Mondialisation et cultures autochtones

EBANG ELLA

École Normale Supérieure de Libreville, Gabon

Résumé 

L’Afrique, même avant la mondialisation, a toujours été caractérisée par son attachement indéfectible à ses traditions et par un certain conservatisme de l’homogénéité et de l’authenticité de ses valeurs, sans un quelconque négativisme à l’égard de l’altérité. Mais avec la mondialisation et l’influence de l’occidentalisme, cette structuration axiologique tend de plus en plus à s’hétérogénéiser et à déchoir. L’homogénéisation mondialiste des cultures autochtones sous le sceau d’une culture de masse, qui porte majoritairement l’empreinte de l’Occident, ne comporte pas seulement alors, et de ce fait, l’inconvénient de saper les formes de vie traditionnelles ; mais elle génère aussi en retour des différenciations hybrides qui ne sont pas inoffensives, eu égard à leur impact sur les identités. Le déni de reconnaissance par les autochtones des styles de vie venus d’ailleurs, remarquable, entre autres, dans les réactions ethnocentriques, fruit d’une désarticulation culturelle, est symptomatique d’un malaise qui, au demeurant, impose plus que jamais au continent, une politique de reconnaissance et d’affirmation culturelle urgente.

Mots clés : Mondialisation, cultures autochtones, homogénéisation, uniformisation, hybridité, interculturalité.

Abstract 

Africa even before globalization has always been marked by its unwavering commitment to its traditions and conservatism of the homogeneity and authenticity of its values, without any negativity towards otherness. But with globalization and the influence of Occidentalism, this axiological structuring tends increasingly to heterogenize and to deprive. The globalist homogenization of indigenous cultures under the seal of a mass culture that carries mainly imprint of the West, not only has the time, and thus the drawback of undermining traditional forms of life; but also in turn generates hybrid differentiations are not harmless in their impact on identities. Denial of recognition by indigenous lifestyles in from elsewhere, among other remarkable ethnocentric reactions fruit of this cultural dislocation, is one of the signs of this malaise which, moreover, more than ever in the continent, a political recognition and urgent cultural affirmation.

Keywords: Globalization, indigenous cultures, homogenization, uniformity, hybridity, interculturalism.

Introduction

La mondialisation a suscité l’espoir d’un monde symétriquement plus ouvert aux différences, au respect de l’hétérogénéité culturelle, au dialogue des cultures et au multiculturalisme. Grâce aux marchés mondiaux, aux médias, au tourisme et aux télécommunications qui en assurent la diffusion mondiale, la pénétration de son idéologie continue de créer des fissures dans les murs traditionalistes et conservateurs des continents lointains et de soumettre les cultures locales à l’ouverture et à la simultanéité. Si cette mutation a l’avantage d’introduire des styles de vie nouveaux et de nourrir des contacts interculturels ainsi que des liens multiethniques, elle a aussi malgré tout l’inconvénient de synchroniser les cadences hétérogènes, et d’homogénéiser les cultures autochtones. Ce qui mène l’individu à la recherche d’un passé révolu mais nostalgique, ainsi qu’à la critique de la mondialisation qui – se confondant en contradiction dans son rapport à l’interculturalité, entre les espoirs qu’elle a suscités à l’origine et les travers de sa réalité actuelle – demande à être revisitée à l’intérieur de son propre contexte d’avènement.

1. Contexte d’avènement de la mondialisation

Issue de l’anglais « globalization », et du latin « globus », (globe, sphère, boule), la globalisation, encore appelée mondialisation (du latin „mundus“, univers) par les francophones, désigne dans cette dénomination, le fait de globaliser, c’est-à-dire de regarder et de concevoir le monde comme un tout et d’en brasser des unités disparates, ainsi que leurs corps divers, pour en faire un ensemble homogène et global.

Mais cette globalité ne va pas sans les principes d’interconnexion et d’interdépendance des sphères publiques éloignées les unes des autres, au moyen desquels « tout un réseau d’informations, d’images, de produits traverse les frontières »1, faisant ainsi de la mondialisation ce processus d‘ouverture de toutes les économies nationales sur le marché mondial d’un monde appelé à devenir un « village planétaire »2. C’est pourquoi au plan économique, la mondialisation prend le sens d’une internationalisation3des transactions financières qui vise la « trade liberalization » (ou la libéralisation du commerce et des échanges et leur intensification), c’est-à-dire l’élimination de toutes les régulations nationales qui freinent les entreprises et leurs investissements ; l’intégration économique par la libre circulation des biens, des services, des capitaux, des hommes et de la technologie ; le développement des échanges commerciaux au sein d’un marché mondial (globalisation commerciale) ; la mise en place d’un marché unifié de l’argent au niveau de la planète et une augmentation des mouvements de capitaux (globalisation financière).

Cependant, si ce terme est bien souvent rallié à l’économie, il revêt aussi une certaine transversalité, puisqu’il touche d’autres secteurs tels que la culture, la communication, la science, les services, etc. Pour Habermas, la mondialisation désigne « l’extension croissante et l’intensification au-delà des frontières nationales des transports, des communications et des échanges »4. À l’aide de ces définitions, la mondialisation transparaît donc dans son esprit comme une réalité transfrontalière, créatrice d’interconnexion et d’interdépendance entre les peuples.

Cependant, cette identification de la mondialisation à la globalisation au détriment du différentialisme n’est-elle pas quelque peu osée et sémantiquement polémique ? Mondialiser et globaliser signifient-t-ils vraiment la même chose ? N’y a-t-il pas un risque de confusion maladroite de sens à éviter nécessairement entre ces deux verbes ?

Selon Francis Gutmann, la mondialisation conçue comme « la prise de conscience du monde par le monde, avec ouverture sans cesse des uns aux autres et des échanges de toutes natures »5, n’entre en confusion de sens avec la globalisation que parce que « la langue anglaise tend à l’emporter dans l’esprit de beaucoup »6, davantage que le français qui, du point de vue du sens, est « moins exact ». Cette importance est marquée par les « thuriféraires » de la mondialisation, tels que « les États-unis en particulier, qui prétendent en tirer une référence exclusive de toute autre »7, au point de l’ériger en un système où l’homme et les situations, bien qu’étant différents, sont soumis aux mêmes principes et règles. Ce qui porterait la mondialisation à rejoindre la globalisation dans les résultats assignés.

Mais cette confusion n’est que factice. En effet, « rien n’autorise à considérer les hommes et les choses »8 ensemble. Au contraire, la mondialisation conduit à les distinguer dans leur diversité. Elle s’accompagne de mouvements identitaires accrus et de nombreuses activités qui lui échappent dans les pays. Confondre mondialisation et globalisation est donc une attitude contre-nature peu soucieuse du différentialisme et des singularités qu’elle veut alors uniformiser et éliminer. Ce qui le réduirait à l’impérium occidental, c’est-à-dire à l’universalisme visant à étendre les valeurs et pratiques institutionnelles occidentales à toute la planète.

Or, en reconnaissant que cela « porte la mondialisation à rejoindre la globalisation dans les résultats assignés »9, la conclusion de Gutmann est réaliste. Car au-delà de la simple conceptualisation, l’idéologie reste la même dans le principe et la vocation universaliste. Et cet universalisme, bien en marche, gagne de plus en plus du terrain. Il reste à savoir comment il s’initie dans la mondialisation jusqu’à se diffuser si rapidement dans les sphères particularistes des cultures endogènes.

2. L’universalisme mondialiste dans le paysage pluraliste des cultures endogènes

Cette universalisation est, d’après Jean-Pierre Paulet, le fruit d’une ouverture progressive et historique par laquelle la mondialisation deviendra « un processus et non un état final »10, depuis l’ère de la circulation des hommes jusqu’à celle actuelle du brassage des peuples. Mais cette historicité, aussi évidente qu’elle puisse paraître, reste tout de même relativisable. En effet, la mondialisation, phénomène de la fin du XXe siècle, est davantage pour Habermas une réalité des temps et des contextes bien précis. L’année 1945 se présente de ce point de vue comme la période charnière véritable qui en inaugure les bouleversements catalyseurs11. On y enregistre notamment le développement du commerce mondial, l’ouverture des marchés ; puis au-delà, la Déclaration des droits de l’homme de 1948, les trente Glorieuses, etc.

Mais ces bouleversements, bien que de nature a priori économique, ont aussi une dimension politico-idéologique non négligeable. La seconde Guerre mondiale par exemple, qui, de ce point de vue, avait ouvert la voie à la reconstruction de l’Europe, a aussi servi de déclic à la naissance d’un esprit mondialiste de citoyenneté cosmopolitique et de l’État mondial. De là, le concept de mondialisation prend une valeur symbolique et cosmopolitique. C’est ainsi que, très affectés par l’affreux conflit européen (la seconde Guerre mondiale), plusieurs citoyens et intellectuels12 européens se proclameront citoyens du monde13 et revendiqueront un « gouvernement mondial au-dessus des nations »14. Dans cette idéologie, ces derniers appellent au renforcement de l’organisation mondiale (ONU), afin d’élargir sa base de légitimation. Ils poursuivent à cet effet trois objectifs, à savoir :

« (1) La création du statut politique de citoyens du monde, relevant de l’organisation mondiale non seulement par le biais de leurs États, mais par l’intermédiaire des représentants élus par eux et siégeant dans un Parlement mondial ; (2) la création d’une Cour pénale internationale, disposant de compétences normales et dont les verdicts engageraient également les gouvernements nationaux ; enfin, (3) la transformation du Conseil de sécurité en véritable pouvoir exécutif »15.

Cependant, si contrairement à l’enthousiasme de J.-P. Paulet et des partisans de la démocratie cosmopolitique, la citoyenneté mondiale peut être acceptable, il est par contre douteux que dans la vision de J. Habermas, un État mondial soit souhaitable. En effet :

« Les spéculations auxquelles les philosophes se livrent, depuis la célèbre proposition de l’abbé de Saint-Pierre (1713) jusqu’à nos jours, en vue de l’instauration de la paix perpétuelle à l’échelle du monde, soulèvent régulièrement des mises en garde contre la menace d’une domination despotique sur le monde »16.

La prévalence, en tant que superpuissance des États-Unis d’Amérique, assortie de leur volonté d’imposer un nouvel ordre mondial17 et de modeler la planète sur le capitalisme, est saluée et soutenue par ceux qui approuvent l’État mondial18 et la dialectique des développements19. Mais elle cache très mal les velléités impérialistes dudit État, cette volonté voilée d’opérer une américanisation culturelle du monde et d’incarner politiquement ce macro-État en perspective. J.-P. Paulet déclare à cet effet sans détour que « les États-Unis, économie dominante en 1945, veulent imposer leur modèle libéral en exportant l’Américan way of life »20. C’est pourquoi ils « montrent la voie vers un capitalisme mondial modelé sur le capitalisme américain »21.

En effet, la perspective d’un État fédéral puissant qui influencerait et orienterait la politique intérieure à l’échelle planétaire avait été faite en premier lieu par Emmanuel Kant. C’est avec lui qu’a germé l’idée d’une fédération qui devait progressivement s’étendre à tous les États. Car, « si par chance, il arrive qu’un peuple puissant et éclairé parvienne à se constituer en république, alors celle-ci servira de centre pour la confédération d’autres États qui s’y rattacheront »22. Pour lui rendre donc hommage, Habermas consacrera à cet effet à Kant un petit essai intitulé La paix perpétuelle. Le bicentenaire d’une idée kantienne. Or, depuis cette « idée kantienne », les débats et supputations vont bon train sur la question de savoir ce dont Kant, par son fédéralisme, voulait véritablement inspirer la création, entre le gouvernement mondial et la gouvernance mondiale23. Sans s’empêtrer dans cette polémique, une seule chose reste cependant certaine, c’est que ce débat débouche sur un nouvel horizon existentiel: celui de la mondialisation dans le cosmopolitisme. Quels espoirs et promesses cet horizon a-t-il donc pu susciter à l’aune des périodes coloniales et postcoloniales, au point de parvenir ainsi à remotiver l’ouverture culturelle des peuples tels que ceux d’Afrique au-delà de leur meurtrissure et des séquelles laissées par la traite négrière et la colonisation ? Quelle ruse de la raison fut utilisée pour que l’Afrique accepte de s’ouvrir à cette « nouvelle donne » ?

Répondre à cette question, en l’état, laisserait présupposer que l’Afrique a été trompée, voire « encore » trompée, et qu’elle n’a pas vu venir la mondialisation, avec son lot de conséquences. Or, meurtrie par la Traite négrière et la colonisation, elle est censée demeurer en alerte surtout à l’égard des cloches des idéologies politiques nouvelles et exogènes.

En effet, par tradition, l’Afrique est hospitalière, mais axiologiquement conservatrice. En acceptant donc de s’ouvrir à l’universel, elle ignorait peut-être conceptuellement la mondialisation. Mais elle connaissait et connaît encore les valeurs d’interculturalité, d’intégration et d’ouverture à l’altérité.

Sur le plan politique, l’ouverture à l’exogène relève de la politique étrangère des États. Mais même à ce niveau, les résistances historiques du continent contre la colonisation et le refus de l’indépendance par certains États, ont été les signes avant-coureurs que le rejet culturel de soi n’est véritablement pas une sinécure en Afrique.

Peut-on dans ce cas admettre que l’État en Afrique se soit si sympathiquement ouvert à la mondialisation, sans recul critique, pour se prémunir préventivement contre ses effets d’hybridité et d’homogénéisation qu’il subit encore continuellement aujourd’hui, sans alternative ?

3. Mondialisation : viatique de l’hégémonisme américain sur les particularismes en homogénéisation

La question précédemment formulée, et incisive à certains égards, en appelle une autre qui, au demeurant, peut amener à voir les choses sous un angle encore plus éclairant. L’Afrique a-t-elle vraiment eu le choix d’accepter ou de refuser l’idéologie mondialiste à l’aune de son avènement ? Comme la colonisation et les droits de l’homme, la mondialisation ne s’est-elle pas plutôt imposée idéologiquement à elle comme aux autres parties du monde ?

À l’effet de cette question, Habermas établit entre les droits de l’homme et la mondialisation une corrélation intéressante axée sur l’universalisme de la raison occidentale comme point de départ de ces idéologies. Ainsi, comme la mondialisation,

« l’idée des droits de l’homme est l’expression d’une raison spécifiquement occidentale plongeant ses racines dans le platonisme. (…) Cette raison outrepasse les limites du contexte génétique qui est le sien et, du même coup, aux limites de la validité purement locale de ses critères prétendument universels »24.

C’est donc la mondialisation qui est le viatique et le médium de « diffusion mondiale »25 de ces idéologies. Celles-ci, comme bien d’autres du même genre, sont donc marquées du sceau de l’occidentalisme qui voile très mal son autoréférentialité et son impérialisme. Il en résulte une « herméneutique du soupçon »26 dont l’une des deux variantes se trouve être la critique de la raison, à côté de la critique du pouvoir. La raison occidentale, qui prétend s’universaliser à travers la mondialisation, est jugée fondamentaliste et impérialiste. Cela explique les tendances homogénéisantes et uniformisantes de l’idéologie mondialiste, ainsi que l’exposition des autres cultures à l’hybridité. Cette critique permet donc de comprendre le bien fondé de « la tension particulière entre le sens universel des droits de l’homme et les conditions locales de leur mise en œuvre »27, mais aussi entre la mondialisation et les cultures autochtones.

En effet, dans cette tension, à l’évidence, « l’idéologie dans ses dérives utopiques n’est pas pour rien dans les destructurations géopolitiques du XXe siècle »28. Les idéologues donnent un sens aux projets politiques et permettent d’en coordonner l’exécution. De fait, « si l’idéologie impose, la géopolitique expose »29. Dans cette logique d’imposition pour exposer, les peuples n’ont donc parfois pas le choix. Karl Hegel, fils du philosophe Hegel, affirme à ce sujet que « la part que chaque peuple a prise au devenir formateur de l’humanité présente ainsi les conceptions du monde ou idéologies de l’Égypte ancienne, de la Grèce classique, de Rome, de l’Église chrétienne, de l’Europe féodale, etc. »30. Or, au-delà de cette historicité caractérisant la rhétorique de Karl Hegel, il y a une certaine actualité, celle d’une « américanologie »31 comme idéologie contemporaine en marche dans la mondialisation. Cette américanologie mondialiste entretenue par l’occidentalisme32 se décline en des termes clairs que ne manquent pas de dévoiler l’idée de « village planétaire »: « faisons un village global, nous vendrons plus, donc nous augmenterons nos revenus. »33. Il y a donc dans cette manœuvre de la mondialisation, « de l’autre côté de l’Atlantique, la volonté de créer dans le ‘’melting pot’’un homo americanus »34. Aussi :

« Que nous puissions avoir des doutes légitimes sur cette utopie, surtout lorsque nous pouvons voir aujourd’hui le creuset WASP (White Anglo Saxon Protestant) (…) n’empêche pas que le modèle proposé par les Américains vise à la destruction de nos particularismes et de notre volonté d’enracinement »35.

Il est donc clair, sur la base de cette réflexion, que lorsque l’un des pôles du monde cherche à s’imposer aux autres, « cela s’appelle […] de l’hégémonisme »36. Le titre du livre de Thomas Molnar – L’Américanologie, triomphe d’un modèle planétaire ? – en est à ce propos très évocateur. En effet, le monde est envahi par « des produits standardisés d’une culture de masse qui porte majoritairement l’empreinte des États-Unis »37. Cette culture américaine, en se mondialisant, met en synchronisation (concordance) « les cadences les plus hétérogènes, soumise de force à la simultanéité »38. Et la mondialisation est à ce titre l’outil conceptuel et idéologique au service de cet américanisme homogénéisant des autres cultures du monde. Mais quelle est la part de l’Afrique dans cette pénétration de l’idéologie mondialiste ?

4. L’Afrique et l’occidentalisme : entre hostilité et hospitalité

Le portrait de l’Afrique dans la mondialisation est souvent péjorativement brossé. Le continent est encore peint sous les traits du néant total en termes de contribution à la globalisation. Sans minimiser les nuances de sens revendiquées ou exigées entre la mondialisation, l’internationalisation et la transnationalisation39, mondialiser c’est aussi universaliser, c’est-à-dire étendre au-delà des frontières nationales aussi bien les paradigmes culturel, politique et économique que les transports et les réseaux… en vue de l’intégration du monde. Et à côté des facteurs de l’ordre des « systèmes de communication » tels que les mass-médias et la communication digitalisée, il y a les « marchés » qui contribuent pour une part importante à créer et à faciliter ce « lien planétaire »40.

Cet universalisme n’est peut-être pas le fait de l’Afrique. Mais l’a priori du continent n’est pas vide de prédispositions propices à la mondialisation, dont ses qualités d’hospitalité, de solidarité, d’intégration, de respect de la différence, etc. Dans son texte L’Afrique ambigüe, l’ethnologue Georges Balandier ne tarit pas de sympathie, lorsqu’il ressasse avec une rare passion l’accueil chaleureux et hospitalier que lui avait réservé l’Afrique, et qui avait révolutionné en lui les stéréotypes nourris à propos du continent. Aussi, au contact des Africains qui lui ont témoigné leur hospitalité, il a découvert des personnes-ressources dont la collaboration franche et l’ouverture d’esprit ont été sinon précieuses, du moins fondamentales pour son ethnologie. C’est pourquoi, à ses yeux, « tout change dès lors qu’on évoque les Africains qui furent autant (ses) compagnons de méditation que (ses) informateurs »41.

Pour un auteur comme le politologue nigérien, C. Aké, que cite Habermas, la démarcation entre l’occidental et l’Africain se trouve à ce niveau. Alors que le premier est individualiste, le second est collectiviste. C. Aké, dans un style autoréférentiel, dessine de façon bien judicieuse cette démarcation entre l’occident et l’Afrique. Ainsi, à la différence de la « société atomisée et individualiste » de type occidental, l’Afrique est collectiviste et altruiste. En Afrique, dit-il,

« nous mettons moins l’accent sur l’individu et davantage sur la collectivité ; nous n’admettons pas que l’individu ait des exigences qui l’emportent sur celles de la société. Nous partons de l’idée d’harmonie, non de celles de la divergence des intérêts, de la compétition et du conflit ; nous avons davantage tendance à penser à nos obligations envers les autres membres de notre société qu’à nos revendications à leur égard »42.

L’Afrique, communautariste et non individualiste, n’est donc pas une table rase avant et avec la mondialisation et ses effets collatéraux qu’elle a cependant encore du mal à conjurer. Faut-il par là conclure que le point de non retour est franchi ?

5. L’angélisme de la mondialisation et la présomption de victimisation de l’Afrique

Dans le présupposé de leur thèse, les défenseurs de la mondialisation nourrissent de l’optimisme par-delà les défauts que lui imputent ses détracteurs. Selon leur rhétorique, la mondialisation comporte des qualités indéniables. En effet, elle permet la libéralisation des échanges ainsi que la délocalisation des activités. Elle facilite la fluidité des mouvements financiers (le flux des capitaux) et le développement des moyens de transport et de télécommunications. Elle ouvre et favorise les échanges interculturels et multiplie par ce fait les rapports entre les civilisations différentes qui permettent à l’humanité entière de s’ouvrir et de fraterniser. Elle est donc un vecteur de mécanismes nécessaires pour permettre aux pays du monde de s’industrialiser et de se développer. Avec la globalisation, le monde est donc un tout, c’est-à-dire une communauté de destin commun et de risques partagés ; un « village planétaire »43. De ce point de vue, on peut penser que le point de non-retour en termes d’ouverture des cultures est quasiment franchi. La revendication des différentialismes et du conservatisme devient alors un anachronisme, voire un archaïsme. La culture étant appelée à devenir dynamique, il faut donc sortir du traditionalisme et de la victimisation; ces comportements qui au demeurant, ne sont que des fausses excuses et des obstacles épistémologiques et psychologiques à la fraternité universelle.Il faut au contraire s’adapter à l’ère du temps, suivre la marche du monde et se mettre au travail, pour se hisser à la hauteur de l’universel.

La mondialisation est donc une chance et un avantage en ce qu’elle permet l’ouverture et l’intégration avec la création des grands ensembles, des constellations et des unités continentales. Elle favorise aussi les échanges, l’enrichissement interculturel, grâce aux marchés et aux systèmes de communication : mass média, le numérique, etc. Mais ces avantages blanchissent-ils véritablement la globalisation ? Peut-on vraiment croire en la possibilité d’une globalisation qui universaliserait les cultures autochtones, particulièrement africaines ?

Il est évident que cet angélisme n’est pas sans son revers de la médaille. En effet, l’univers mondialiste a des travers et des discordances, surtout économiques et culturels, qui compliquent son rapport aux particularismes des mondes vécus.

6. Les travers de l’idéologie mondialiste

Les arguments qui précèdent sont pour la plupart porteurs d’une certaine vérité. En effet, si la mondialisation présente des avantages certains, telle que l’interculturalité qui, en définitive n’est pas de refus, ce qu’il y a cependant de reprochable en elle, c’est son incohérence dans l’illustration. En appeler au multiculturalisme, voire au muticulturalisme identitaire, et se montrer peu favorable au différentialisme et à l’hétérogénéité en observant des velléités homogénéisantes n’est pas une démarche transparente. Habermas relève à cet effet une tension particulière entre son sens universel et les conditions locales de leur mise en œuvre44. Cette contradiction mène à la conclusion que la mondialisation favorise l’américanisation culturelle du monde, c’est-à-dire l’universalisation « d’une culture de masse qui porte majoritairement l’empreinte des États-Unis »45. Les catalyseurs et propagateurs de cette « american way of life » sont « les marchés mondiaux et la consommation de masse, les médias et le tourisme »46. Comment ces facteurs universalisent-ils donc la culture américaine ? Selon Habermas, ces vecteurs et particulièrement « les médias font en sorte que le monde entier ait conscience de l’écart qui sépare la prospérité du Nord et la pauvreté du Sud, ou de celui qui divise l’Ouest de l’Est »47.

Au nombre des effets collatéraux directs de ce modelage culturel du monde, il y a (1) l’uniformisation culturelle qui en découle, et qui sonnera tôt ou tard le glas des spécificités culturelles nationales. Il y a ensuite (2) la déstructuration du paysage relationnel entre les citoyens d’un même monde vécu, tout comme (3) le bouleversement des ordres culturels locaux qui engendre la fin des traditionalismes et le déni de reconnaissance des autochtones dans les mœurs venues d’ailleurs. Enfin, il y a (4) cette homogénéisation planétaire des mentalités qui crée une sorte de mimétisme dans les styles. Selon Habermas,

« les mêmes biens et styles de consommation, les mêmes films et programmes de télévision, les mêmes chansons à la mode sont diffusés partout sur la planète. Les mêmes modes pop et techno, les mêmes jeans accaparent et marquent la mentalité des jeunes jusque dans les régions les plus reculées ; la même langue – un même anglais diversement assimilé – sert de moyen de communication entre les langues les plus éloignées les unes des autres »48.

Ce mimétisme entraîne par le même fait la synchronisation et l’inféodation des cultures imitatrices à la culture imitée. Mais ladite homogénéisation est aussi commerciale. Pendant longtemps, dit Habermas, « l’anthropologie a posé un regard nostalgique sur les cultures autochtones, prétendant que, sous la pression de l’homogénéisation commerciale, elles étaient progressivement déracinées et privées de leur authenticité. »49 Ledit mimétisme comporte alors des effets collatéraux, tels que l’hybridité et le choc des civilisations (cultures). Selon Habermas, relativement au premier effet, la pression uniformisante de la culture mondiale fait naître des constellations nouvelles. Et, loin de niveler les différences culturelles existantes, celles-ci créent au contraire une diversité nouvelle de formes hybrides50 et de métissage destructeurs de l’authenticité.

Dans le rapport au second effet, J.-P. Paulet indique lui aussi avec une dose critique :

« La mondialisation a multiplié les rapports entre civilisations différentes et ces échanges sont souvent conflictuels. D’une part, la technique et l’organisation économique sont des facteurs d’unification du monde et, d’autre part, les nationalismes, les valeurs culturelles s’opposent»51.

En considérant ce propos depuis la perspective de Guan Shijie, il est compréhensible que « la tendance à la mondialisation ne signifie pas la disparition des heurts entre les cultures »52, mais au contraire leur exacerbation. La raison de cet état de choses se situe non seulement dans l’individualisme possessif occidental déjà dénoncé, mais aussi dans le fait d’un universalisme caractérisé par l’hypocrisie. Dans l’entendement de Habermas, la « rhétorique de l’universalisme », c’est cette vision ou politique mondialiste prônant le triomphalisme des droits de l’homme à l’échelle planétaire. Et l’« universalisme moral » désigne cette « vision pratico-morale que la modernité a d’elle-même »53. Cet universalisme moral découle en partie de l’impératif catégorique de Kant : « agis uniquement d’après la maxime qui fait que tu peux vouloir en même temps qu’elle devienne une loi universelle »54.

C’est donc cet universalisme moral kantien et celui des droits de l’homme qui, selon Carl Schmitt, relève de l’hypocrisie. Comme tel, « le concept d’humanité est un instrument idéologique particulièrement utile » ; qui dit humanité veut tromper55.

Il est donc clair que derrière l’universalisme de la mondialisation ou la volonté mondialiste de certains pays d’afficher leur spécificité culturelle, se cachent en réalité des intérêts politiques et économiques égoïstes :

« L’Asie affirme bien haut son identité et, inversement, le mode de vie américain s’exporte grâce aux films d’Hollywood, à CNN, à McDonald’s, Lewis ou Coca-Cola. Plus les puissances occidentales développeront une certaine forme de mondialisation, liée à leurs techniques et leur puissance, plus surgiront des réactions identitaires »56.

On peut même ajouter, pour utiliser le mot de B. Dadié que cite J.-P. Paulet, que « plus l’Asie s’asianisera, plus le monde musulman développera un discours islamo-globaliste »57. Or, ce « choc des civilisations » se décline selon Samuel Huntington, que cite J.-P. Paulet, comme une guerre qui serait la caractéristique principale de cette fin de siècle.

Enfin, l’ethnocentrisme, le fanatisme religieux, le racisme, la discrimination sociale sont aussi des phénomènes qui sont, sinon dus à la mondialisation, du moins exacerbés par elle. La globalisation entraîne en effet selon Habermas, le bouleversement du paysage relationnel et des ordres traditionnels des cultures locales et suscite ainsi le déni d’acceptation de l’exogène Dans nos sociétés,

« on voit se multiplier des réactions ethnocentriques de la population autochtone à l’égard de tout ce qui est étranger : haine et violence vis-à-vis des étrangers en général, de ceux qui pratiquent d’autres religions ou dont la couleur de peau est différente, mais aussi à l’égard des groupes marginaux, des handicapés et, une fois de plus, des juifs. Il faut également citer dans ce contexte les ruptures de solidarités qui éclatent à propos de questions relatives à la redistribution et qui sont susceptibles d’entraîner la fragmentation politique»58.

Cependant, ces causes étant entendues et connues, faut-il donc se défaire de la mondialisation pour refaire les mondes vécus autochtones, comme le soutiennent les idéologies antimondialistes ? Sinon, quelle solution convient-il de préconiser ?

7. La solution à la mondialisation : antimondialisme ou « africanisation » de l’Afrique?

Apparue vers 1964 au moment de la guerre froide, dans un contexte de tension géopolitique entre les puissances, et lorsque des superstructures transnationales ont progressivement commencé à se constituer (banques, médias, etc.), la mondialisation symbolisera ici l’extension des marchés industriels au niveau des blocs géopolitiques. Elle sera généralisée comme terme avec – entre autres facteurs – les thèses du sociologue canadien Marshall McLuhan sur l’émergence d’un „village global“ ; puis, avec le fait des mouvements anti-mondialistes et altermondialistes.

L’antimondialisation désigne le mouvement ou le courant de pensée qui s’oppose à la mondialisation de l’économie. Dans le même sens critique, l’altermondialisme ou altermondialisation dont le slogan est « un autre monde est possible », désigne le mouvement social qui, face à une logique de mondialisation libérale effrénée, revendique et met en avant des valeurs comme la démocratie, la justice économique, la sauvegarde de l’environnement, les droits humains en vue d’une mondialisation maîtrisée et solidaire.

En effet, avant l’avènement de la mondialisation, lescultures étaient jusque-là enfermées dans leurs limites territoriales. L’avènement de la mondialisation a fissuré ce protectionnisme, et cela a obligé le monde à l’ouverture et à la confrontation parfois brutale entre les peuples.

Sur le plan économique, la délocalisation des industries de production, sous l’impulsion de l’OMC, dans les espaces culturels locaux, sans tenir compte des équilibres de forces ou des disparités entre elles, a exacerbé la domination des riches sur les pauvres. Car, sous la pression du libéralisme et la contrainte d’ouverture, les protections de l’économie locale disparaissent et les garde-fous contre l’investissement étranger se suppriment. L’égalité formelle dans l’inégalité réelle étant souvent favorable aux dominants, il s’instaure aussitôt une concurrence qui ne se fait pas toujours « à armes égales » entre les entrepreneurs locaux et les investisseurs étrangers. Ceci entraîne la ruine, l’effondrement et la disparition des petits producteurs nationaux, rachetés dérisoirement ou carrément engloutis par les grandes firmes internationales : les multinationales. Dans une telle situation, l’État endetté, affaibli dans sa souveraineté et ne pouvant plus conserver que le minimum, devient une machine militaire de contrôle de la population et de protection des multinationales étrangères. Et pour contenir la frustration et la révolution de ses sujets politiques, il fait recours au médium de la répression : la violence politique, « violence institutionnalisée » (Max Weber).

Il en résulte une situation d’inégalité qui condamne les peuples à subir la « raison du plus fort » (Lafontaine) chez eux, à tous les niveaux possibles où s’exerce la mondialisation. Ainsi, au lieu de favoriser le multiculturalisme et la coopération gagnant-gagnant, la mondialisation contribuera plutôt de ce fait à alimenter le nationalisme. Ce qui créera un peu partout à la fois des frustrations et des manifestations populaires contre la vie chère par exemple, ainsi que des crises au sein des sociétés qui s’affrontent pour des intérêts économiques et politiques. La mondialisation transforme donc le monde en société de consommation où prédominent à la fois la fascination pour l’argent – pour ceux qui en possèdent – et la marginalisation des pauvres. Cette situation est bien palpable en Afrique. L‘Atlas du Monde Diplomatique- 2006 – Afrique, miroir du monde, déclare à cet effet :

« L’injustice de l’ordre économique mondial, fondé sur la primauté de l’argent et de la concurrence, se révèle particulièrement sur ce continent, où ses dégâts se mesurent en termes de vie et de mort. Vue d’Afrique, la „mondialisation heureuse“ apparaît comme ce qu’elle est : une sinistre escroquerie ».

Au regard de cette conclusion, faudrait-il choisir de rejeter la mondialisation ? Un tel choix serait-il judicieux et possible ? Ne comporterait-il pas de risque ?

L’option de refus de la mondialisation, fondée sur le constat qui justifie ce questionnement, semble certes ambitieuse, mais paraît à la fois alarmiste et zélée. En effet, le monde est résolument condamné à l’ouverture. Se défaire de la mondialisation en guise de solution tel que le préconise l’altermondialisme, imposerait à l’Afrique de proposer au reste du monde ou de négocier avec lui un autre modèle d’échange plus adapté à l’ère du temps et aux exigences des marchés et de la coopération internationale. La science, disait Bachelard, progresse par rectification successive des erreurs. Or, dès lors que cette révolution est impossible, la critique elle-même, incapable de sauter par-dessus son ombre, devient ipso-facto vaine, voire capricieuse.

La décision de fermeture dans un monde d’ouverture console certes, mais elle est susceptible d’être source de dissonances idéologiques et politiques inutiles. La mondialisation est un défi. Or, le défi, on ne le fuit pas, on le relève, on l’affronte. Il faut donc non pas rejeter la mondialisation, mais plutôt l’adopter, la convertir culturellement et affirmer les particularismes culturels locaux à travers elle. Autrement dit, apprivoiser la mondialisation, pour en faire la servante de l’interculturalité et l’espace de promotion et d’expansion des différentialismes autochtones paraît tout à fait judicieux et diplomatique. Ainsi, devant l’Europe européanisée, l’Asie « asianisée » et le monde musulman islamo-globalisé, l’Afrique doit elle-aussi « s’africaniser », puis se mondialiser59 et aller en toute originalité au marché d’échange. Dans ce cas, deux conditions apparaissent nécessaires pour sortir de l’ornière. D’abord la politique inclusive nationale et panafricaine. Il s’agit d’une ouverture au plan national et panafricain des communautés culturelles et politiques à l’échange et à l’intégration des citoyens. A cet effet, deux exigences méritent d’être absolument satisfaites. La première impose à la mondialisation le strict respect des cultures autochtones dans leurs originalités respectives, en s’interdisant d’enfermer l’altérité dans l’uniformité, ou le conduire subtilement au renoncement de sa propre originalité, bien que sur cette question, on estime que les torts sont partagés. En conséquence, l’Afrique doit affirmer et affermir son visage, son être, sa force, et s’imposer la voix au chapitre. Deuxièmement, les difficultés relatives à la réalisation de la citoyenneté civique et de l’intégration sous-régionale doivent elles aussi être prioritairement résolues. Il appartient à l’Union Africaine de l’encourager et d’y jouer un rôle prépondérant.

La seconde condition, c’est la politique de reconnaissance pour identifier ses valeurs et mœurs, se les approprier et les stabiliser. Car l’identité de tout citoyen est liée à une identité collective ou ethnique que l’on peut retrouver, en cas d’oubli, au moyen des épopées.

Conclusion

La mondialisation n’est pas encore à la hauteur de son ambition multiculturelle de départ. Son discours traditionnel n’est jusque-là qu’un vernis en vue de l’universalisation d’une culture occidentale placée sous le signe de la marchandise à l’échelle du monde. Se défaire de la mondialisation pour refaire les cultures autochtones est ambitieux, mais contreproductif. Une politique inclusive et une politique de reconnaissance pour stabiliser les identités, universaliser ses valeurs semblent pour l’heure plus appropriée pour la survie des cultures.

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1 Jean-Pierre PAULET, La mondialisation, Paris, Armand Colin/Masson, 1998, p. 06

2Le village planétaire, ou village global (en anglais Global Village), est une expression du sociologue et théoricien de la communication canadien Herbert Marshall McLuhan, pour qualifier la mondialisation. Elle est extraite de son texte Message et Massage, un inventaire des effets, Paris, Jean-Jacques Pauvert, 1968, (titre original : (en)The Medium is the Massage: An Inventory of Effects, Bantam Books, New York, 1967). Le village planétaire est dans ce sens un monde unifié, un ensemble de micro-sociétés fondues en une seule dans laquelle les personnes (raccordées à un réseau) ont la capacité de récupérer des informations très rapidement en n’importe quel point de la planète comme si elles étaient au même endroit virtuel ou dans le même village. Le village planétaire suggère donc l’idée qu’il n’y a plus qu’une culture, une seule et même communauté où l’on vivrait dans un même temps, au même rythme et dans un même espace, grâce aux moyens de communication audiovisuelle modernes.

3Du latin « inter », (entre, parmi, avec un sens de réciprocité) et de « natio », (naissance, extraction), l’internationalisation désigne l’action d’ « inter-nation-aliser », c’est-à-dire de rendre international, mieux d’établir la relation ou le réseau « entre » (inter) les nations et de le lier ainsi àtoutes ces nations qui en deviennent aussitôt touchées et concernées. Elle désigne aussi le régime d’administration d’un territoire par une autorité internationale, comme les Nations Unies. Elle désigne enfin la stratégie de développement d’une entrepriseau-delà de son marché nationald’origine, par l’implantation d’unités de production dans d’autres pays.

4 Jürgen HABERMAS, Après l’État-nation. Une nouvelle constellation politique, traduction de Rainer Rochlitz, Paris, Librairie Arthème Fayard, 2000, p. 54.

5 Francis GUTMANN, « Mondialiser n’est pas globaliser », Géoéconomie 3/2009 (no 50), p. 89-92.

6 Ibid.

7 Ibid.

8 Ibid.

9 Ibid.

10 Jean-Pierre PAULET, La mondialisation, op. cit., p. 06.

11 Jürgen HABERMAS, Après l’Etat-nation. Une nouvelle constellation politique, op. cit., p. 54.

12 Au nombre de ces intellectuels qui adhèrent en 1952 au mouvement « citoyen du monde », J.-P. Paulet cite tour à tour le pilote de guerre Garry Davis, les écrivains Albert Camus et André Breton et, aujourd’hui, les partisans de la démocratie cosmopolitique, dont David Held et Daniele Archibugi. David Held (Né le 27Août 1951 au Royame-Uni, 64 ans), détient actuellement une nomination conjointe en tant que professeur des sciences politiques et des relations internationales, et le Maître de l’University College, à l’Université de Durham. Daniele Archibugiest un théoricien économique et politique italien. Il travaille sur l’économie et la politique de l’innovation et le changement technologique, sur la théorie politique de relations internationales et sur la mondialisation politique et technologique.

13 Les citoyens du monde sont des personnes qui estiment que les habitants de la terre forment un peuple commun avec des droits et des devoirs communs, en dehors des clivages nationaux, et qui placent l’intérêt de cet ensemble humain au-dessus des intérêts nationaux. Leur but est de (1) développer un sentiment d’identité commune et de coexistence pacifique entre les habitants de la planète, tout en respectant les diversités locales ; puis de (2) promouvoir une Organisation des Nations unies renforcée tout en conservant une certaine décentralisation, qui représente et réponde aux attentes des peuples du monde. Il faut cependant différencier la citoyenneté cosmopolitique (ou citoyenneté mondiale) de l’internationalisme. Ce dernier est une idéologie qui encourage et met en place une solidarité de principes, d’intentions et d’actions parmi les individus et les forces collectives, et qui tend vers une organisation dépassant les structures nationales. Son but est de mettre fin aux affrontements entre les États, en défendant les intérêts qui sont communs à l’humanité.

14 J.-P. Paulet, La mondialisation, op. cit., p. 11.

15Jürgen HABERMAS, Après l’État-nation. Une nouvelle constellation politique, op. cit., p. 119

16 Ibid, p. 118

17Le nouvel ordre mondial (NOM) est un concept géopolitique de l’immédiat après-guerre froide. L’expression désigne alors l’alignement idéologique et politique des gouvernements et organismes mondiaux vers une certaine unipolarité, incarnée par les États-Unis d’Amérique. Les tenants de la « théorie de l’empire global » considèrent en effet les évènements politico-économiques internationaux survenus depuis 1989 comme le signe de cette transition de l’humanité vers un « empire global » et définissent ainsi le nouvel ordre mondial comme un ordre polarisé autour d’une seule puissance : les États-Unis. Dans un autre contexte, le NOM est un projet d’unification du monde dont l’objectif est d’amener le monde vers un seul gouvernement mondial, de créer une démocratie cosmopolitique, sous une gouvernance mondiale, et de soutenir sa consolidation en matière financière, environnementale, par exemple. Comme tel, il s’agit d’une mondialisation, mais pas de la mondialisation économique du style OMC, ni de la mondialisation de la sécurité mondiale du genre ONU, ni même de la mondialisation de la force sous la forme OTAN, mais d’une mondialisation politique, religieuse, avec des caractères économiques et culturels où tous les pays du monde formeront une fédération et ne se limiteront plus à un simple partenariat.

18Habermas, dans Après l’Etat nation, une nouvelle constellation politique, page 119, conçoit l’État mondial comme un État post national ; la communauté cosmopolitique des citoyens du monde comme une fédération d’États libres que le peuple repousse par crainte de la guerre. Ce macro-État est de ce point de vue une « puissance de gouvernement » (Ibid, p. 27); un « État cosmopolitique », une « République mondiale ». Du point de vue d’Emmanuel Kant, cette « monarchie universelle » résulte de l’union ou fusion fédérative des États en une puissance dépassant et engloutissant tous les autres États. Il s’agit dans ce contexte d’un «  État des peuples s’accroissant à vrai dire sans cesse et qui rassemblera finalement tous les peuples de la terre » (Kant, Vers la paix perpétuelle, trad. J.-F. Poirier et Françoise Proust, Paris, GF Flammarion, 1991, p. 93). Il faut tout de même différencier l’État mondial des autres types de regroupements ou institutions supranationales telles que les organisations non gouvernementales, les organismes internationaux, etc. qui sont des régimes transversaux permettant de gouverner au-delà de l’État national (Ibid,p. 61) ; mieux des régimes continentaux tels que l’UE (Union Européenne), l’ASEAN (Association des Nations du Sud-est Asiatique), la CEDEAO (la Communauté Economique des États de l’Afrique de l’ouest), la CEMAC (la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale), etc.

19La dialectique des développements, c’est la stratification du monde en pôles asymétriques de développement classifiés par ordre de puissance en Grandes puissances, Pays émergents, Pays à revenu intermédiaire, Pays sous-développés, etc. Le concept désigne encore – notamment dans l’acception kantienne que présente Habermas dans La paix perpétuelle. Le bicentenaire d’une idée kantienne, trad. Rainer Rochlitz Paris, Cerf, 2005 – l’ensemble des tendances favorables à l’unité politique du monde et à son développement. Il s’agit plus clairement de la constellation fédérative capable pour Kant de conduire le monde à l’unité politique et au développement. C’est pourquoi Kant en voit les débuts dans (1) le caractère pacifique des républiques ; (2) la force unificatrice des marchés mondiaux et (3) la pression normative exercée par les espaces publics libéraux.

20 Jean-Pierre PAULET, La mondialisation, op. cit., p. 11.

21 Robert REICH, cité par Jean-Pierre PAULET, La mondialisation, op. cit., p. 12.

22 Emmanuel KANT, Vers la paix perpétuelle, op. cit., p. 92

23Selon Habermas – dans Après l’État-nation, une nouvelle constellation politique, trad. R. Rochlitz, Paris, Fayard, 2000, p. 90 – L’État mondial est un État post national, « un gouvernement mondial capable d’action politique (…) à l’échelle de la planète ». C’est un État des peuples (Ibid, p. 119), une monarchie universelle; un État cosmopolitique (Ibid, p. 114) ou État universel des hommes, qui doit s’accroitre sans cesse, pour rassembler finalement tous les peuples de la terre, et dont la création du point de vue d’Éric Weil exige « une organisation coordonnant le travail des communautés » dont chacune aurait pour but et pour sens le développement de sa morale, de son universel particulier concret. Or la gouvernance globale n’est ni un gouvernement, ni un État ; elle n’est ni un super-État, un supra-État, ni unmacro- État. Elle désigne en général l’ensemble des règles d’organisation des sociétés humaines à l’échelle de la planète (Ibid, p. 112) [] et donc une façon de gouverner à l’échelle du globe ; une démocratie à l’échelle du monde, une démocratie cosmopolitique. La question de la gouvernance globale est celle de savoir comment gouverner à l’échelle du globe, au-delà de l’État-nation. À cet effet, la perspective d’une politique intérieure mondiale (le cosmopolitisme) exige en même temps de réglementer et institutionnaliser cette politique. Cette régulation et institutionnalisation de la politique à l’échelle mondiale c’est la gouvernance mondiale, donc la réglementation de la politique à l’échelle mondiale. Le but de la gouvernance mondiale est donc, d’une part, de réglementer ou réguler universellement la société mondiale, les marchés, la concurrence, les productions et de favoriser la coopération internationale en vue de défendre, au niveau mondial, les principes de la dignité humaine, de l’égalité et de l’équité. D’autre part, elle vise à régler les problèmes internationaux aux plans économique, social, culturel ou humanitaire, et dans le strict respect des principes de la justice et du droit international, des droits de l’homme et des libertés fondamentales, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion. Il s’ensuit un schéma directeur, une ligne directrice, notamment: universaliser les intérêts entre les peuples, faire advenir un monde meilleur, faire de la mondialisation une force positive pour l’humanité entière etbâtir un avenir commun fondé sur la condition que tous les hommes partagent en tant qu’êtres humains dans leur grande diversité.

24Jürgen HABERMAS, L’intégration républicaine. Essais de théorie politique. Traduction Rainer Rochlitz, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1998, p. 247.

25 Ibid, p. 246.

26 Ibid, p. 247

27 Ibid, p. 246.

28 Marc IMBAULT et Gérard A. MONTIFROY, Géopolitique et idéologies. Des rêves éclatés aux questions du futur, Paris, Editions Frison-Roche, 1996, p. 34.

29 Ibid, p. 35.

30 Karl Hegeldans la préface à la seconde édition des Leçons sur la philosophie de l’histoire, traduction française de J. Gibelin, Paris, Vrin, 1960, p. 12.

31 Cette expression est de Thomas Molnar dans son ouvrage intitulé L’américanologie. Triomphe d’un modèle planétaire ? Ici l’auteur montre comment le progressisme américain est intrinsèque au nouveau monde.

32 L’occidentalisme désigne le dynamisme de la civilisation commune euro-américaine

33 Marc IMBAULT et Gérard A. MONTIFROY, Géopolitique et idéologies. Des rêves éclatés aux questions du futur, op. cit., p. 102.

34 Didier PRATTE, « L’Europe multiple et enracinée », in Europe : le nouveau monde, GRECE, Paris, 1993, p. 25

35 Ibid.

36 Marc IMBAULT et Gérard A. MONTIFROY, Géopolitique et idéologies. Des rêves éclatés aux questions du futur, op. cit., p. 103.

37 Jürgen HABERMAS, Après l’Etat-nation. Une nouvelle constellation politique, op. cit., p. 69.

38Ibid., p. 70.

39 Selon J.-P. Paulet dans La mondialisation (op. cit., p. 5), l’internationalisation c’est l’ouverture des firmes vers l’extérieur en développant leurs exportations. La transnationalisation par contre, c’est la mondialisation des investissements directs ; l’essor des investissements directs à l’étranger (les délocalisations). La mondialisation enfin désigne l’installation des réseaux planétaires grâce aux progrès de la technologie et des services.

40 J. HABERMAS, La paix perpétuelle, le bicentenaire d’une idée kantienne, op. cit., p.66.

41 Georges BALANDIER, L’Afrique ambigüe, Paris, Librairie Plon, 1957, p. 6.

42 C. AKE, « The african context of human rights », Africa today, no 34, 1987, p. 5; in J. HABERMAS, Intégration républicaine, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1998, p. 249.

43 Marshall McLuhann, cité par Jean-Pierre PAULET, La mondialisation, Armand Colin/Masson, Paris, 1998.

44Jürgen HABERMAS, L’intégration républicaine. Essais de théorie politique, op. cit., p. 246.

45 Jürgen HABERMAS, Après l’Etat-nation. Une nouvelle constellation politique, op. cit., p. 69.

46 Ibid.

47 Ibid, p. 66

48 Ibid, p. 69

49 Ibid, p. 70

50 Ibid.

51 J.-P. PAULET, La mondialisation, op. cit., p. 29.

52 Guan SHIJIE, cité par J.-P. Paulet, Ibid.

53J. HABERMAS, Le discours philosophique de la modernité, trad. Chr. Bouchindhomme et R. Rochlitz, Paris, Gallimard, 1988.

54 E. KANT, Fondements de la métaphysique des mœurs, 2e section, Delagrave, 1785, p.137. 

55C. SCHMITT, La notion de politique, trad. M. Steinhauser, Paris, Calmann- Levy, 1972, p. 98.

56 J.-P. PAULET, La mondialisation, op. cit., p. 29.

57 Ibid.

58 Jürgen HABERMAS, Après l’Etat-nation. Une nouvelle constellation politique, Op. cit., p. 65.

59 On entend par ce terme que l’Afrique doit étendre ses cultures et son originalité vers les autres espaces continentaux, à travers le monde.