SELKA Nadjiba
Laboratoire LOAPL
Université Oran 2
Résumé: Dans le roman La disparition de la langue française Assia Djebar a peint une société algérienne caractérisée par une violence qui se perçoit à plusieurs niveaux. Berkane personnage principal est perdu dans un passé qui l’engloutit dans des flash-back incessants qui nous font vivre des moments de la guerre de libération où le thème de la violence est remarquablement récurrent et constitue un fil conducteur romanesque qui peint ce phénomène à plusieurs niveaux de la société. A travers ce livre plein de réminiscences l’auteure y explique comment s’installe l’idéologie de la violence dans les mentalités pour cela elle remonte loin dans le temps pour faire le procès de sa société.
Mots clés: atavisme- conflit idéologique- exactions- intégrisme- réminiscences- violence
الملخص: في رواية اختفاء اللغة الفرنسية ، أسيا جبار رسمت مجتمعًا جزائريًا يتميز بالعنف الذي يُنظر إليه على عدة مستويات. تضيع الشخصية الرئيسية لبركان في الماضي الذي يغمره في ذكريات الماضي المتواصلة التي تجعلنا نعيش لحظات من حرب التحرير حيث يتكرر موضوع العنف بشكل ملحوظ ويشكل خيطًا روائيًا يرسم هذه الظاهرة. عدة مستويات من المجتمع. من خلال هذا الكتاب المليء بالذكريات، تشرح المؤلف كيف يتم تأسيس أيديولوجية العنف في العقليات، ولهذا السبب، عادت إلى زمن بعيد لتقديم مجتمعها للمحاكمة.
التأسل الرجعي– الذكريات – الصراع الايديولوجي – الاخطاء – الاصوليه– الكلمات المفتاحية:
Summary: In the novel, The disappearance of the French language Assia Djebar painted an Algerian society characterized by a violence that is perceived on several levels. Berkane’s main character is lost in a past that engulfs him in the incessant flashbacks that make us live moments of the liberation war where the theme of violence is remarkably recurrent and constitutes a novelistic thread that paints this phenomen on, several levels of society. Through this book, full of reminiscences, the author explains how the ideology of violence in mentalities is established. For this reason, she goes far back in time to put her society on trial.
Keywords: atavisme- Abuses- Fundamentalism- Ideological conflict- Reminiscences- Violence
Introduction
La dimension socio-idéologique dans le roman La disparition de la langue française d’Assia Djebar nous a interpellés car à travers le retour d’exil du personnage principal Berkane et de son lamento tout au long du roman, l’auteur a peint une société algérienne régie par un système de signes et de lois que nous nous proposons d’interpréter.
Ainsi le seul roman d’Assia Djebar qui fait évoluer un personnage principal masculin nous présente un homme désaxé, blasé et déçu après vingt ans d’exil, qui rentre au pays natal au lendemain d’une rupture décidée par sa partenaire française. C’est un pays méconnaissable qu’il découvre, sa Casbah d’antan, qu’il n’arrive plus à reconnaître, croule sous les ordures et les amas de détritus, l’ambiance de solidarité et d’amour qui réunissait les voisins et les cousins est à jamais révolue. C’est un personnage perdu dans un passé qui l’englouti et avec lequel il n’arrive pas à rompre auquel nous avons affaire, les flash-back incessants auxquels s’adonne Berkane nous font vivre des moments de la guerre de révolution où le thème de la violence est récurrent. Notre problématique se focalise autour de ce thème, comment fonctionne l’isotopie régulant la cohérence de l’idée de la violence qui traverse le roman d’un bout à l’autre. Par quels procédés est-elle déployée dans le texte ? Quels types d’isotopies sont employés ? C’est à ces interrogations que nous nous proposons de répondre en commençant d’abord par montrer comment les idées en présence construisent le cheminement conduisant à l’exacerbation de cette isotopie, nous exposerons au fur et à mesure les types d’isotopies qui ont servi à construire un réseau de signification aboutissant à décrire les origines de la violence dans la société algérienne.
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Les isotopies dénotées
Selon Greimas « L’isotopie désigne globalement les procédés concourant à la cohérence d’une séquence discursive ou d’un message. Fondée sur la redondance d’un même trait dans le déploiement des énoncés, une telle cohérence concerne principalement l’organisation sémantique du discours. » 1 (Chareaudeau, Maingueneau. 2002 : 332)
C’est le cas dans le récit où le thème de la violence se développe à travers des isotopies de sens premiers et figurés et que nous nous proposons d’analyser. Il est dit à ce propos « Une isotopie est un ensemble de mots qui renvoie aussi au même thème mais par un jeu de références, de sens implicite ou seconds, figurés, sens qui ne se comprennent que dans le contexte. »2
C’est sous l’angle de la violence que nous est rapporté un souvenir des événements de la guerre auquel a participé Berkane alors qu’il n’était qu’enfant. Des manifestations qui se déclenchèrent d’abord à Belcourt pour se répandre ensuite à la Casbah après la déclaration provocatrice de la speakerine à la radio et qui avait suffi à décider les esprits déjà chauffés. « Nous écoutons dans un silence fiévreux. […] Mon frère, aux mots de « la Casbah est calme », comme s’il venait d’être défié personnellement, s’emporte. » (Djebar, 2014 : 189)
Fiévreux, défié et s’emporte dénotent d’une colère que le personnage a du mal à contenir, ces termes forment une isotopie de la violence. Alloua le frère de Berkane en fit une affaire personnelle et décida sous le coup de la colère de déclencher la manifestation dans son quartier en exhibant le drapeau algérien resté longtemps caché après la bataille d’Alger et c’est ainsi que s’embrase la Casbah à son tour. Berkane se retrouve parmi la foule à casser des vitres de boutiques.
« Garçons et adolescents sortent à présent : joyeux, débridés, enfiévrés ; je ne sais combien nous sommes : une forêt qui s’épaissit, qui s’obscurcit et les cris en huées, en haros, en échos de fureur s’amplifient ! Je ne me sens qu’un parmi la foule qui avance, cassant, détruisant, pulvérisant, saisie de silences soudains, puis une houle tumultueuse la propulse en avant. » (Idem. p. 193)
Outre l’isotopie de la violence formée par les adjectifs qualificatifs (joyeux, débridés, enfiévrés) qui rendent compte du caractère enflammé et passionné, les termes associés en couples (s’épaissit, s’obscurcit) et (haros, échos) restituent par leurs sonorités l’effet tumultueux et désordonné de la manifestation. Ajoutés à cela, la série des participes présents (cassant, détruisant, pulvérisant) qui par leurs terminaisons identiques forment un écho sonore qui restitue le bruit de la foule en liesse et ajoute à la cohérence du réseau lexical et grammatical de l’isotopie de la violence qui traverse le texte.
Le caractère violent et dur de la manifestation est décrit de telle sorte qu’il s’apparente à une fête puisque les jeunes sont accompagnés par les youyous des femmes qui fusent du haut des terrasses des maisons de la Casbah à tel point que le jeune Berkane ne distinguait plus la fête de la manifestation. « […] Moi me repeignant les cheveux mouillés, avec soin (comme si, me mirant dans un coin de glace, j’allais me précipiter à un mariage des voisins. Je ressors de chez nous parmi les youyous, y compris ceux de ma grand-mère… » (Idem. p. 198)
A l’instar de ses compatriotes Berkane vit ces événements comme une fête où règnent la destruction et la violence, c’est presque comme un héros qu’il s’apprête à rejoindre le groupe des manifestants, même les femmes de toutes âge sont de la partie.
« Au cœur du défoulement en clameurs, en slogan (et toujours en arrière, le tressautement suraigu des chœurs féminins, roucoulement interminable), je me vois, un pieu fort et long ou peut-être un pied de chaise à la main. J’entreprends de casser des vitres. […] Non loin de moi, d’autres gaillards détruisent avec plus de méthode et de froide résolution : cafés français où l’on ne nous a jamais servis, bars où l’on ne demandera jamais ni du vin ni de la bière » (idem, p, 191, 192)
Les Algériens animés par un sentiment de frustration envahissent les rues et détruisent les espaces qui leur ont été longtemps défendus et prennent ainsi leur revanche. La violence habite la société à tous les niveaux d’âges, enfants, adolescents et jeunes hommes y participent, même les femmes y contribuent par leur soutien moral caractérisé par les youyous qui les accompagnent lors des saccages. Il est dit à ce propos : « La violence s’oppose si peu à la faiblesse que la faiblesse n’a souvent pas d’autre symptôme que la violence : faible et brutale parce que faible précisément. » 3 (Jannkeleritch. 1978:169)
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Les isotopies connotées
Réitérée par la narration à maintes reprises la référence aux peuples anciens qui ont occupé l’Algérie n’est pas gratuite, elle est latente et porteuse d’un sens caché que nous nous proposons d’éclaircir. « C’est à qui prendra sa hachette, et en avant, la destruction systématique et joyeuse de tout le local… Je deviens un véritable Vandale : allégresse rythmée, scandée… » (Idem, p.67)
La référence aux Vandales, connu pour leur barbarie et qui ont occupé l’Afrique du nord romaine de 407 av.j.c jusqu’à 533av.j.c sont perceptibles dans cet énoncé qui rappelle l’occupation et le mélange raciale du peuple algérien. « Nous ressemblons ainsi à nos ancêtres, les corsaires redoutables d’Alger, pillant, ravageant tout, quand ils débarquaient autrefois sur la rive des peuples du Nord… » (Idem, p.194)
Dans leur allégresse destructrice Berkane et ses compagnons s’en prennent à une droguerie à l’intérieur de laquelle il se rend compte que cette violence incontrôlable est un héritage génétique de leurs ancêtres les pirates turcs. Et c’est en parlant de torture, une autre forme de violence que les corsaires turcs sont cités
« Comme si la torture n’était pas de bonne guerre : on le sait chez nous, à la Casbah ! ça s’est toujours passé ainsi, depuis les frères Barberousse et les autres corsaires. Un témoin est là, un grand, un Espagnol qui a écrit le premier sur mon quartier : Cervantès ! » (Idem, p. 201)
Cet énoncé confirme l’idée que les turcs sont instigateurs de la torture, pratiquée bien avant les colonisateurs français, des écrits tel que celui du célèbre écrivain espagnol, jadis captif de la régence d’Alger relatent cet état de fait. Une appartenance et une filiation revendiquée non sans une pointe de fierté lorsque Berkane s’installant devant la Méditerranée se revoyait dans les rues de la Casbah « Djazirat el Bahdja-la belle, la glorieuse, si longtemps l’imprenable, sa ville en pomme de pin ma cité des pirates légendaires. » (Idem, p. 68)
« Ces « Imazighen » devinrent pourtant nos héros, eux, les corsaires turcs qui avaient écumé la Méditerranée, ces « rois d’Alger » du seizième au dix-huitième siècle… » (Idem, p.14)
Le « pourtant » dénote du contraste contenue dans l’énoncé et montre le non sens de cette fierté qui ne correspond nullement avec la réputation de ces rois d’Alger. Le non sens de ces révoltes qui débouchent sur le chaos.
« Oui, j’écoute, je regarde, je comprends à peine, et presque péniblement, que je ne suis ni parmi les tués, ni dans les blessés ; ni parmi les fuyards, non plus. Je rentre lentement en silence : tout ce tumulte, ce délire, ce défoulement, serait-ce un rêve ? » (Idem, p.201)
L’accumulation des verbes qui traduisent la perception suivit de l’adverbe « péniblement » montrent le sentiment désolée mais tardif ainsi que le non sens des agissements du personnage et donc par projection des Algériens qui n’écoutent que leur instincts et ne réfléchissent pas à la portée de leur actes comme nous le verrons plus loin. « Moi, quinze ans bientôt, le feu de la révolte désordonnée dans mes veines, bouillonnant mais toujours en vain, j’ai vu pour la première fois de ma vie et la déroute, et les fuyards. » (Idem, p. 200)
Cette violence héritée des lointains pirates et des anciens peuples qui ont vécu sur la terre de l’Afrique du nord est présentée par la narration comme un atavisme, et c’est ainsi que l’affirme Berkane après que les manifestants aient été réprimés
Les descendants de ces pirates qui ont longtemps écumé les rives de la Méditerranée se sont mêlés avec le temps au reste de la population et constituent ce qui est appelé aujourd’hui la population algérienne. C’est ce que nous révèle la narration, « Berkane piétine au milieu des grands, il suit le flot, il reconnaît même l’atelier d’ébénisterie de monsieur Kobtane, son fils est avec lui, dans la même classe » (idem, p. 41)
Cet énoncé confirme la filiation et l’atavisme de la violence hérité depuis les anciens temps. « Kobtane » ce nom de famille qui désigne dans la langue arabe un capitaine de la marine prouve encore une fois que ce sang de la révolte incontrôlable qui coule dans le sang des Algériens est hérité des pirates turcs. C’est dans ce sens que Barthes explique la violence.
« La violence est prise dans le même préjugé que la littérature ou l’art : on ne peut lui supposer d’autres fonctions que celle d’exprimer un fond, une intériorité, une nature, dont elle serait le langage premier, sauvage, asystématique ;nous concevons bien, sans doute que, que l’on puisse dériver la violence vers des fins réfléchies, la tourner en instrument d’une pensée, mais il ne s’agit jamais que de domestiquer une force antérieure, souverainement originelle. »4(Barthes, 2007: 139)
Une révolte le plus souvent spontanée et irréfléchie qui n’apporte pas de fruits et qui engendre généralement des dégâts et du gâchis. « Le feu de la révolte désordonnée dans mes veines, bouillonnant mais toujours en vain, c’est pour le voir que j’ai suivi leur marche désordonnée ! » (Idem, p.43)
Le philosophe Sartre dit à ce propos : « La violence n’est pas un moyen parmi d’autres d’atteindre la fin, mais le choix délibéré d’atteindre la fin par n’importe quel moyen. »5 C’est dans cette optique que Berkane nous fait partager un autre de ses multiples souvenirs celui qui nous plonge une autre fois à la veille de la révolution, six mois avant l’indépendance et où on le retrouve prisonnier dans un camp. Berkane se rappelle de la question de la laïcité qui a été abordée par un jeune homme qui se prénommait Rachid et qui s’étonnait de la vacuité des prisonniers et de l’absence de discussion autour de la politique à l’intérieur du milieu carcéral. Ce jeune homme voulait leur faire toucher du doigt la nécessité de penser à l’après guerre et que le fait d’y penser en prison ne pouvait que renforcer leur rangs et mieux envisager l’avenir de l’Algérie. « Il faut parler entre nous, car il faut nous préparer, une fois cette indépendance obtenue ! » (Idem, p. 162)
Le ton injonctif de ce jeune homme un peu nerveux et à l’allure sportive tel que le décrit la narration, montrait l’urgence de penser au futur, de créer des débats autour de la politique et de préparer l’Algérie de l’après indépendance et que cette dernière n’était pas une finalité, ce qui s’en suivrait valait la peine d’être discuté. Ce jeune homme qui malgré son jeune âge parlait un langage méconnu du reste des prisonniers s’étonnait de l’oisiveté et la passivité dans lesquelles étaient plongés ces derniers « On passait le temps, nous comme on pouvait : ceux qui fumaient, ceux qui jouaient aux cartes, ceux qui […]. » (Idem, p.161) Des hommes nationalistes certes mais analphabètes politiquement, qui n’avaient pas conscience de la valeur et de la portée de leur engagement. Ce qui montre qu’il n’y avait pas de tête pensante, le peuple était dans une vacuité totale.
Cet homme aux idées nouvelles leur avait demandé si l’Algérie serait un pays laïc ou pas. Ce mot étrange et étranger au langage des détenus, LA- IC a nécessité que le personnage décompose les deux syllabes du mot pour que les prisonniers ne le confondent pas avec d’autres. Ce concept nouveau et abstrait n’avait pas son équivalent ni son référent, aussi nombreux étaient-ils dans ce camp, aucun d’entre-deux n’en connaissait le sens. La méconnaissance de ce mot dénote de l’absence d’une prise de conscience et d’une quelconque initiative pour penser l’après-indépendance et préparer le futur. Les moudjahidines ne se projetaient pas dans l’avenir, ils vivaient l’instant présent avec l’unique projet de chasser l’ennemi, pour eux la lutte se limitait à cela seulement.
« Je (Berkane) devinais, confusément, que ce mot de « laïc » avait un sens moderne, qu’en le discutant, cela nous aurait permis de progresser, nous qui ne rêvions que de l’indépendance…Je sentais que ce Rachid se hâtait sur la route, pressé et loin de nous… » (Idem, p. 169) La laïcité voulait dire modernité et permettait une avancée dans le temps. « Et j(Berkane) ai, en un éclair, désiré le retrouver, savoir ce qu’était devenu ce Rachid….Voici que ce mot de laïc avait surgi, comme une torpille hors du noir ! » (Idem, p.168).
De la violence, il a été question dans les multiples souvenirs de Berkane mais aussi de Nadjia sa partenaire pour quelques jours à Alger. C’est ainsi que cette dernière se rappelle la manière dont les dirigeants du FLN s’est vengé de son grand-père Larbi Hadj Brahim, celui qu’elle appelait Baba Sidi, le richissime vendeur de tabac qui pourtant donnait sans compter pour aider la révolution et sans qu’on lui force la main, un geste qui lui semblait tout à fait naturel.
« Dès 55, me raconta ma grand-mère, Baba Sidi se mit à cotiser pour les nationalistes : avec un sentiment naturel de la solidarité de groupe, mais aussi une certaine distance les demandes de cotisation, l’année suivante, s’étaient mises à augmenter, et de plus en plus. » (Idem, p.119)
Devant le refus du commerçant apolitique de se plier à leur exigence, occupé lui à aider autrement le reste de sa communauté, les révolutionnaires utilisèrent des méthodes durs et passèrent aux menaces en envoyant un quémandeur « L’augmentation de la rançon relevait, semblait-il, d’une stratégie de provocation. Pour les oranais, la vie allait son train dans les fêtes, les soirées. Il fallait frapper, sans doute, les esprits et, pour cela, viser les plus en vue économiquement » (idem, p.120) Ce lexique spécifique à la violence inscrit les dirigeants du FLN dans une forme de banditisme et de brigandage, puisque devant le refus du grand-père d’obtempérer, les dirigeants de la révolution décidèrent de le tuer sans l’avoir averti de la sentence au préalable, « La babouche et la tâche de sang découverte sur le seuil de la porte » (idem, p. 123). Des agissements qui traduisent une autre forme de violence.
La violence de ces temps de guerre vécue lors de son enfance a tellement marqué Berkane que des scènes continuent à le hanter à l’âge adulte et où il revoit la foule désordonnée que formaient toujours ses compatriotes. Berkane remet à jour un souvenir brouillé, confus qu’il croit confondre avec un mauvais rêve tellement il n’y revoit que de la violence. Le souvenir d’un corps gisant par terre, blessé par le tire d’un boucher français qui avait été menacé à la suite d’une manifestation, la narration ne s’attarde pas sur le corps de cet algérien agressé par le boucher et ne le dit pas explicitement mais s’attarde sur la vengeance des gens du quartier et la sauvagerie avec laquelle ils vont s’en prendre au boucher.
« Il (Berkane) revoit le corps du boucher, cette fois de dos et en l’air : un grand gaillard, aidé d’un autre, vient de pendre l’homme tenant toujours le revolver, au crocher de sa boucherie. Revient l’image choc du rêve : des jambes courtes, de dos, gigotant dans l’espace, là-haut, au-dessus du petit Berkane au regard épouvanté. » (Idem, p. 42) La sauvagerie et la violence de cet incident est telle que cette image d’épouvante hante des années après l’esprit de Berkane jusqu’à le poursuivre dans son sommeil. Comme un animal, le boucher laissé pour mort est suspendu à un crocher. « Toujours dans l’espace, les jambes s’agitent une, deux fois, avec désespoir, l’homme suspendu est vivant, ou à demi vivant, ou en train de mourir » (idem, p. 41). Cette description est réitérée trois fois en deux pages, c’est dire l’impact violent de cette image qui, des années après, hante toujours le sommeil de Berkane et brouille sa perception.
« Il replonge dans un sommeil plus noir, solitaire… […] Il rêve cinq minutes au moins, le temps d’une scène entière qui n’en finit pas, dont il émerge, le cœur battant d’affolement. Les yeux ouverts, réveillé difficilement… » (Idem, p. 40) Berkane souffre d’un traumatisme mémoriel qui le représente presque atteint de folie.
3. Conclusion
C’est à travers la conjugaison de plusieurs réseaux sémantiques et thématiques que l’isotopie de la violence traverse ce texte qui nous fait vivre à travers des analepses incessantes des moments de la guerre d’Algérie où il est surtout question de violence exercée de la part du peuple algérien. Nous avons montré comment l’isotopie de la violence a constitué un facteur de continuité fondamental favorisant une articulation de l’univers représenté avec l’univers connu du lecteur. L’analyse de cette isotopie nous a permis d’expliquer en fait l’origine et les causes de cette violence. Une violence qui sévissait lors des manifestations trop impulsives du peuple algérien égaré en raison de l’absence d’une tête pensante pour le diriger. Une violence qui émane instinctivement car génétiquement léguée par les ancêtres. Ces isotopies ont servi à construire un réseau de signification aboutissant à décrire les origines de la violence dans la société algérienne. Il s’agit de la violence initiale, héritée et transmise à travers des générations qui se sont succédées.
Bibliographie
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DJEBAR, Assia. (2014). La disparition de la langue française. Alger, Hibr.
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BARTHES, Roland. (2007). L’empire des signes, l’écriture de la violence. Ed. Le Seuil. Paris.
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CHARAUDEAU, P. Maingueneau, Dominique. (2002). Dictionnaire d’analyse du discours, Paris. Seuil
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JANNKELERICH, Vladimir. (1978). Le pur et l’impur. Paris. Flammarion
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www.eclairement. Com / La-notion-d-isotopie-sémantique-la consulté le 24/08/2018
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https://la-philosophie.com/la-violence-en-philosophie consulté le 12/09/2019
1 Chareaudeau, Patrick, Maingueneau, Dominique. Dictionnaire d’analyse du discours Paris, Seuil, 2002, p, 332
2 www.eclairement. Com / La-notion-d-isotopie-sémantique-la, consulté le 24/ 08/2018
3 Jannkeleritch, Vladimir. Le pur et l’impur. Flammarion, Paris, 1978, p.169
4 ?Barthes.R. (2007). L’empire des signes, l’écriture de la violence.Ed. Le Seuil. Paris. P, 139
5 https://la-philosophie.com/la-violence-en-philosophie consulté le 12/09/2019