait le constater, se fera dans une logique de marché, entrainant un processus d’offre et de demande dans la formation. Ce qui équivaut à choisir, en termes de contenu à enseigner un français spécifique à l’instar de celui du FOS. Or, dans une formation sur objectifs spécifiques (qui n’existait pas d’ailleurs dans le cursus de formation) les contenus ne doivent pas être définis a priori (Lehmann 1993) mais en fonction des situations de communication auxquelles les apprenants seront confrontés sur le terrain d’exercice.

La définition des contenus à enseigner suppose la décomposition des besoins de communication, issus de l’analyse des besoins, en objectifs spécifiques, parmi lesquels on compte des besoins linguistiques au même titre que l’objectif lexical. Cette organisation, si on s’inscrit dans l’optique d’une formation en FOS, n’existait pas puisque le programme choisi pour être dispensé ne paraissait nullement être spécifique encore moins didactisé pour servir des domaines bien précis mais plutôt constitué d’un lexique et de structures grammaticales destinés à un usage courant.

Il apparaît, dans le foisonnement de la répartition, selon les nouveaux statuts de cette deuxième réforme, que le français retrouve la place qui lui sied26 à savoir servir comme vecteur d’apprentissage aux matières scientifiques au supérieur surtout (médecine, math, physique, chimie) alors que jusque là ces matières furent enseignées en arabe .Cela pour éviter les écueils et les déboires rencontrés lors de l’enseignement de enseignement en langue arabe.

Par conséquent, les nouveaux programmes de l’enseignement des langues étrangères sont mis en place dès Avril 2003 selon le canevas27 suivant :

L’enseignement du français à partir de la troisième année du cycle élémentaire primaire (troisième année de la scolarité)

A partir de Septembre 2004, introduction de la deuxième langue étrangère, à savoir l’anglais en première année (ex : 6ème du collège) et enseignement du français à partir de la deuxième année du cycle primaire. Cette année voit également l’officialisation de l’enseignement de l’amazighe28, langue minorée puisqu’elle n’a commencé à être dispensée que dans les régions où la population scolarisé était „amazighophone“29majoritairement.

A partir de 2008-2009 (selon le rapport de la commission), l’anglais sera introduit dès la quatrième année de scolarité du cycle primaire qui compte cinq années de scolarité.

De quelques remarques sur le statut du français en particulier

Les différentes réformes successives ont amené à redéfinir la place et le rôle du français dans le paysage médiatique algérien. D’une langue vectrice d’apprentissage à côté de l’arabe, elle est passée au statut de langue étrangère au même titre que les autres langues en présence (anglais, allemand, espagnol) selon les orientations de la première réforme. Quelques années plus tard, elle fut reclassée comme première langue étrangère.

En termes géographique, ce français occupe un statut particulier sans pour autant être la langue générale (par exemple le français des pays du Maghreb est une langue de l’écrit à côté de la langue arabe qui est la langue officielle. C’est aussi la langue d’enseignement30 dans certains pays tels que le Maroc ou l’Afrique francophone. Actuellement, il y a une forme de consentement tacite qui consisterait à tolérer l’enseignement en langue française au même titre que d’autres langues étrangères dans certaines écoles privées. A voir son statut, nous pouvons avancer sans risque de nous tromper, que ce français, par son usage généralisé, a subi des variations selon les pays où il est utilisé, et les utilisateurs ont toute la latitude à modifier la langue. En ce qui nous concerne, le français est fortement présent dans beaucoup de secteurs tels les communications, l’enseignement…sans pour autant revêtir une dimension identitaire. Son usage est très fréquent même si à l’heure actuelle, on tend à la déclassée au profit de la langue anglaise. Ce qui est ne pourrait se concrétiser dans la réalité. En effet, la langue française, au travers de sa forte présence en Algérie pour différentes raisons, ne pourrait être détrônée assez facilement au profit de l’anglais ou toute autre langue étrangère. Mais, comme elle n’a pas vocation à se substituer à notre langue maternelle qui ne doit pas se confondre avec l’arabe classique ou littéraire, il nous reste à fixer les règles de notre langue maternelle afin qu’elle puisse intégrer le système scolaire et être dispensée selon des normes(c’est un vœu pieux…)

Par conséquent, les langues en usage en Algérie se répartissent entre langues dont le statut est clairement défini, à savoir langues étrangères (anglais, espagnol, allemand, italien, turque…), la langue dont le statut est loin d’être clairement défini (le français), les langues considérées politiquement comme langues nationales et officielles (l’arabe et le tamazight). Ces deux dernières langues considérées comme nationales et officielles politiquement parlant doivent être structurées31 du point de vue linguistique et didactique pour pouvoir être enseignées selon les normes et les règles en usage.

Les textes en vigueur, même s’ils tentent de fixer légalement les règles concernant l’usage de ces langues, sont loin de correspondre à une réalité trop complexe où il serait difficile de concevoir une politique linguistique qui puisse répondre aux exigences de l’heure tant les enjeux sont énormes et difficilement surmontables.32.

Bibliographie générale

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LACHEREF. M. (1974), L’Algérie. Nation et société, SNED, Maspero, Alger.


1 La 1ère réforme eu lieu en 1976, la 2ème en 2000.

2 Nous ne cesserons pas de poser la question de s’avoir quel arabe faut-il choisir…

3 Ordonnance du 16 avril 1976, n°76-35

4 Khaoula Taleb Ibrahimi, Les Algériens et leur(s) langue(s).

5 Entre 1977 et 1978, il y a eu une pause dans l’arabisation afin d’infléchir dans le bon sens son processus(rationalisation des méthodes, moyens mis en œuvre…)

6 Ministre de l’éducation dans les années soixante dix. Eminent sociologue et écrivain, il projeta de réformer l’enseignement de l’arabe sur des bases strictement rigoureuses et scientifiques au moyen d’un projet ambitiieux qui n’aboutira pas pour des raisons idéologiques que scientifique.Il démissionna et abandonna ainsi ce projet.

7 Cette méthode que l’on appelée la méthode Malik et Zina est une méthode calquée sur le modèle Aline, Jacques et Seydoux.

8Mme Malika Boudalia Griffou psychopédagogue a eu le mérite dans son ouvrage intitulé, l’école algérienne d’Ibn Badis à Pavlov, édité aux éditions Laphomic, de dénoncer ce choix préjudiciable développement cognitif de nos apprenants.

9 Langue maternelle/seconde ou étrangère.

10 Cette démarche, nous la retrouvons aussi en situation d’enseignement/apprentissage du FLE. Elle constitue le fondement des nouvelles orientations de notre système éducatif dans l’enseignement des langues étrangères.

11 Les quelques tentatives extrascolaires ont échoué.

12 Nous pensons ici au travail ambitieux réalisés sur l’arabe dialectal par le linguiste Abdou Limam publié dans son ouvrage intitulé le Magharibi en référence à la langue arabe parlée dans les trois pays du Maghreb.

13 Elle reste tributaire des lois et règles héritées de l’administration coloniale donc du français. D’ailleurs, elle cohabitait avec le français qui est encore en usage dans ces secteurs.

14 Nous pensons ici à Mouloud Mammeri, Mohamed Dib, Kateb Yacine et bien d’autres écrivains maghrébins.

15 Consulter à ce propos Khaoula Taleb Ibrahimi, Les Algériens et leur(s) langue(s).pp.286-288.

16 Cette méthode fut une copie conforme aux méthodes audio-visuelles classiques.

17 Le concept de national fait référence à un statut politique alors que langue maternelle à celui pratiques langagières donc de „statut linguistique“

18 Parmi ces conséquences fâcheuses, nous citerons le retard mis dans la recherche et l’appropriation des concepts scientifiques et techniques au moyen de l’arabe qui, d’ailleurs n’en disposait pas.

19 Ces noms propres représentent les personnages principaux des textes de base des méthodes dialoguées.

20 Circulaire du 17 octobre 1976, n°382-30, P.353.

21 Les étudiants orientés vers la médecine ou les sciences „dures“ avaient toutes les peines du monde à s’approprier les concepts propres à leurs études spécialité.

22 Cette méthodologie fut appliquée lors de l’instauration de la deuxième réforme du système éducatif vers les années 2000.

23 Cette commission fut créée par les décrets présidentiels n°2000-101 et 2000-102 datés du 9 mai 2000.

24 12 Rapport de la commission.

25 En termes de statut, cette dénomination de 1ère langue étrangère et 2ème langue étrangère n’existe pas.

26 Selon les recommandations de la commission des réformes.

27 Benhouhou Nabila, Analyse des programmes, in le manuel de français de formation à distance, p.283, ENS, Bouzareah, Alger.

28 Cette deuxième réforme concerne aussi bien les langues étrangères que la langue arabe et la langue amazighe

29 Il s’agit ici des régions de Tiziouzou, Béjaia, Bouira et quelque peu Alger.

L’usage de cette langue a été généralisé à presque l’ensemble du secteur scolaire.

30 Comme vecteur d’apprentissage, elle est limitée à l’enseignement des matières scientifiques et techniques chez nous.

31 Si le tamazigh l’est plus ou moins puisque le choix a été fait de transcrire son système en tifina, pour l’arabe dialectal aucune décision n’a été prise, et seule l’arabe classique est enseigné.

32 Tout récemment le ministère de l’enseignement supérieur a pris une décision „irréfléchie“ qui consiste à généraliser l’usage de l’anglais au détriment du français dans toutes les correspondances administratives et les frontons des administrations…