Dr. DOULATE SEROURI Hamida
Université de Ibn Khaldoun-Tiaret
Abstract: In this article, we are interested in theatrical play as an oral interaction activity that promotes the learning of L2.
We start from the idea that role playing is not considered as a new technique in language pedagogy, but it is an activity that has been renovated and enriched by borrowing either dramaturgical and theatrical techniques or psychotherapeutic and analytics techniques. It has been introduced gradually in the SGAV method and the communicative-cognitive method to develop the oral skills of learners. The didactics of languages is interested in the role play, not only to bring the learners to express themselves in a foreign language but also to develop at the same time the verbal expression (elocution, diction, pronunciation, intonation …) and the non-verbal expression (looks, gestures, postures, mimicry …). Our study is mainly based on the interactional analysis of some skits performed in FFL class by 2nd year French language license students. The results showed that the practice of oral through theatrical activity is a real help to learning the language.
Keywords: Role play; oral interaction; oral competence; foreign language; theater activity
Résumé : Dans cet article, nous nous intéressons au jeu théâtral comme activité d’interaction orale qui favorise l’apprentissage de la L2. Nous partons de l’idée que le jeu de rôle n’est pas considéré comme une technique nouvelle en pédagogie des langues, mais c’est une activité qui a été rénovée et enrichie par des emprunts soit aux techniques dramaturgiques et théâtrales soit aux techniques psychothérapeutiques et analytiques. Il a été introduit progressivement dans la méthode SGAV et la méthode communicative-cognitive pour développer les compétences orales des apprenants.La didactique des langues s’intéresse au jeu de rôle, non seulement pour amener les apprenants à s’exprimer en langue étrangère mais aussi pour développer à la fois l’expression verbale (élocution, diction, prononciation, intonation…) et l’expression non-verbale (regards, gestes, postures, mimiques…) . Notre étude se base principalement sur l’analyse interactionnelle de quelques saynètes réalisées en classe de FLE par les étudiants de 2ème année licence de langue française. Les résultats ont montré que la pratique de l’oral à travers l’activité théâtrale constitue une véritable aide à l’apprentissage de la langue.
Mots-clés: Jeu de rôle ; interaction orale ; compétence orale ; langue étrangère ; activité théâtrale
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Introduction
Dans cette étude, nous nous intéressons à la pratique de l’oral à travers le jeu théâtral. En effet, le jeu de rôle est considéré comme activité qui facilite l’apprentissage de la L2.De son côté, Tabensky insiste sur le fait que « l’objectif du jeu de rôle en didactique des langues ne peut être autre que celui de toute méthode active, qui est de favoriser l’apprentissage» (1997 : 75). Il permet de développer les capacités de communication orale chez les apprenants. C’est une activité de classe qui donne la possibilité aux apprenants de communiquer par la parole (élocution, diction, prononciation, intonation…) et le corps (regards, gestes, postures, mimiques, mouvements…). Dans ce sens, Cuq souligne clairement les avantages de l’activité théâtrale pour les apprenants du français langue étrangère :
Le théâtre dans la classe de FLE offre les avantages classiques du théâtre en langue maternelle : apprentissage et mémorisation d’un texte, travail de l’élocution, de la diction, de la prononciation, expression de sentiments ou d’états par le corps et par le jeu de relation, expérience de la scène et du public, expérience du groupe et écoute des partenaires (2003 : 237)
Le jeu théâtral est un outil pédagogique qui répond à diversobjectifs d’enseignement/apprentissage : développer les échanges interactifs entre apprenants ; mettre en relation la voix et le corps ; utiliser les différentes formes du dialogue. La pratique théâtrale en classe est valorisée par plusieurs chercheurs notamment dans les travaux de Pierra (2006), Payet (2010) et Perrier & Treffandier (2012)i. Cependant, beaucoup d’enseignants hésitent de travailler le jeu théâtral en classe en raison desdifficultés qu’il engendre : préparation, réalisation et évaluation. C’est une activité de classe motivante mais aussi riche car elle implique la mise en pratique et en temps réel du discours oral avec toutes ses variétés.
Le texte de théâtre peut être drôle, très drôle même et vivant puisqu’il est dans une grande proximité avec les formes de la conversation, du dialogue ; il joue avec les registres de langue, les types de phrases (nombreuses, interrogatives et exclamatives) et avec la richesse des classes de mots (mots-phrases, onomatopées, exclamations…) (Le Manchec, 2001 : 86)
Historiquement, le jeu de rôle n’est pas une technique nouvelle en pédagogie des langues, mais c’est une activité qui a été rénovée et enrichie par des emprunts soit aux techniques dramaturgiques et théâtrales soit aux techniques psychothérapeutiques et analytiques. L’idée première du « jeu de rôle » vient de Moreno dans les années vingt. Un sociologue et médecin psychiatre autrichien qui a expérimenté trois types de représentations différentes du théâtre traditionnel. Elles reposaient sur deux critères à savoir la spontanéité et la créativité ; c’est-à-dire aucun texte n’a été proposé aux acteurs. L’idée de « spontanéité-créativité » est conçue par Moreno (1965) comme « une réponse adaptée à une situation nouvelle ou une réponse originale à une situation ancienne » (cité dans Leblanc, 2002 :13)
Il s’agissait, dans la première expérience appelée « le théâtre spontané », d’improviser une situation et de la mettre en scène. Dans la deuxième expérience « le journal vivant », il a été demandé aux acteurs de jouer des faits divers publiés dans les journaux. Dans la troisième expérience « le théâtre thérapeutique », il était question dejouer non des rôles fictifs mais des scènes de la vie pour revivre certains traumatismes psychiques.
Le jeu de rôlea été introduit progressivement dans l’enseignement des languesen particulier dans les années soixante avec la méthode SGAV où on l’utilisait comme exercice de réemploi des acquis. Il a été développé pour présenter des dialogues se rapprochant de la vie réelle des apprenants. Une autre initiative était de laisser le choix aux apprenants de fabriquer eux-mêmes leur scénario. Cependant, le jeu de rôle a connu son engouement avec le développement de l’approche communicative dans les années quatre-vingt en privilégiant les activités de simulation fonctionnelle et/ou projective. Et cela, dans le but de permettre aux apprenants de construire des actes de paroles.Enfin, dans le Cadre Européen Commun de Référence pour les langues (2001) ;et à travers l’approche actionnelle qu’il recommande ; on souligne clairement l’intérêt de l’activité théâtrale pourl’enseignement/apprentissage d’une langue étrangère :
En ce qui concerne les tâches ou activités en tant que moyens pour planifier et mener à bien l’enseignement et l’apprentissage, on peut donner s’il y lieu l’information concernant les types de tâches, par exemple, simulations, jeu de rôle, interactions en classe. (CECR, 2001 : 47)
Notre choix de faire une recherche sur la pratique orale en classe de FLE à travers le jeu théâtral est motivé par le fait que la communication orale est un échange interactif entre deux partenaires (émetteur et récepteur) qui se réalise de différentes manières (parole, gestes, postures, mimiques…). De même, l’enseignement/apprentissage de la compétence de production orale chez les apprenants de niveau avancé peut se faire dans un climat de détente ; le jeu théâtral est un moyen pour libérer l’expression verbale des apprenants, développer leur esprit créatif, leur spontanéité et leur autonomie.
Dans cette contribution, nous nous interrogeons sur les démarches didactiques qui pourraient faire du texte théâtral un outil pédagogique pour apprendre l’oral en classe de FLE. Nous essayerons de répondre à un certain nombre de questions qui sont les suivantes :
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Comment faire de la classe de langue un lieu d’interaction ?
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Commentdévelopper l’expression verbale et l’expression corporelle chez les apprenants ?
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Comment évalue-t-on le jeu théâtral en classe de langue ?
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Cadre méthodologique
La réalisation des activités théâtrales en classe de langue étrangère notamment pour apprendre l’oral ne semble pas facile ni pour l’enseignant ni pour les apprenants. D’abord, nous craignons que ce moment d’apprentissage soit interprété comme un moment de divertissement par certains apprenants car aucun effort ne leur est demandé (pas de prise de notes, pas d’évaluation notée) ; ils ne font que jouer le rôle de spectateur. En outre, l’engagement dans l’interaction à travers ce type d’activité exige que les apprenants prennent conscience des finalités du jeu de rôle, et des capacités qu’ils doivent avoir. Enfin, l’enseignant ne trouve plus sa place en classe, son rôle est complètement transformé. Il peut éveiller l’intérêt du groupe-classe avant le commencement de l’activité ; les appréciations et les ajustements se font à la fin de l’activité.
Dece fait, nous avons sensibilisé les apprenants à l’importance de la mise en pratique du jeu théâtral en classe en citant les exemples de nombreuses réussites chez d’anciens apprenants dont certains ont fait l’objet d’une étude antérieure que nous avons faitesii.Nous avons expliqué les objectifs de cette activité et la tâche demandée aux apprenants. Et enfin, nous avons trouvé judicieux de partir de propositions des apprenants eux-mêmes et non de textes imposés de crainte qu’ils soient difficiles à appréhender et à présenter sur scène.
2.1. L’expérimentation
Notre expérimentation s’est déroulée au cours de l’année universitaire 2017-2018 au département des lettres et langues étrangères à l’université de Tiaret (section de langue française). C’est durant les séances de travaux dirigés de la matière « compréhension et expression de l’oral » que cette expérimentation a eu lieu. Les participants sont les étudiants de L2. Il s’agissait de faire un jeu théâtral devant le groupe-classe qui s’est transformé en spectateur. Les participants au jeu ont formé un petit groupe de sept étudiants dont deux sont des étudiants étrangers (l’un du Tchad et l’autre du Centrafrique) qui préparent une licence de langue française en Algérie. Les participants ont créé leur texte de théâtre « Relations familiales » en s’inspirant du monde réel notamment de leur environnement socio-culturel. L’histoire tourne autour de deux familles dont le statut sociologique et économique est différent. La première famille est pauvre, elle est constituée de trois membres (les parents et leur fils). La deuxième famille est riche, elle est constitué de quatre membres (les parents, leur fils et leur fille). Le conflit commence dès que les enfants des deux familles (la jeune fille et le jeune homme) décident de se marier.
Avant de faire le jeu théâtral en classe, les participants ont travaillé soigneusement certains éléments : choix de la thématique ; rédaction et révision de leur scénario ; distribution des rôles ; mémorisation des répliques et entraînement. En classe, ils ont respecté les différentes phasesiii de la mise en scènedu jeu en préparant avant tout l’espace scénique qui s’est situé au fond la classe: décor, costumes, accessoires….
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Phase d’échauffement : pendant laquelle, les acteurs ont préparé la scène en faisant une révision rapide de leurs rôles. Ils ont entrainé le corps à bouger avec fluidité et la voix à contrôler le souffle et essayer différentes intonations. « L’échauffement met les élèves en condition pour s’exprimer et écouter l’autre (…). Ces activités aident à gérer le stress et à accepter un regard extérieur ». (Casoni et al, 2013 : 74)
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Phase d’action : c’est la mise en scène du jeu. Chaque participant a joué son rôle sans avoir besoin de faire des coupures pour arriver enfin au dénouement avec succès.
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Phase de synthèse : elle a eu lieu à la fin du jeu théâtral. Les participants ont fait des commentaires de la situation qu’ils ont présentée, sous forme de moral. De même, les autres éléments du groupe ou spectateurs ont donné leurs appréciations quant à la thématique abordée et la présentation.
2.2. Le corpus d’étude
Notre corpus oral est constitué d’un enregistrement filmé du jeu théâtral à l’aide d’une caméra nonfixée. Ce qui nous a permis de nous rapprocher des acteurs, de suivre leur déplacement dans l’espace. L’enregistrement s’est passé en 27mn et 18s mais nous avons fait une coupuredes passages inutiles à notre analyse. Il s’agit de quatre courtes saynètes :
Scène 1 :rencontre du couple dans la cafétéria (1mn et 30s)
Scène 2 : chez la famille pauvre (7mn et 40s)
Scène 3 : chez la famille riche (6mn et 13s)
Scène 4 : rencontre des deux familles (9mn et 15s)
Comme il est impossible de faire l’étude du corpus oral tel qu’il est, nous avons fait la transcription orthographique de l’activitéthéâtrale en nous appuyant sur lesystème de transcription proposé par Jefferson (1978) et repris par Traverso (2007 : 25-26). Cette convention de transcriptioniv nous a permis de présenter de manière assez fidèle et sous forme écrite les différents phénomènes de l’oral : paroles (mots, intonation, rythme, pauses…) et gestes. De même, nous avons utilisé des conventions particulièresv que nous avons empruntées à Blanche-Benveniste selon les besoins de notre étude.
2.3.La méthode d’analyse
Le jeu théâtral est une activité interactive du moment que deux partenaires échangent des propos mutuellement et chacun essaye de répondre aux attentes et aux désirs de l’autre comme le confirmeKerbrat-Orecchioni : « les phases d’émission et de réception sont en relation de détermination mutuelle ». (2005 : 25). À cet effet, nous avons opté pour l’analyse interactionnelle de notre corpus. Nous nous sommes basée sur les aspects suivants : l’initiative d’ouverture et de clôture de l’interaction ; la gestion de l’alternance des tours de parole ; la continuité thématique.Ensuite, nous avons fait une évaluation globale du jeu théâtral en nous inspirons de la grille proposée par Berdal-Masuy et Renard (2015 : 171).
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Résultats et discussion
3.1. L’analyse interactionnelle du jeu théâtral
3.1.1. L’initiative d’ouverture et de clôture
Le traitement de notre corpus nous a permis d’enregistrer 545 tours de parole, répartis sur 4 scènes. Cependant, cette répartition ne peut être égale à cause du rôle attribué à chaque apprenant, il peut être très important ou minimisé comme le cas du « serveur » ou « du fils ». Dans chaque scène, un personnage prend l’initiative d’ouverture et/ou de clôture du jeu comme il est indiqué dans le tableau 1 ci-après :
Scénario |
Ouverture |
Clôture |
Scène 1 : rencontre du couple dans la cafétéria |
La jeune fille Cylia |
La jeune fille Cylia |
Scène 2 : chez la famille pauvre |
Le père Abdallah |
Le père Abdallah |
Scène 3 : chez la famille riche |
Le père Willfred |
La fille Cylia |
Scène 4 : rencontre des deux familles |
Abdallah |
Abdallah |
Tableau 1: Initiatives d’ouverture et de clôture
Dans la première scène, c’est la jeune fille Cylia qui prend l’initiative d’ouverture et de clôture du jeu. C’est elle qui arrive à la cafétéria en attendant Mohammed pour parler de leur avenir. Et à la fin de la scène, le couple s’est mis d’accord. C’est toujours Cylia qui clôture le jeu et se prépare pour annoncer la nouvelle à ses parents :
001C (assise toute seule, énervée, vérifie son téléphone portable) ouf\ il est où celui-là/
002 M (arrive à la table, l’air fatigué, tire la chaise et s’assoit devant C) bonjour↓
003 C bonjour↓ (inaudible)
004 M excuse-moi chérie (.) j’ai pas pu échapper au patron (.) regarde/ je suis encore en
tenue (touche ses vêtements avec les mains)
(…)
035 M on s’appelle (se lève)
036 C on s’appelle après oui (se lève et quitte le lieu joyeuse)
Dans la deuxième scène, c’est le père Abdallah qui prend la parole en premier lieu en questionnant sa femme Badra sur l’absence de leur fils. Convaincu par les paroles de sa femme, il met fin à la scène et quitte le lieu :
037 A (arrive à la table, vérifie ce qu’il y a sur la table pour le repas : le lait et le pain, tire
la chaise, s’assoit et regarde sa femme) où est ton fils↑
038 B (en train de préparer la table pour servir le repas) tu dis pas bonjour ↓
039 A (inaudible) bonjour\(inaudible) litre tous les matins (.) où est ton fils↑
(…)
212 A ok (inaudible) on n’a pas le choix (quitte le lieu)
213 B ok (.) au revoir
214A au revoir
Dans la troisième scène, c’est le père Willfred qui initie la scène en saluant la famille mais c’est la jeune fille Cylia qui s’engage une autre fois pour assurer la fin car le sujet de la discussion concerne son avenir :
215 W (assis) bonjour à [tous/
216 C[bonjour papa/
217 K [bonjour/
(…)
372 C [je vais appeler
373 K tu vas annoncer à ton prince charmant
374 C oui maman
Dans la quatrième scène, c’est Abdallah qui ouvre et clôture la scène. Cette initiative demeure logique, c’est une suite de la thématique déjà abordée dans la scène 2. Le personnage apparaît à nouveau sur scène pour prendre le relais. Il s’engage à terminer le jeu théâtral de manière comique :
375 A (assis, en train de manger, regarde l’heure) Badra↑ (.) Badra↑
376 B oui (.) oui (.) je me prépare (porte son habit traditionnel haïk)
377 A on part chez la famille là
(…)
544 B (embrasse K) je suis très contente pour vous
545 A (embrasse W, revient à la table pour boire du jus) ok (.) au revoir
3.1.2. La gestion de l’alternance des tours de parole
Participants |
Nombre de tours |
Pourcentage |
Mohammed (M) |
53 |
09,72٪ |
Cylia(C) |
52 |
09,54٪ |
Serveur (S) |
03 |
00,55٪ |
Anes (AN) |
33 |
06,06٪ |
Abdallah (A) |
125 |
22,94٪ |
Badra (B) |
98 |
17,98٪ |
Willfred (W) |
91 |
16,70٪ |
Khadidja (K) |
90 |
16,51٪ |
Total |
545 |
100٪ |
Tableau 2: Alternance des tours de parole
Dès la première lecture du tableau 2, nous constatons que le locuteur (A) totalise le plus grand nombre des tours de parole (125 fois) mais il ne va pas jusqu’à la monopolisation de la parole car l’espace discursif est assez équilibré entre les autres participants selon leurs rôles : les enfants (M) et (C), les mamans (B) et (K). Il est à noter qu’un seul participant a voulu jouer deux rôles ; il est apparu dans la scène 1 comme serveur et revient dans les scènes 3 et 4 comme étant le fils de la famille riche. Ainsi, il a pris la parole 36 foisdans le jeu théâtral,ce qui est équivaut à 06,60٪.
Par ailleurs, les participants ont produit des énoncés brefs dans la plupart des cas,ne dépassant pas deux phrases simples, caractérisés par des pauses très courtes. Dans certaines répliques, il s’agissait de salutations, de remerciements, de réponses « oui-non » :
002 M (arrive à la table, l’air fatigué, tire la chaise et s’assoit devant C) bonjour↓
003 C bonjour↓ (inaudible)
017 M (s’adresse à S) merci\
026 C oui (inaudible)
027 M et (.) tes études (.) ça va↑
028 C oui: ça va ça va
055 M merci maman↓
056 B de rien
213 B ok (.) au revoir
214 A au revoir
En outre, les répliques ont été enchaînées entre elles immédiatement pour assurer la continuité interactive. Le plus souvent, il s’agissait d’un échange binaire ; ce qui montre que les interactants adoptent une attitude d’écoute efficace pour donner suite à leur discours en réagissant l’un à l’autre. De même, les silences entre les tours sont rares car nous avons noté uniquement 5 fois la présence de « silences » :
022 Mje ferai de mon mieux (.) pour convaincre [mes parents
023 C [et moi aussi (silence)
024 Csinon le travail ça va↑
025 M ça va↑(.) mais avec les études (.) le travail c’est un peu difficile (.) mais j’ tiens le coup
Cependant, nous avons pu relever 132 chevauchements qui ont été produits involontairement en fonction du discours. Nous pouvons les considérer comme indice d’engagement dans l’interaction. Ils peuvent avoir une valeur coopérative du moment qu’ils permettent aux interactants de progresser dans la thématique du jeu théâtral :
044 B il travaille (.) il bosse [toute la journée
045 A[mais son boulou (.) ça ne l’empêche pas de venir très top heu à la table (.) mais
quand même (.) va l’appeler↑ [va l’appeler↑ (lève la main, geste avec l’index)
046 B[il arrive (inaudible) (.) attendez (.) Mohamed↑
L’engagement dans l’interaction est marqué aussi par la présence des interruptions, c’est-à-dire « chaque fois que L2 prend la parole alors que L1 n’a pas terminé son tour » (Kerbrat-Orecchioni, 2005 : 173). Dans notre corpus, certaines interruptions sont produites violemment, elles constituent une sorte de menace pour la face d’autrui (089 et 090) ; d’autres ont une fonction d’étayage, elles viennent en aide à l’autre (149 et 150) :
089 M(regarde ses parents) en fait° maman (.) papa (.) j’ voulais vous annoncer [que:
090 A[quoi↑ (regarde son fils)
(…)
149 A [le DG qui a
150 B tu as déjà travaillé pour eux (.) tu t’ rappelles/
3.1.3. La continuité thématique
Parmi les indices qui permettent d’établir des enchaînements sur le thème, nous avons relevé des exemples de ratification, de négation et de réfutations. Pour les ratifications, le locuteur prend en compte l’énoncé produit par son interlocuteur. « On parle de ratification pour désigner l’acceptation du thème par les partenaires (…), elle peut aussi se réaliser selon les deux modes explicite ou implicite ». (Traverso, 2007 : 41). L’exemple suivant montre un énoncé (015) qui ratifie le précédent en marquant la co-énonciation :
014 Mne t’inquiète pas (.) j’ vais pas changer d’avis
015 Cmais (.) c’est pas le fait° que tu vas changer d’avis: (.) mais tu sais mes parents sont
(.) sont un peu difficile (.) ils vont pas accepter ça facilement (.) tu sais
De même, les négations (221) et les réfutations (307) sont des indicesqui ont pour but d’assurer la continuité thématique :
220 W j’espère que vous allez bien (bras croisés, regarde sa fille)
221 K ben non (.) on n’est pas bien (.) [tu vois
(…)
305 K tu l’auras↓
306 W oui (.) bien sûr
307 K mais t’es pas normal toi↓ (geste avec la main)
3.2. L’évaluation globale du jeu théâtral en classe de FLEComme nous l’avons déjà signalé en haut, beaucoup de recherches parlent de l’importance de l’intégration de l’activité théâtrale en classe de langue pour développer l’expression orale des apprenants dans tous ses aspects. Cependant, très peu sont les études qui portent sur l’évaluation de l’activité théâtrale en classe. Par exemple Leblanc (2002 : 207) expose les deux grilles de Van Ments (1989) ; Berdal-Masuy et Renard (2015) synthétisent les critères du CECR. Dans la présente recherche, nous avons sélectionné les critères d’évaluation suivants : l’interaction corporelle, la voix et l’utilisation de l’espace. Ce qui nous intéresse, c’est le développement des échanges langagiers entre apprenants et non la production des énoncés parfaits.
3.2.1. L’interaction corporelle
L’activité théâtrale en classe met l’apprenant dans une situation où il s’investit pleinement dans le jeu. Il utilise voix et corps pour transmettre le message. C’est à travers les gestes qui accompagnent la parole et les déplacements dans l’espace que l’apprenant tente de vaincre sa timidité et avoir confiance en soi, sans se soucier du regard des autres apprenants. Il apprend à « se servir de ses mains, de son visage, de son regard, de ses attitudes, bref de tout son corps. […], c’est par lui que le public perçoit les émotions du personnage, entend son discours, reçoit son énergie » (Balazard et Gentet-Ravasco, 2003 : 13).
Dans notre corpus, nous avons décrit entre parenthèses le comportement non-verbal des participants. Dans toutes les scènes réalisées par les apprenants, nous avons noté différents cas où le geste remplace la parole, la précède ou la suit comme dans les exemples suivants :
001 C (assise toute seule, énervée, vérifie son téléphone portable) ouf\ il est où celui-là/
002 M(arrive à la table, l’air fatigué, tire la chaise et s’assoit devant C) bonjour↓
007 S(se dirige vers les clients M et C) bonjour monsieur\ (.) (regarde C) bonjour\ (prend
un briquet, allume la bougie qui se trouve au milieu de la table) qu’est-ce que je
vous sers monsieur/
016S (arrive pour servir le jus aux clients M et C)
036 C on s’appelle après oui (se lève et quitte le lieu joyeuse)
Ainsi, nous rejoignons Berdal-Masuy et Renard qui confirment que « “Le geste du corps” soutient, illustre, rend vivante la parole […]. Quand il l’accompagne, il facilite le processus énonciatif et donne à toute personne désireuse de transmettre un message une aide à la structuration de sa pensée » (2015 : 156)
3.2.2. La voix
Dans toutes les scènes, les participants ont essayé de manipuler leur voix. Nous avons noté différentes intonations : fortement montante pour montrer la colère, s’interroger ou exprimer un ordre (043 quel travail↑), (045 va l’appeler↑), (073 JE PARLE avec mon fils↑) ; légèrement montante dans la plupart des cas (086 tiens/ (.) sert-toi/), (091 laisse-le parler/) ; fortement descendante pour exprimer l’étonnement (271 une voiture↓), (279 une bonne chose↓)
De même, les participants ont maîtrisé le son notamment les locuteurs qui ont joué les rôles de Mohammed, Khadidja et Badra.Ils ont produit un discours audible à l’exception de certains cas où nous n’avons pas pu transcrire les énoncés, comme par exemple dans les énoncés (026) et (039) suivants :
026 C oui (inaudible)
039 A (inaudible) bonjour\ (inaudible) litre tous les matins (.) où est ton fils↑
3.2.3. L’utilisation de l’espace
La réalisation de l’activité théâtrale exige la disponibilité d’un espace scénique qui permet aux acteurs de se déplacer et se positionner librement (assis, debout, se diriger vers un autre lieu…). La classe a été rapidement transforméeen salle de spectacle divisée en deux parties : un espace scénique pour la mise en scène du jeu avec présence de décor, objets et accessoires modestes mais représentatifs des différentes scènes ; et un espace pour le spectateur. Ce dernier a pu identifier le thème abordé dans le jeu et suivre attentivement les acteurs. Nous avons remarqué que tous les participants ont partagé l’espace ; chacun selon la tâche attribuée et l’action qu’il devait faire, sans avoir besoin de rappel de la part de leurs camarades.
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Conclusion
En guise de conclusion, nous pouvons dire que le jeu théâtral peut faire de la classe de langue étrangère un lieu d’interaction. Les apprenants s’engagent tous et collaborent pour réussir la tâche. Certaines contraintes : timidité, stress, peur ou blocage de l’un des participants peuvent entraîner un déséquilibre au sein du groupe. « Le théâtre implique une forte dynamique du groupe, où chacun fait l’expérience de la solidarité, de l’interdépendance, du plaisir de construire ensemble. Chacun, selon ses capacités, doit se sentir responsable de la cohésion du groupe : s’investir, s’exprimer sans étouffer les autres » (Balazard et Gentet-Ravasco, 2003 : 14).
Il est clair que la mise en scène du jeu donne une âme à un texte théâtral repris ou créé par les apprenants. Ces derniers trouvent leur plaisir en mêlant l’expression verbale à l’expression corporelle. C’est l’occasion pour développer leur communication orale et faire face à leurs inhibitions. Dans ce sens, Berdal-Masuy et Renard affirment que « les pratiques théâtrales touchent à la construction d’un être social completpuisqu’elles concernent à la fois la mise en scène de soi, du corps et de l’être dans sa globalité ». (2015 : 157)
Enfin, l’évaluation de toute activité orale doit se faire à la fin de l’activité pour ne pas interrompre et perturber l’apprenantau moment de la production orale. Il est préférable d’envisager une grille d’évaluation individuelle pour chaque participant du moment que les apprenants n’ont pas les mêmes compétences. Quant aux critères d’évaluation, il est nécessaire d’en choisir ceux qui correspondent à ce que l’enseignant cherche à évaluer (correction linguistique, temps de parole, fluidité verbale, maîtrise de la voix, utilisation du corps…). L’enseignant peut élaborer sa propre grille pour évaluer le jeu théâtral en fonction du niveau des apprenants et des objectifs de l’enseignement. L’évaluation est une phase importante qui sert, non seulement, à donner des jugements sur le travail produit par les apprenants, mais aussi montrer leurs progrès etleurs défaillances afin qu’ils puissent surmonter peu à peu leurs problèmes.
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Références bibliographiques
Balazard, S ; Gentet-Ravasco, E. (2003). Le théâtre à l’école. Techniques théâtrales et expression orale. Paris : Hachette éducation. (Coll. Pédagogie pratique à l’école)
Berdal-Masuy, F ; Renard, C. (2015). « Comment évaluer l’impact des pratiques théâtrales sur les progrès en langue cible ? Vers un nouveau dispositif d’évaluation de l’oral en FLE », In Lidil n° 52 pp. 153-174 [En ligne 01 janvier 2017]. URL :<http://lidil.revues.org/3872>, consulté le 20/02/2018
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Casoni, D; Douglade-Val, S; Mallard, V. (2013). Drama activités. L’enseignement de l’anglais par les techniques théâtrales. Nancy: CRDP de Lorraine. (Coll. Repères pour agir. Disciplines & Compétences).
Cuq, J-P, (dir). (2003). Dictionnaire de didactique du français langue étrangère et seconde. Clé International : Paris
Kerbrat-Orecchioni, C. (2005). Les interactions verbales. Tome I. Approche interactionnelle et structure des conversations. (3e éd. rev. et aug.) Paris : Armand Colin. (Coll. U, série « Linguistique »).
Doulate Serouri, H. (2016). « Enseignement de l’oral à l’université en Algérie et Cadre Européen Commun de Référence », In Multilinguales n° 7- 2nd Semestre pp. 220-249. : URL : < http://univ-bejaia.dz/documents/N%20verion%20integrale%20pour%20mise%20en%20ligne.pdf >
Leblanc, M-C. (2002). Jeu de rôle et engagement. Evaluation de l’interaction dans les jeux de rôles de français langue étrangère. Paris: L’Harmattan. (Coll. Sémantiques).
Le Manchec, C. (2001). Pratique orale de la langue. Cycle 2. Paris: Bordas Pédagogie. (Coll. Enseigner aujourd’hui).
Tabensky, A. (1997). Spontanéité et interaction. Le jeu de rôle dans l’enseignement des langues étrangères. Paris: L’Harmattan. (Coll. Sémantiques).
Traverso, V. (2007). L’analyse des conversations. (3e éd. Rev. et Aug.) Barcelone: Armand Colin. (Coll. 128).
Langues & didactique).
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Annexes
Annexe 1 : Signes de transcription du corpus oral
L |
Locuteur désigné par l’initial du nom, ex : M (Mohammed), B (Badra)… |
[ |
Interruption et chevauchement, le crochet apparaît sur chacune des deux lignes |
= |
Enchaînement immédiat entre deux tours |
(.) |
Pause (dans le tour d’un locuteur) inférieure à 1 seconde longue |
(3”) |
Pauses chronométrées supérieure à 1 seconde |
(silence) |
Les pauses entre les prises de paroles de deux locuteurs successifs sont notées « silences » |
’ |
Chute d’un son : t’ l’as pas r’çu |
: |
Allongement d’un son |
::: |
Un allongement très important est marqué par plusieurs fois deux points |
mi- |
Mot incomplet, interrompu brutalement par le locuteur |
C’EST SÛR |
Les majuscules indiquent l’insistance ou l’emphase |
/ |
Intonation légèrement montante |
↑ |
Intonation fortement montante |
\ |
Intonation légèrement descendante |
↓ |
Intonation fortement descendante |
(il se tourne) |
Description entre parenthèses et en italique des éléments non-verbaux (gestes et actions) |
(ASP) |
Note une aspiration |
(SP) |
Note un soupir |
(RIRE) |
Note un rire |
[…] |
Indique une coupure due au transcripteur |
(inaudible) |
Signal un passage inaudible |
Plus° |
Prononciation de la dernière lettre |
• |
absence de liaison, remarquable : c’est• à lui |
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Notes
i Références dans le domaine, cité par Berdal-Masuy& Renard (2015 :154).
iiIl s’agit de l’analyse de quelques activités théâtrales réalisées par les étudiants de L2 à l’université comme par exemple « Pause-café à l’hôpital », « La vie d’Albert Einstein », « À l’unisson ». Voir article publié sur « L’enseignement de l’oral à l’université en Algérie et Cadre Européen Commun de Référence ».
iii Voir la structure du jeu de rôle telle qu’elle est conçue par Moreno (1965), citée par Leblanc 2002
iv Voir annexe 1, signes de transcription du corpus oral
v Voir conventions de transcription du GARS (Groupe Aixois de recherche en syntaxe sous la direction de cl. Blanche-Benveniste), disponible sur : <http://www00.unibg.it/dati/corsi/13075/55437-(Conventions%20Gars%20simplifi%C3%A9es).pdf>, consulté le 20/08/2015