BELKAIM Leila
Doctorante à l’Université d’Oran2
Laboratoire ELILAF- Université de Mostaganem
DEGAGRA Hayet
Université Ibn Khaldoun-Tiaret
Doctorante à l’Université de Mostaganem
Laboratoire ELILAF
Résumé: Cet article se propose d’examiner les difficultés et la rupture qui se produit, après un long apprentissage en langue arabe pour les apprentis de filières scientifiques, qui découlent d’une situation d’enseignement du FOS (Le français sur objectif spécifique) à l’Institut national supérieur de formation professionnel (INSFP) Ziane Belkacem de Tiaret. Sachant qu’en Algérie, l’objet à enseigner au lycée ou au collège est le FLE (le français langue étrangère) mais à l’INSFP ce même objet devient le français à usage professionnel, c’est-à-dire une réalisation spécifique de la langue française propre à une communauté de professionnels. L’objectif est de montrer dans quelle mesure l’enseignement par le français de spécialité offert dans l’INSFP répond aux besoins des stagiaires.
Mots clés : FOS, FLE, Institut national supérieur de formation professionnel (INSFP), besoins des stagiaires, contextualisation des apprentissages.
Summary: This article proposes to examine the difficulties and the rupture that occurs, after a long apprenticeship in Arabic language for the apprentices of scientific tracks, which result from a teaching situation of the FOS (French on specific objective) to the Higher National Institute of Vocational Training (INSFP) Ziane Belkacem de Tiaret. Knowing that in Algeria, the object to be taught in high school or college is FLE (French as a foreign language) but at INSFP this same object becomes French for professional use, ie a specific achievement of the French language specific to a community of professionals. The objective is to show to what extent the teaching by specialty French offered in INSFP meets the needs of trainees.
Keywords: FOS, FLE, Higher National Institute of Vocational Training (INSFP), needs of trainees, contextualisation of learning.
INTRODUCTION
Cet article se propose d’examiner les difficultés et la rupture qui se produit, après un long apprentissage en langue arabe pour les apprentis de filières scientifiques, qui découlent d’une situation d’enseignement du FOS (Le français sur objectif spécifique) à l’Institut national supérieur de formation professionnel (INSFP) Ziane Belkacem de Tiaret. Sachant qu’en Algérie, l’objet à enseigner au lycée ou au collège est le FLE (le français langue étrangère) mais à l’INSFP, ce même objet devient le français à usage professionnel, c’est-à-dire une réalisation spécifique de la langue française propre à une communauté de professionnels. L’objectif est de montrer dans quelle mesure l’enseignement par le français de spécialité offert dans l’INSFP répond aux besoins des stagiaires.
Pour ce faire, dans un premier temps nous présenterons le contexte de notre travail et expliquerons la problématique exposée dans cette recherche.
Dans un second temps, et dans le but de permettre aux lecteurs de mieux comprendre le contexte linguistique algérien, nous présenterons un bref aperçu du statut ambigu de la langue française de sorte à montrer comment les aspects historiques ont contribué à former l’Histoire mouvementée de la langue française en Algérie.
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Le Français en Algérie : du rejet à l’objet de scolarisation
Depuis l’indépendance, le français en Algérie, ce butin de guerre, balance entre le rejet et l’appropriation. « Malgré l’indépendance et les actions d’arabisation qui s’en sont suivies, les positions du français n’ont pas été ébranlées, loin de là, son étude ayant même quantitativement progressé du fait de sa place dans l’actuel système éducatif algérien » (Achouche, cité par L Boukhannouche. 2016). D’une part, le français est rejeté par le pouvoir politique et officiel et d’autre part, il est synonyme de réussite sociale et d’accès à la culture et au modernisme (Caubet, 1998). Tantôt langue seconde, tantôt langue étrangère, tantôt langue d’enseignement. Malgré cette ambivalence, la langue française reste la langue de la scolarisation et la langue d’enseignement à l’université et aux centres de formation professionnelle. Taleb Ibrahimi1, avance l’idée que l’école algérienne produit des « semi lingues », c’est-à-dire des élèves qui ne maîtrisent que partiellement les deux langues, à savoir l’arabe et le français (Taleb Ibrahimi 1995 : 61). Ce qui a mené aux difficultés d’apprentissage de la langue française et, via cette langue, aux difficultés d’apprentissage des différents domaines de connaissances. C’est cette situation qui provoque de grandes difficultés et de nombreux échecs chez les formés de l’INSFP qui ont le niveau de 3ème année secondaire, formés aux disciplines scientifiques en langue arabe dans le secondaire et en langue française à l’INSFP. Beaucoup d’entre eux se trouvent démunis de tout le bagage linguistique et métalinguistique nécessaire à la compréhension et à l’apprentissage tout au long de leurs formations professionnelles. Cette faiblesse du niveau de compétences en langue pose d’énormes problèmes d’apprentissage chez les stagiaires et notamment de filières scientifiques. Vu le scénario dépeint ci-dessus, deux problèmes principaux se posent par rapport à l’enseignement du français à (INSFP): quel français serait le plus susceptible pour répondre aux besoins des stagiaires? Est-ce le Français sur objectif spécifique (FOS), est-ce le français langue étrangère (FLE)? Comment se débrouillent les formateurs face à ces stagiaires et face aux contraintes contextuelles entrainées par le manque de formation en FOS et le manque d’équipement?
II. CADRE ONCEPTUEL
II.1. Le Français sur objectif spécifique (FOS)
Le FOS a été décrit de plusieurs manières par différents auteurs :
Le Français sur objectifs spécifiques […] s’adresse à des publics devant acquérir de plus en plus rapidement, dans un but utilitaire présent ou futur, un capital culturel et langagier: des savoirs, des savoir-faire et des comportements qui leur permettent de faire face aux situations auxquelles ils seront confrontés dans leur vie universitaire ou professionnelle.(Carras et al. 2007 : 7)
C’est une démarche maîtrisée de conception de programme, visant des compétences de communication partielles, que l’on cherche à faire acquérir à un groupe des personnes déjà insérées dans l’emploi « ou à tout le moins, bien avancées, sur la voie de la qualification professionnelles ». (Mourlhon-Dallies, 2008, p : 50)Ce n’est pas le lieu de formation linguistique– une faculté de médecine, un département de géologie-qui doit déterminer la mise en place d’un cours de FOS, « mais bien l’éventualité d’une utilisation professionnelle ou universitaire du français au-delà de cette formation » (Mangiante& Parpette, 2004, p : 14) […] Le FOS se caractérise par deux paramètres essentiels : des objectifs d’apprentissage très précis et des délais de mise en œuvre limités « quelques mois plutôt que quelques années» (Cuq, 2003), une diversité des publics, la motivation de ses publics et « la prise en compte de la rentabilité de l’apprentissage ». (Qotb, 2009)Le FOS se distingue également par les paramètres suivants : la prise en compte des particularités du public et l’identification de ses besoins, (Richer, 2008), un public exigeant, et souvent hétérogène (Challe, 2002; Mourlhon-Dallies, 2008), le genre discursive du domaine visé, un lien étroit entre langage et action dans sa méthodologie et des enseignants qui ne connaissent pas le domaine de spécialité des apprenants (Richer, 2008).Les finalités qui orientent globalement l’action pédagogique dans le domaine de l’enseignement du FOS sont les suivantes : faciliter pour les professionnels et les spécialistes dans le domaine, la communication écrite ou orale en langue française, les aider à lire des documents de leur spécialité.
III. CADRE MÉTHODOLOGIQUE
Une analyse plus rigoureuse du problème peut être réalisée en combinant des méthodes quantitatives et des méthodes qualitatives (Silverman & Marvasti, 2008). Au sein de l’l’INSFP, des données ont été recueillies auprès de deux publics : les apprentis, qui se sont exprimés sur leurs propres besoins et les enseignants qui ont exprimé leurs représentations des besoins des apprenants. Le corpus est constitué sous l’angle de l’expérience et la compétence, passent par l’analyse de questionnaires et d’entretiens collectifs et d’interviews individuelles avec les apprentis à propos des difficultés de la langue française en formation, en stage ou en entreprise. Les groupes étaient homogènes car constitués à partir des membres de la même classe, et la participation était volontaire. Les données consistent aussi d’une série d’entretiens conduits avec des formateurs, enseignants ou cadres. Enfin, les données quantitatives ont été soumises à une analyse statistique en utilisant le logiciel Excel.
III.1. Statut des appentis
Les apprentis sont des salariés sous contrat de travail de type particulier. Ce contrat prévoit une formation alternée en entreprise et à l’INSFP. Leur présence à l’INSFP est un temps de travail durant lequel ils sont rémunérés. Cela implique une gestion rigoureuse des absences. Pour être apprenti des deux sexes, il faut : Avoir entre 18 ans et moins de 35 ans. Signer un contrat avec une entreprise habilitée à accueillir des apprentis. En principe, la durée du contrat est de 2 ans. L’apprenti bénéficie des congés payés et de la protection sociale comme tout salarié. Ils sont d’une même origine scolaire : 3ème année de lycée. Le diplôme ciblé est Technicien supérieur.
VI. Résultats de l’enquête
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Données quantitatives
En matière de ressource, l’Institut national supérieur de formation professionnel (INSFP) Ziane Belkacem de Tiaret, ne dispose pas de beaucoup d’équipement. Une bibliothèque pauvre en livres de langue reste l’équipement le plus accessible dans le centre.
Ils possèdent un matériel audio (CD-Rom, DVD, fichiers mp3). Les stagiaires sont privés du réseau Internet qui constitue une excellente source d’information. Par rapport au programme, il est à noter que les effectifs d’étudiants par classe sont généralement élevés, dépassant 30 étudiants, et dans certains cas 45. On observe aussi, qu’ils disposent de manuels et de documents authentiques en support papier.
Les résultats de l’enquête indiquent l’état des effectifs communiqués par les responsables de l’INSFP. Quand ces effectifs sont été dépouillés en fonction des trois paramètres suivants : Effectif Initial, Effectif Radiés, Effectif en Formation, nous avons trouvé un pourcentage important de l’effectif Radiés soit 28%. Parmi les raisons de cet échec est l’apprentissage des matières techniques en français, ceci a été cité par 80 % des apprentis. En effet, tous les enseignants /formateurs l’ont confirmé.
Tableau 1. Etat des effectifs
Figure 3. Effectif en Formation
Les résultats de l’enquête ont également montré que la majorité des appentis, voire 80% se situait entre 18 ans et 30 ans. Par rapport au sexe, 63,35% des stagiaires étaient garçon et 36,65% étaient fille. Mais, il importe de signaler le pourcentage élevé des garçons radiés 72% par rapport à celui des filles 28%.
Tableau 2. Etat des effectifs suivant la spécialité
Tableau 3. Etat des effectifs suivant la langue principale de formation
La vue globale de ces tableaux, montre que le nombre de spécialités enseignées en français est relativement élevé à celui des spécialités enseignées en arabe. Par rapport à la langue, il est observé que la priorité est donnée au français est cela malgré les difficultés que pose cette dernière en formation pour les apprentis et les enseignants.
Quant aux enseignants interrogés, ils déclarent tous avoir reçu une formation à l’institut de formation professionnelle (IFP) de Sidi Bel Abbés, d’une durée de neuf mois mais en aucun cas, ils n’ont reçu une formation en FOS, et la plupart a trouvé cette formation inadéquate et tronquée à cause de l’absence de la formation en FOS. Ils trouvent que la durée de la formation est insuffisante pour atteindre un niveau de qualité et qu’il faut une meilleure organisation et collaboration entre les enseignants du FLE et du FOS. Ils remarquent que, le niveau des formés est très insuffisant en langue française par rapport à l’avancement des cours et l’ambition des programmes d’où le recours à la langue arabe comme passerelle pour accéder à la connaissance , puis dans la plupart des cas, les besoins langagiers réels ne correspondent pas aux besoins langagiers exprimés par les apprenants.
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Données qualitatives
V. DISCUSSION
Les résultats ci-dessus montrent que l’état d’équipement de l’INSFP participant dans cette étude pour l’enseignement du FOS est peu homogène. Il est à noter que les équipements souhaités par les apprenants audio-visuels (lecteur CD, Vidéo et cassette VHS) sont soit manquants, soit insuffisants pour le grand nombre d’apprentis de l’INSFP. On observe que les cours se déroulent en salle ordinaire. Un décalage est également observable entre les équipements disponibles et la variété des modules enseignés en classe. Les apprenants ont exprimé le besoin pressant de l’apprentissage de la langue française. Les apprentis de l’INSFP, pour leur part trouvent que les enseignants ne prennent pas compte de leurs niveaux différés en classe, rendant l’apprentissage difficile et entrainant la frustration chez la plupart d’entre eux. Pour les styles d’apprentissage, ils ont déclaré une préférence pour des cours de FLE et notamment des cours de terminologie. L’échange oral est ressorti comme vivement souhaité lors des entretiens collectifs. Leurs motivations pour l’apprentissage par le français étaient principalement instrumentales. Plus précisément, ils étaient incités à apprendre par le français principalement par des raisons professionnelles et par obligation, cette dernière est dans la mesure où apprendre une langue étrangère est un passage obligé pour l’obtention d’un diplôme en une spécialité donnée. Il est inquiétant que la motivation des apprentis pour apprendre le français soit principalement de nature extrinsèque et encore plus que beaucoup d’apprentis fassent le français par obligation. Notre enquête qualitative a montré que pour les enseignants, les difficultés d’enseigner face à ce public était fortement senti. Ils prêtent toujours beaucoup d’attention à la question de quoi enseigner FOS ou FLE et au type de documents à utiliser. Vu les objectifs variés de ce public, il ne se situerait ni en FOS, ni carrément en français de spécialité car il y a des besoins qui sont en dehors de la spécialité. Par rapport aux objectifs donc, ce public se situerait à mi-chemin entre le français de spécialité et le français général, montrant que les appellations circulant dans le domaine du français non-généraliste ne peuvent pas prendre compte de tous les contextes d’apprentissage du français. Les résultats de cette enquête renforcent en plus, l’observation que l’aspect culturel de l’apprentissage du français est souvent négligé (Beacco, 2011) bien qu’il soit important aux yeux des apprentis. Apprentis et enseignants, ont signalé leur mécontentement avec le manque d’importance donné à l’outil linguistique dans le programme. A court terme, il est recommandé de faire une analyse des besoins des enseignants de FOS afin d’identifier en profondeur leurs besoins en formation. Par la suite, des formations sur mesure peuvent être organisées pour les enseignants en question. Notre enquête a permis d’identifier quelques-uns de ces besoins, à savoir, la gestion des grands groupes et des groupes des niveaux hétérogènes, la recherche des documents, la connaissance du domaine de spécialité et l’enseignement de la dimension culturelle du FOS. Il est conseillé de s’adresser directement à ces difficultés entre autres afin de répondre aux besoins en formation des enseignants.
CONCLUSION
Par rapport à notre problématique, nous avons trouvé que des besoins se sont présentés par rapport à tous les paramètres de cet enseignement que nous avons étudié, ce qui nous a permis de conclure que certains aspects de l’enseignement du FOS offert dans le l’INSFP ne répondent pas aux besoins des Apprentis. Il est temps de reconsidérer les méthodes d’enseignement par le français à l’INSFP , en particulier tenir compte de la rupture qui se produit après les longues années d’apprentissage en arabe dans les filières techniques et scientifiques, afin de réduire les échecs dans la formation. Cette étude a également montré que le programme dont il est question doit s’inspirer non seulement d’une approche communicative, adaptée aux situations scolaires, mais il doit développer en même temps une approche plurielle, à savoir pluridisciplinaire, pluriculturelle. Ces approches augmenteront les chances de réussite des apprentis dans leur formation. C’est pour ces raisons qu’allier FOS et FLE dans le cas des formés de l’INSFP serait en effet une solution qui aiderait ces apprentis à surmonter les obstacles. Cette observation peut rouvrir le débat sur la pratique pédagogique, très répandue en FOS, de viser des compétences partielles. Plus précisément, comment cette pratique est-elle appréciée sur le terrain de la formation professionnelle?
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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