Taieb BENDAKFAL
ENS de Bous-sâada
Abstract
This article proposes a reflection on the teaching / learning of languages in Algeria in relation to the language needs on the labor market. First, we shall talk about the languages in the Algerian educational system and the linguistic fracture / division between secondary and university educational systems caused by the change in the language of instruction, being faced especially by the students in the scientific fields. Finally, a reflection will be held on possible actions and solutions in the field of language teaching / learning.
Mots clés
Marché de travail, apprentissage des langues, Besoins langagiers, plurilinguisme, savoir linguistique et disciplinaire, savoir-faire professionnel, intégration.
-
Problématique
L’école, l’Université et le marché de travail sont les espaces idoines qui contribuent au développement sociétal et au progrès: l’école, par la transmission des fondamentaux, l’Université par la construction des savoirs, la formation des cadres bien outillés par des compétences disciplinaires et linguistiques et le marché du travail, lieu de rencontre des employés et des employeurs, par l’exploitation de toutes les ressources pour une bonne compétitivité et productivité.
La réflexion que nous comptons mener dans cet article, aura trait à une question du domaine de la formation en langues à l’Université et son rapport avec le marché du travail en Algérie. Jeune état, sortant d’une longue domination de l’occupation française, l’Algérie a dû, dans les années soixante, adopter une politique économique, sociale et linguistique lui permettant de se développer sur la scène nationale et de s’imposer sur la scène internationale. Pour autant, elle a choisi, à l’époque postindépendance, une politique linguistique de ré-arabisation du peuple algérien dans le dessein de lui rendre son identité arabo-musulmane confisquée.
Cette politique qui tend vers l’homogénéisation de l’État-nation, sur le plan linguistique, a imposé l’arabe au détriment du français devenant, depuis l’indépendance, une langue étrangère et a marginalisé la langue amazighe qui n’a pas pu obtenir le statut de langue nationale et officielle qu’en janvier 2016.
Depuis l’an 2002, la société algérienne connaissait une transformation continuelle, à l’instar des autres sociétés dans ce monde, sous l’effet de la technologie et de la mondialisation qui pèsent lourdement sur le paysage socio-économique du pays. Cet état des choses exige, sans aucun doute, de repenser le rôle et la qualité de l’enseignement fondamental et supérieur notamment dans leur rapport avec le marché de travail et ses besoins en termes de formation des cadres et des mains d’œuvre hautement qualifiées.
Or, la politique linguistique du pays, qui procède par la «gestion in vitro» (L.J. CALVET, 1993, p.111) depuis l’indépendance en faisant abstraction des pratiques langagières réelles a dégénéré dans le secteur d’enseignement une situation éducative caractérisée par la discontinuité dans la langue d’enseignement des matières scientifiques, entre le cycle secondaire et celui universitaire en Algérie; ce qu’on pourrait désigner par « une fracture linguistique» (L .MASSOUDI et F.BENRAMDANE, 2013 : pp.111-124)
A cette fracture linguistique entre ces deux cycles d’enseignement s’ajoute une seconde problématique qui aurait trait à la langue d’acquisition des savoirs disciplinaires, le français, langue étrangère aux étudiants dans l’enseignement technique et technologique, futurs cadres destinés au marché de travail, sans être outillés le plus souvent par un savoir linguistique dans cette langue de transmission du savoir disciplinaire à l’université. Toutefois, la modernisation de l’économie et le marché de travail exigent que les ressources humaines soient au diapason des niveaux de qualification supérieure qui conditionnent l’efficience du système industriel et des technologies modernes en perpétuelle évolution.
Par contre, l’Université algérienne continue jusqu’aujourd’hui à tourner le dos à cette évidence. Ainsi, les difficultés linguistiques pourraient constituer un handicap majeur aussi bien pour la réussite scolaire que pour l’insertion sociale et professionnelle. Ceci dit nous amène à nous interroger sur le rapport entre les langues de construction et de transmission des savoirs à l’Université et le marché de travail.
-
En quelle (s) langue (s) se construit et fonctionne l’enseignement supérieur notamment l’enseignement scientifique à l’université algérienne ?
-
Ces langues, sont-elles seulement utilisées pour la transmission du savoir disciplinaire ou constituent-elles également un outil de communication effectif pour apprendre ce savoir ?
-
Quels rapports existe-t-il entre la (es) langue (e) de construction et de transmission des savoirs à l’université et le marché de travail ?
-
Langue de construction et de transmission des savoirs disciplinaires à l’université algérienne, le français serait la clé de voûte de toute la vie professionnelle de l’étudiant et contribuerait ainsi de manière significative à son insertion dans le marché de l’emploi ?
-
Une approche méthodologique dans la logique d’apprendre à utiliser la langue et d’utiliser la langue pour apprendre constituerait un dynamise qui intègre savoir disciplinaire et savoir linguistique pour optimiser la formation des cadres et répondre aux besoins langagiers du marché de travail ?
-
Socle théorique
En effet, choisir une posture épistémique et l’expliciter est une condition essentielle pour bien mener son étude et pour une meilleure appréhension possible d’une situation examinée. Au fait, il n’est pas toujours facile de s’abstraire de sa subjectivité notamment quand il s’agit de discuter d’une problématique qui peut recevoir des interprétations de l’ordre de l’affect individuel et à laquelle toute personne se sent concernée, comme dans les questions linguistiques et éducatives. Il se doit, pourtant, d’adopter une position tendant vers l’objectivité et de ramener à une interrogation scientifique des interprétations de l’ordre du vécu social qu’il ne faudrait pas ignorer car elles sont souvent à l’origine des choix faits par les familles pour la scolarisation de leurs enfants, des bacheliers pour les orientations à suivre, etc.
-
Cadre méthodologique
Auparavant, nous situerons la problématique dans son contexte, en nous appuyant sur des informations puisées dans des lois et documents sur l’éducation nationale en Algérie. Notre intérêt va aussi porter sur l’observation des interactions entre étudiants d’une part; et de l’autre, entre étudiants et enseignant en situation d’enseignement/apprentissage au département des mathématiques et de l’informatique à l’Université de M’Sila. Pour ce faire, nous nous sommes appuyés sur une grille d’observation pour analyser les interactions entre étudiants/enseignant en salle pendant deux séances de « cours magistral» et les interactions entre étudiants/étudiants qui sont en nombre de 80 entre filles et garçons dans des séances des travaux dirigés où la présence des étudiants est obligatoire.
L’observation et l’analyse des interactions langagières de la population-cible en situation d’enseignement/apprentissage se fait pour comprendre, d’un côté, les difficultés et les besoins d’étudiants en langue d’enseignement, à savoir le français pour s’approprier du discours universitaire présenté par l’enseignant, de l’autre, les approches d’acculturation des étudiants à ce discours qui revêt une complexité structuro-discursive de par son caractère à la fois ambivalent et disciplinaire. La spécificité cognitivo-linguistique et discursivo-pragmatique de ce discours provient du fait qu’il est à la croisée entre un discours de recherche et un discours didactique. En plus ce discours, source de transmission d’un savoir et d’un savoir-faire, est dispensé en français, langue étrangère aux étudiants en cette spécialité. Il forme ainsi une source de difficultés en termes d’acculturation chez les étudiants et de langue d’enseignement et d’approches d’appropriation chez les enseignants. Ces approches constituent, à notre avis, un objet encore à théoriser ; mais, cela ne fait pas partie de notre propos ici et nous l’évacuons d’emblée.
Le discours universitaire, souvent aliéné à des exigences politico-économiques dont la finalité se calcule en besoins d’ordres divers, s’inscrit d’un côté dans une perspective didactique puisque l’Université se fixe pour objectif la formation professionnelle des étudiants qui va répondre aux besoins du marché de travail et de l’autre, ce discours est mis au service du développement de la pensée humaine dans ses différents aspects littéraire, culturel et scientifique.
Nous avons administré un questionnaire à notre population-cible constituée de 80 étudiants dont 42 étudiantes et 38 étudiants. Tous ces étudiants poursuivent leurs études en première année dans la filière des mathématiques et de l’informatique à l’Université de M’Sila et dont l’âge varié entre 18 et 22 ans. Il faudrait, peut être, signaler que parmi ce public-visé il y a des redoublants. La prise en compte des redoublants comme partie importante dans cette population-cible tend à mesurer le taux d’échec dans cette filière.
Etudiants |
Age |
Sexe |
Nombre d’étudiants |
|
Garçons |
Filles |
|||
Nouveaux |
Entre 18/22 ans |
42 |
38 |
46 |
Redoublants |
23 |
|||
Venants d’une autre spécialité |
11 |
|||
Total |
80 |
Tableau n°1 Population-cible
-
Les langues dans le système éducatif algérien
La constitution algérienne de 1963, modifiée en 2008, les chartes et les textes de référence qui introduisent la politique éducative, considèrent l’enseignement comme le facteur de base essentiel à tout changement économique et social. L’ordonnance n° 76-35 du 16 avril 1976 a été le premier texte réglementaire déterminant de l’éducation en Algérie du fait qu’il a introduit « des modifications radicales dans l’organisation de l’enseignement, dans le sens des changements profonds intervenus dans les domaines économiques et sociaux et permis d’asseoir les choix et orientations fondamentaux de l’éducation nationale»1 . Selon ce texte fondateur de l’école algérienne postindépendance l’arabe classique est, la langue d’enseignement à tous les niveaux et dans toutes les disciplines. Elle est la langue première pour l’apprenant algérien et la seule langue d’enseignement avant l’introduction du français à partir de la troisième année de l’enseignement primaire, et dont il doit s’en servir pour l’apprentissage du français « […] une démarche contrastive qui rapproche la langue étrangère de la langue première pour dégager des équivalences à différents niveaux d’analyse»2.
Depuis le mois de mai 2000, mois de l’installation de la Commission nationale de réforme du système éducatif et le vote pour la réforme de ce système par l’assemblée nationale populaire en avril 2002, une nouvelle représentation de la donne linguistique émerge en donnant lieu à des implications didactiques, entre autres, l’enseignement des langues de manière générale.
Traiter de la question de l’enseignement des langues dans le système éducatif algérien suppose, bien évidement que l’on se réfère à la loi d’orientation n° 08-04 du 23 janvier 2008 qui précise que l’école doit :
-
assurer la maîtrise de la langue arabe, en sa qualité de langue nationale et officielle, en tant qu’un instrument d’acquisition du savoir à tous les niveaux d’enseignement, moyen de communication sociale, outil de travail et de production intellectuelle ;
-
promouvoir la langue amazighe et étendre son enseignement ;
-
permettre la maîtrise d’au moins deux langues étrangères en tant qu’ouverture sur le monde et moyen d’accès à la documentation…3
Cette loi d’orientation sur l’éducation traduit, en vrai, une politique linguistique basée sur les éléments constants, qui sont appelés «thawabet » dans la constitution algérienne, et qui sont repris comme étant les fondements du système éducatif algérien qui vont structurer la personnalité de l’apprenant en tant que futur citoyen algérien. Dans le cycle secondaire, d’autres langues étrangères seront obligatoires dans la filière « Langues étrangères », l’allemand, l’espagnol ou l’italien.
Langues |
Statut des langues |
Langues dans les cycles d’enseignement |
Gestion scolaire des langues |
|||||||
Langue officielle | Langue nationale | Langue étrangère |
Primaire |
Moyen |
Secondaire |
Obligatoire |
optionnelle |
|||
Arabe |
+ |
+ |
+ |
+ |
+ |
+ |
||||
Tamazight |
+ |
+ |
+ |
+ |
+ |
|||||
Français |
+ |
+ |
+ |
+ |
+ |
|||||
Anglais |
+ |
+ |
+ |
+ |
||||||
Espagnol |
+ |
+ |
+ |
|||||||
Allemand |
+ |
+ |
+ |
|||||||
Italien |
+ |
+ |
+ |
Tableau n°2 Langues, statuts et gestion dans le système éducatif algérien
Selon ce tableau, l’arabe, langue nationale et officielle, est la langue d’enseignement obligatoire dans tous les cycles du cursus scolaire. Le tamazigh, langue nationale mais avec un statut facultatif, c’est une langue à enseigner depuis la quatrième année primaire à la demande des parents (langue optionnelle). Le français est la première langue étrangère dont l’enseignement est obligatoire depuis la troisième année du cycle primaire et l’anglais est la deuxième langue étrangère, obligatoire depuis la première année du cycle moyen. Ce qui reste pour les autres langues, en l’occurrence, l’allemand, l’espagnol et l’italien, elles se présentent comme la «langue étrangère3» dans le système éducatif algérien. La troisième langue étrangère sera enseignée depuis le cycle secondaire. Partant, l’enseignement du primaire jusqu’au secondaire dans l’ensemble des matières est dispensé en arabe dans le contexte éducatif algérien.
Dans le système éducatif algérien, l’enseignement secondaire comprend l’enseignement secondaire général et l’enseignement secondaire technologique dont on a affaire ici (voir le tableau ci-après).
Cycle secondaire technologique |
langue d’enseignement |
|||||||
1 ère Année |
2 ème Année |
3 ème Année |
Arabe |
Français |
||||
Tronc commun «sciences technologi-que» |
Sciences expérimentales |
Sciences expérimentales |
+ |
|||||
Mathématiques |
Mathématiques |
+ |
||||||
Techniques Mathéma- Tiques |
Génie électronique Génie mécanique Génie civil Génie des procédés |
Techniques mathématiques |
Génie électronique Génie mécanique Génie civil Génie des procédés |
+ |
||||
Gestion-économie |
Gestion-économie |
+ |
Tableau n° 3 Structuration du cycle secondaire technologique et langue d’enseignement
La durée de ce cycle d’enseignement post-obligatoire est de trois ans. Il est organisé en tronc commun en première année et en plusieurs filières en deuxième et troisième année. Partant, ce premier cycle de l’enseignement post-obligatoire se caractérise généralement par la diversité des parcours de formation permettant la spécialisation progressive dans des différentes filières en fonction des choix et des aptitudes des apprenants. Ce cycle prépare les apprenants à la poursuite d’études ou de formations supérieures.
Les savoirs et savoir-faire, dans ce cycle d’enseignement secondaire technologique, sont transmis en langue arabe « l’enseignement est dispensé en langue arabe dans les établissements publiques et privés d’éducation et d’enseignement à tous les niveaux et dans toutes les disciplines»4. Or, juste après avoir un baccalauréat technique, le bachelier se trouve confronté à un problème linguistique pour pouvoir continuer sa formation dans une branche scientifique car l’enseignement scientifique au supérieur est dispensé en langue étrangère et le problème de changement de langue qui accompagne le changement de cycle va s’imposer.
-
Le français entre l’enseignement technologique au secondaire et l’enseignement scientifique à l’université en Algérie.
Il est stipulé sur un plan plus spécifique, dans le Curriculum de français pour la terminale en termes de finalités de l’enseignement du français dans le secondaire technologique, que l’enseignement du français doit permettre :
-
l’acquisition d’un outil de communication permettant aux apprenants d’accéder aux savoirs ;
-
la sensibilisation aux technologies modernes de la communication ;
-
la familiarisation avec d’autres cultures francophones pour comprendre les dimensions universelles que chaque culture porte en elle ;
-
l’ouverture sur le monde pour prendre du recul par rapport à son propre environnement, pour réduire les cloisonnements et installer des attitudes de tolérance et de paix5.
En nous appuyant sur ce qui est exprimé ci-dessus en termes d’objectifs assignés à l’apprentissage du français dans le secondaire général et technologique, nous constatons la prise en compte de deux dimensions : la première est universelle attribuée à l’apprentissage du français en vue de familiariser l’apprenant avec les autres cultures et les nouvelles technologies, la seconde revêt un caractère intellectuel qui consiste dans l’emploi de cet outil de communication pour accéder aux savoirs et acquérir des connaissances. Par cette dernière dimension de l’apprentissage du français au secondaire technologique, on tend à permettre aux apprenants, futurs étudiants, de bénéficier, à la fin du cycle secondaire, d’une maîtrise linguistique suffisante qui leur permettra de réussir leur formation universitaire.
Au fait, le français n’est qu’une matière enseignée, dans ce cycle, au même titre que les matières scientifiques et techniques qui sont, par contre, enseignées en langue arabe. Or (Veuillez vérifier l’usage du « Or » dans le texte, il semble se répéter plusieurs fois. Nous vous conseillons de le remplacer par un équivalant), au cycle supérieur, le français acquiert un autre statut, il est, sans rival, la langue d’enseignement des sciences et techniques. Cet état de dualité de langue d’enseignement qui caractérise le parcours de formation post-obligatoire, cycles secondaire et supérieur, de l’étudiant algérien devient une source de difficultés du fait que les disciplines scientifiques sont enseignées en français après le passage au supérieur, et les objectifs qui ont été attribués à l’enseignement du français dans le secondaire ne répondent pas de façon satisfaisante aux besoins de l’étudiant quant à l’enseignement technologique et scientifique à l’université. En dépit de la mise en œuvre d’un enseignement de français présenté sous forme de cours de langue pour améliorer les compétences linguistiques de l’étudiant en français et le soutenir dans l’acquisition des savoirs dans sa spécialité scientifique, cet état de fait reste problématique pour les étudiants qui se retrouvent contraints de poursuivre des études scientifiques complexes dans une langue que très souvent ils ne maîtrisent pas suffisamment.
A l’Université algérienne, les filières scientifiques telles que la médecine, les sciences techniques et autres sciences, sont enseignées en français. La filière des mathématiques et de l’informatique à l’université de M’Sila, lieu de notre enquête, est l’une de ces sciences dont l’enseignement est dispensé aussi en français comme dans toutes les universités algériennes.
-
-
Profil des étudiants de première année mathématiques et informatique à l’université de M’Sila.
-
Les étudiants sont généralement âgés entre 18 et 22 ans et titulaires, dans leur majorité, du Baccalauréat scientifique, ayant obtenu une moyenne générale au baccalauréat entre 10 et 13/20. Certains ont choisi l’université pour poursuivre leurs études supérieures dans cette filière scientifique; pour d’autres, cette filière n’était pas dans leurs premiers choix. A propos de leur milieu social, ils proviennent, dans leur quasi-totalité, de la couche moyenne.
Comme tous les Algériens, ils sont exposés, dès leur enfance à l’arabe dialectal ou au tamazight; mais aussi, au français alterné avec l’arabe dialectal et/ou tamazight, surtout en milieu urbain. Ils sont en contact avec les Tic et Internet, etc., il use de la «cyberlangue » en participant à des forums et à des réseaux sociaux, etc.
Notre enquête est basée, comme il a été déjà dit plus haut, sur l’observation du discours spécialisé dans sa construction, son fonctionnement et les échanges entre enseignant/étudiants et étudiants/étudiants dans deux cours magistraux et deux séances des TD en situation d’enseignement/apprentissage; et sur l’administration d’un questionnaire à 80 étudiants/étudiantes de première année dans cette filière qui comprend plusieurs modules dont l’enseignement est dispensé en français (voir le tableau 4).
Nous voudrions à travers cette étude dépister les difficultés et connaître les besoins de cette population-cible au sujet de l’acquisition du savoir spécialisé dispensé en français ainsi que leur discours sur la langue d’enseignement dans cette filière.
1ère Année TC |
Filière |
Nombre d’étudiants inscrits en 1ère Année |
Modules enseignés/ Langue d’enseignement |
|||
1ier Semestre |
Langue d’enseignement |
2ième Semestre |
Langue d’enseigne- ment |
|||
Mathématiques et informatique |
522 A/B |
Algorithme |
Français |
Statistiques |
Français |
|
Analyse1 |
Analyse 2 |
|||||
Électronique |
PSD |
|||||
Algèbre1 |
Algèbre 2 |
|||||
Codage |
Physique |
|||||
Bureautique |
TIC |
|||||
Terminologie |
MATLAB |
|||||
Anglais |
Anglais |
Structure de la matière |
||||
Histoire des sciences |
Tableau 4 Modules enseignés par semestre en 1ère Année mathématiques et informatique et langue d’enseignement
Il s’ensuit de ce tableau, présentant un bon nombre de modules enseignés en première année mathématiques et informatique, que la langue d’enseignement est, bel et bien, le français. Le français langue étrangère remplace l’arabe langue nationale et officielle pour l’enseignement des contenus non linguistiques. Un paradoxe que va confronter le bachelier, nouvellement inscrit dans cette filière, car son parcours scolaire fondamental et secondaire qui lui a pris 12 ans au minimum s’est fait en langue arabe. Ceci est effectivement problématique du fait que cette langue d’enseignement n’est pas sa langue maternelle ni la langue de sa formation antérieure.
En plus de la nécessité de s’habituer à son nouvel environnement universitaire, entre autres, résidence à la cité, il doit se familiariser avec le nouveau système d’enseignement des matières, « système modulaire », les cours magistraux où il doit apprendre à étudier de manière autonome en s’appuyant sur ses capacités personnelles pour la recherche de l’information.
Pour l’amélioration des compétences linguistiques des étudiants dans la nouvelle langue d’enseignement, un module d’enseignement de français « méthodologie » a été mis en œuvre par la tutelle; mais, selon le tableau, uniquement pour le premier semestre. En plus, son contenu qui porte souvent sur les concepts disciplinaires reste limité. Cette tentative de soutenir l’étudiant dans son apprentissage ne répond pas, tout à fait, à ses besoins en langue française, langue de l’enseignement scientifique au supérieur en Algérie. Puis, chercher à rendre l’étudiant capable de parler mathématiques en FLE (avoir une compétence discursive/cognitive qui lui permet de produire un texte conforme aux principes du discours des mathématiques) sans penser à développer sa compétence linguistique en langue d’enseignement, le français, est une source d’inquiétude quant à la qualité de sa formation et ses chances d’accrocher un poste dans le marché de travail.
-
Ce que révèle le terrain : interprétation des observations et du questionnaire
-
Interprétation des observations
-
Après avoir assisté à deux cours magistraux, on a remarqué que
-
-
-
Les interactions entre étudiants/ enseignant étaient presque rares et c’est le discours de l’enseignant qui domine la séance ;
-
La présentation du cours est totalement en français. En expliquant, l’enseignant se sert, parfois, de la langue arabe à l’oral ; mais à l’écrit, sur le tableau, l’explication est fournie uniquement en français ;
-
Aux questions de l’enseignant, les étudiants répondent souvent en langue maternelle, parsemée, parfois, de concepts mathématiques ;
-
A l’écrit, sur le tableau, certains étudiants notamment des étudiantes parviennent à écrire correctement en français ;
-
L’enseignant se réfère à la langue arabe pour traduire le plus souvent de façon littérale de concepts mais aussi des expressions qui rendent la compréhension beaucoup plus floue chez les étudiants qui expriment, parfois, leur malaise et incompréhension par des gestes et laissent transparaître leur sentiment d’ insatisfaction sur les visages ;
-
Pour aider l’étudiant dans son acculturation à ce discours second dispensé en français et qui tend à reformuler un discours-source relatif à cette discipline scientifique, l’enseignant recourt, de temps à autre, à la traduction en arabe pour élucider notamment les concepts scientifiques.
-
-
Pour cerner les difficultés des étudiants et déterminer leurs besoins en termes de langue d’enseignement, le français, nous avons choisi aussi d’assister à deux séances des travaux dirigés durant lesquelles, on a enregistré les remarques suivantes :
-
-
-
les interactions entre étudiants/ enseignant se caractérise par des énoncés courts de 2 à 3 mots (ex : quatrième conversion, peut être, non le troisième…) par les étudiants ;
-
énoncés mal construits (ex : les tableaux deux, même taille) ;
-
les échanges entre étudiants/étudiants entièrement en arabe mais avec l’enseignant, on mélange dans une langue mal construite ;
-
Certains étudiants, qui sont un peu démotivés par la terminologie et les problèmes de langue, insistent sur l’explication en arabe ; d’autres souffrent en silence ;
-
une difficulté pour lire un document en français à la demande de l’enseignant ;
-
Documents et polycopiés en français.
-
-
Dans ces séances (cours/Td) les interactions étudiants/ étudiants, enseignant/étudiants nous renseignent sur les difficultés et besoins des étudiants en cette filière. Les deux difficultés majeures consistent dans l’assimilation du savoir de l’enseignant transmis par son discours universitaire spécialisé et aussi dans son enseignement qui est dispensé en français. Dans cette forme d’exercice de la connaissance, l’enseignant expose, démontre, affirme, réfute, généralise, mais aussi s’interroge et met en œuvre des modes d’intersubjectivité particulièrement complexes. Tout ça est construit en français pour un étudiant dont la langue maternelle est l’arabe qui était d’ailleurs et pour 12 ans de parcours scolaire la langue d’enseignement. Tout à coup et juste après avoir eu son bac scientifique il se trouve contraint à assimiler des connaissances dans une autre langue.
Le savoir de l’étudiant qui est un savoir de référence, auquel il se réfère dans son approche des savoirs, a été saisi en arabe tandis que l’enseignant, de par son statut et sa formation francophone se sert du français. En plus, le français, dans cette situation d’enseignement/apprentissage n’est pas un outil de communication effectif pour apprendre le savoir spécialisé ; mais, il est utilisé uniquement pour la transmission de ce savoir disciplinaire.
Cela suppose le recours à des démarches et approches de part et d’autre qui sont, bien évidement, diverses mais qui concourent, toutes, à la réussite de l’acte de formation dans cette situation d’enseignement/apprentissage et en fonction de ce que le marché de travail exige en termes de qualification disciplinaire et linguistique. Ces démarches et approches doivent interagir pour trouver une manière efficace d’appréhender « ce discours spécialisé » (YERMECHE.O. & BENDAKFAL.T : 2014, p.9), en français. Par conséquent, l’enseignant doit construire une relation d’échange et de débat autour des idées, des concepts et des courants d’idées scientifiques afin que l’étudiant élabore son opinion, son savoir et développe sa réflexion en français. Son objectif n’est pas uniquement la transmission du savoir et son acquisition par l’étudiant en tant qu’acteur de son propre progrès vers le savoir, mais plutôt la construction des compétences cognitives (savoir-faire) et communicationnelles en langue d’enseignement, français, chez l’étudiant à même de lui permettre de développer sa capacité d’analyse et de synthèse, en français, par son intégration dans la logique d’ « apprendre à apprendre » en parlant français en séance de cours et des TD.
-
Interprétation du questionnaire
Pour étayer les hypothèses émises ci-dessus, nous avons établi un questionnaire dont les diverses questions tendent à trouver une réponse à la problématique développée dans cette réflexion. Nous analysons, dans ce qui suit, quelques réponses contenant des données relatives au niveau des étudiants en français, à leur discours sur le français comme langue d’enseignement, requise dans le marché de travail, et leurs difficultés et besoins quant à l’apprentissage et le bon usage de cette langue.
7.1. Quelle était votre note en français au baccalauréat ?
Le tableau et le secteur suivants nous indiquent le niveau des étudiants en français avant de choisir la filière des mathématiques et de l’informatique à travers leurs notes obtenues au bac.
Note | Nombre
d’étudiants |
Pourcentage |
Au-dessus de
la moyenne |
35 |
43,75% |
Au-dessous de
la moyenne |
43 |
53,75% |
Pas de réponse |
02 |
03% |
Secteur/Tableau 5 Notes du français obtenus au bac
Selon ces deux indicateurs, la moitié des étudiants ont eu une note inférieure à la moyenne au baccalauréat, avec un pourcentage de 53, 75% comme il est bien indiqué dans le secteur et le tableau ci-dessus. La moyenne des notes obtenues, dans cet examen de fin cycle secondaire, démontre bien le niveau avec lequel l’étudiant vient, généralement, s’inscrire dans cette filière scientifique où l’enseignement disciplinaire est dispensé en français. Le niveau de l’étudiant dans cette langue est l’une des causes de son échec en première année à l’université.
-
-
Comprenez-vous le discours de votre enseignant en cours?
-
Niveau de compréhension |
Nombre d’étudiants |
Pourcentage |
Oui |
21 |
26,25% |
Un peu |
17 |
21,25% |
Non |
41 |
51, 25 |
Pas de réponse |
01 |
0, 25% |
Secteur/Tableau 6 Niveau de compréhension des étudiants en séances de cours
Les Réponses livrées par les étudiants sur leur niveau de compréhension dans les séances des cours montrent bien le malaise de la majorité des étudiants inscrits dans cette filière scientifique où l’enseignement est dispensé en français. Il y a plus de 51,25% de l’ensemble de ces étudiants qui disposent d’un niveau qui ne leur permet pas de comprendre le discours spécialisé et, bien entendu, de suivre leur enseignant et de réussir leur formation.
Il est donc très apparent que ces étudiants ne disposent pas de compétences communicationnelles ni d’un bagage langagier en français, langue d’enseignement dans cette filière. Cela suppose que leur niveau est à améliorer pour qu’ils puissent réussir leur cursus universitaire et avoir par la suite une place dans le marché de travail.
-
-
Echangez-vous avec votre enseignant en salle de cours pour mieux comprendre?
-
Interactions en salle de cours | Nombre
d’étudiants |
Pourcentage |
Oui |
10 |
12,50% |
Un peu |
09 |
11,25% |
Pas du tout |
57 |
71,25% |
Pas de réponse |
04 |
5% |
Secteur/Tableau 7 Interactions des étudiants en salle de cours
En salle de cours, les interactions des étudiants sont très limitées avec l’enseignant, d’après les pourcentages présentés dans le tableau et le secteur ci-dessus. Cela étant, il s’avère que le niveau de langue est à l’origine de ce comportement en cette situation d’enseignement/apprentissage. Cela exprime, bel et bien, un malaise quant à l’usage du français pour échanger et discuter avec l’enseignant. De ce fait, les étudiants ne disposent pas de compétences communicationnelles ni de répertoire langagier en français qui leur facilitent l’interaction avec l’enseignant et avec leurs collègues en cours. Cela rend l’assimilation du discours universitaire de leur enseignant difficile. Il l’est d’ailleurs de par son aspect lexico-conceptuel et discursivo-pragmatique qui leur pose toujours problème. De ce fait, les étudiants éprouvent des difficultés pour établir des interactions et instaurer des échanges à la base des idées développées dans le cours.
-
-
Que pensez- vous du français?
-
Discours sur le français | Nombre
d’étudiants |
Pourcentage |
Langue scientifique |
12 |
15% |
Utilisée dans le secteur économique |
34 |
42,50% |
Langue à apprendre pour réussir sa vie professionnelle |
34 |
42,50% |
Secteur/Tableau 8 Représentations du français
La plupart des étudiants pensent que le français est une langue essentielle à apprendre. Elle est, d’après leur discours sur le français, la langue d’enseignement en mathématiques et informatique et donc son apprentissage leur garantit la réussite scolaire et professionnelle. En plus, le français est largement utilisé dans le marché de travail en Algérie ce qui rend son apprentissage une nécessité. Quoiqu’ils pensent que le français n’est pas la langue scientifique par excellence, leur discours sur le français et son apprentissage laisse entendre qu’ils veulent, à tout prix, apprendre cette langue.
Partant, il faudra repenser la formation des cadres au supérieur, dans une forme d’intégration qui répondra aux besoins du marché du travail en Algérie aussi bien en termes de compétences linguistiques qu’en termes de compétences disciplinaires à travers la mise en œuvre d’une didactique intégrée entre enseignement linguistique et enseignement disciplinaire.
-
Conclusion
Par cette réflexion, nous estimons qu’il faudrait ne pas attendre encore, mais plutôt agir rapidement contre cette situation de malaise qui caractérise à présent le monde de formation et celui du marché de travail. Ainsi, il sera indispensable de changer de regard, de penser et de remettre en interaction effective ces deux univers constituant l’espace idoine pour le développement sociétal et le progrès de notre société sur tous les plans, à savoir, le monde de formation, l’école et l’Université et le monde de travail en adoptant des programmes et de cursus qui sont en adéquation avec les exigences du marché du travail.
Ce changement de regard ou de perspective ne sera possible que lorsqu’on puisse repenser la formation des cadres au supérieur, notamment ceux de l’enseignement scientifique, dans une forme d’intégration qui répondra aux besoins du marché travail en Algérie aussi bien en termes de compétences linguistiques qu’en termes de compétences disciplinaires. En effet, cette forme d’intégration s’avère être un peu complexe car elle doit intégrer deux ordres de savoirs, en l’occurrence, les savoir disciplinaires et les savoir linguistiques, conditions essentielles, auxquelles doit satisfaire tout diplômé espérant avoir un poste ou un emploi.
D’autant que le discours universitaire, comme une co-construction interactive articulant l’activité de l’enseignant et celle de l’étudiant, doit être un espace discursif où s’offre à l’étudiant des moyens pour construire du sens et où se développent des démarches et des stratégies à caractère ambivalent pour l’aider dans son acculturation à ce discours second qui tend à reformuler un discours-source relatif à une discipline particulière.
Enfin, nous dirons que le discours universitaire est un discours spécifique dans sa source, sa visée, sa langue de transmission à l’université algérienne et son assimilation. Cette spécificité va s’ajouter à celle de l’étudiant et son espace socioculturel particulier, dans lequel ce discours se tient dans sa conception, son élaboration et sa transmission.
L’enseignant universitaire, élément essentiel dans l’acculturation de ce discours à l’étudiant, doit, pour s’affranchir de toutes ces spécificités gênantes, posséder des compétences multiples et diverses pour pouvoir mettre en œuvre des approches multidimensionnelles qui favorisent l’interaction en exploitant le dynamisme intellectuel de son étudiant et l’amenant ainsi à se perfectionner sur la base de ses besoins en formation et dans le monde de travail.
Son objectif n’est pas uniquement la transmission du savoir et son acquisition par l’étudiant en tant qu’acteur de son propre progrès vers le savoir, mais plutôt la construction des compétences cognitives (savoir-faire) et communicationnelles en langue d’enseignement, français, chez l’étudiant à même de lui permettre de développer sa capacité d’analyse et de synthèse, en français, par son intégration dans la logique d’ « apprendre à apprendre » en exerçant le français en séance de cours et des TD.
-
Bibliographie
AUROUX.S., 1998, « Les enjeux de la linguistique de terrain », dans S.Bouquet (dir), Diversité de la (des) science(s)du langage aujourd’hui, n°129 de langages
BAILLT.S et CIEKANZKI. M., 2003, « enseigner et apprendre deux langues étrangères en un seul cours », In Le français dans le monde, Recherches et applications, numéro spécial, CLE International, Paris,
BLANCHET PH., 2000, La linguistique de terrain. Méthode et théorie, une approche éthno-sociolinguistique, PUR, Rennes,
CALVET.L.J., 1993, La sociolinguistique, Que sais-je, PUF, Paris
CROCHE.S., 2006, « La mondialisation des politiques d’enseignement supérieur et de formation professionnelle. La fuite des cerveaux dans un espace désormais ouvert », In Les Cahiers de l’A.T.M.,n° 21, BETA, CNRS, Paris
GANDGUILLAUME .G., 1997, « Le Maghreb confronté à l’islamisme : arabisation et démagogie en Algérie », In Le monde diplomatique, Paris
LABOV.W., 1976, Sociolinguistique, Minuit, Paris MASSOUDI. L et BENRAMDANE. F., 2013, « La fracture linguistique dans l’enseignement scientifique au Maghreb : pour un bilinguisme intégré », In «Les technolectes au Maghreb: éléments de contextualisation », Rabatnet, Rabat
TALEB.IBRAHII. K, 2000 ., « L’Algérie : Langues, cultures et identité, dans L’Algérie: histoire, société et culture, Editions Casbah, Alger
TALEB-IBRAHIMI KH., 1997, « Les algériens et leur(s) langue(s).Eléments pour une approche sociolinguistique de la société algérienne», Dar El-Hikma, Alger, 2ème édition
STORA. B., 2001, « Histoire de l’Algérie depuis l’indépendance 1962-1988», La découverte, Paris
Edition électronique
Données mondiales de l’éducation. 7eEd. 2010/11. ALGERIE. UNESCO. Version révisée en mai 2012, Elaboré par UNESCO-BIE (http://www.ibe.unesco.org/).
Bulletin officiel de l’éducation nationale, Loi d’orientation sur l’éducation nationale n° 08-04 du 23 janvier 2008, Numéro spécial, février 2008, « http://www.education.gov.dz/wp-content/uploads/2015/02/loi0804Fr.pdf »
1 Données mondiales de l’éducation. 7eEd. 2010/11. ALGERIE. UNESCO. Version révisée en mai 2012, Elaboré par UNESCO-BIE (http://www.ibe.unesco.org/).
2 Guide du français de la 3ème année primaire, p.13.
3 Données mondiales de l’éducation. 7eEd. 2010/11. ALGERIE. UNESCO. Version révisée en mai 2012, Elaboré par UNESCO-BIE (http://www.ibe.unesco.org/).
4 Bulletin officiel de l’éducation nationale, Loi d’orientation sur l’éducation nationale n° 08-04 du 23 janvier 2008, Numéro spécial, février 2008, « http://www.education.gov.dz/wp-content/uploads/2015/02/loi0804Fr.pdf »
5 Commission nationale des programmes, 2007, Curriculum de français pour la 3ème année secondaire, Toutes les filières, p.8