La traduction spécialisée : de la formation à la profession

EMBAREK Louiza
Oran 1

Abstract

The evolution of science and technology, as well as the globalization of markets which multiplies and diversifies needs, make specialized translation a highly sought after field today. In this study we will discuss the working methods that should be imparted to the future translator, and more precisely the specialized translator , so that he can enter professional life; and the conceptual tools that enable him to accomplish his task efficiently and satisfactorily for the needs of the labour market.

Keywords : Specialized Translation-Université Training- Professional Training- Labour Market

L’évolution de la science et de la technologie, ainsi que la mondialisation des marchés qui multiplie et diversifie les besoins, font de la traduction spécialisée un domaine très prisé aujourd’hui. Dans cette étude, nous évoquerons les méthodes de travail qui devraien être inculquées au futur traducteur et plus précisément le traducteur spécialisé afin qu’il puisse intégrer la vie professionnelle, ainsi que les outils conceptuels lui permettant d’accomplir sa tâche de manière efficace, rentable et satisfaisante pour les besoins du marché du travail.

1. Qu’est-ce que la traduction spécialisée ?

La traduction spécialisée1 est généralement définie par opposition à la traduction générale, c’est ce qui est clairement exprimé par Daniel Gouadec : «On distingue traditionnellement deux grandes catégories de traductions : les traductions générales, d’une part, et les traductions spécialisées d’autre part. »   (GOUADEC  D ,2002 :33)

Une autre définition plus large peut être perçue chez le même auteur à travers sa spécification des différents types de matériaux traités par un traducteur considéré comme spécialisé, il dit à cet égard :

« …  est spécialisé, par conséquent, tout traducteur traitant exclusivement ou prioritairement un matériau qui :

  • Relève d’un genre ou d’un type spécialisé : contrats, nomenclatures, brevets,…et/ou

  • Se rapporte à un champ ou domaine spécialisé pointu : traduction de matériaux dont les sujets renvoient aux domaines du droit, de la finance, de l’informatique, des télécommunications, ect.et/ou

  • Se présente dans des formes et sur des supports particuliers supports multimédia, film, vidéo …et/ou

  • Appelle la mise en œuvres de procédures et/ou d’outils, de protocoles ou de techniques spécifiques : traduction de logiciels, traduction de matériaux multimédias … » (GOUADEC . D ,2004 :78)

Cette définition nous mène à distinguer les différentes spécialités des traducteurs (GOUADEC . D ,2004 :79-83) et que nous résumons comme suit :

1-Le traducteur littéraire dont la tâche est de traduire soit un type d’œuvres de fiction tel que le roman, la nouvelle et le conte, soit le théâtre. Il existe aussi des traducteurs de littérature enfantine ou de bande dessinée. .

2- Le traducteur commercial dont la spécialité relève généralement du commerce international traduit tout type de documents commerciaux : factures, contrats, appels d’offre, entre autres.

3-Le traducteur juridique2 traduit des textes appartenant au domaine du droit et des sciences juridiques.

4-Le traducteur scientifique à qui il appartient de traduire le contenu des publications scientifiques telles que les articles, ouvrages, mémoires, et thèses.

5- Le traducteur biomédical et pharmaceutique qui se doit de traduire des documents en rapport avec la médecine et la pharmacie : rapports médicaux, notices médicales, études de toxicité, etc…

6-Le traducteur technique qui travaille sur les matériaux et documents relevant de la technique et de la technologie( mécanique, hydraulique, éléctricité,etc.3

7-Le traducteur audiovisuel est celui qui se consacre à la traduction des films, vidéos, montages divers. Il peut être selon la sur- spécialité qu’il choisit soit :

  1. Sous- titreur : il est susceptible donc de traduire le script audio qu’il transforme en sous-titres.

  2. Surtitreur dont la tâche est de préparer et afficher la traduction des dialogues de productions lyriques ou théâtrales

  3. Traducteur pour doublage : grâce à lui la durée de chaque élément de dialogue est respectée dans les films et les vidéos qu’il traduit, ainsi que la synchronisation du dialogue et les mouvements des lèvres.

  4. Traducteur pour voix hors-champ (voix off) ou Voice over qui doit produire un texte dans lequel est condensé l’ensemble de l’information véhiculée par la bande –son et qui sera lu (généralement) par un comédien.

8- Le localisateur qui est chargé de créer une version des logiciels.

9- Le traducteur multimédia appelé aussi localisateur puisqu’il s’occupe des éléments informatiques.

2. La formation à la traduction spécialisée

N’est pas traducteur spécialisé qui le veut ; autrement dit, l’aboutissement aux spécialisations évoquées ci-dessus requiert un enseignement pointu et une formation rigoureuse, ces derniers visant une employabilité maximale et une rentabilité satisfaisante (GOUADEC . D ,2007 :171)

2.1 La formation universitaire

Il importe de rappeler tout d’abord que toute formation en milieu universitaire, quel que soit le domaine de spécialité , présente de nombreux avantages , à savoir un programme de formation spécialement conçu pour l’apprentissage, une orientation pédagogique régulière, mais aussi l’obtention d’un diplôme universitaire permettant l’accès au marché du travail.

Avant d’évoquer les compétences qui devraient être développées chez le traducteur spécialisé, il nous semble judicieux de rappeler brièvement certaines compétences « intrinsèques » du traducteur, c’est-à-dire la parfaite maîtrise de la langue de départ et de la langue d’arrivée, la maîtrise de l’expression et de la rédaction, l’application des procédés de traduction et la maîtrise des techniques d’auto- contrôle en relecture.

Afin d’atteindre ces compétences deux enseignements devraient être combinés : un enseignement orienté vers le processus c’est-à-dire les techniques à employer et la démarche à suivre par l’apprenant, et un enseignement orienté vers le produit qui met l’accent sur la qualité du texte d’arrivée tant sur le plan linguistique que terminologique, sémantique et stylistique. (GILE .D, 2005 :26-29)

Il est évident que les spécialisations en traduction ne peuvent pas être toutes prises en compte par l’institution de formation (GOUADEC  D ,2002 :350) , d’où la nécessité des stages pratiques auxquels nous reviendrons plus loin ;d’autant plus que « la formation à la traduction spécialisée a cela de particulier qu’elle ne consiste pas à enseigner un savoir mais à transmettre un savoir –faire. » (DURIEUX .C ,2003 :93).

Néanmoins, l’attention des étudiants sur les caractéristiques de la traduction spécialisée peut être attirée et ceci à travers l’insertion de divers textes traitant de domaines spécifiques, à condition que ces textes soient pris dans leur intégralité car la traduction spécialisée est axée sur le skopos4 du texte d’arrivée plus que sur la seule correction linguistique de ce dernier.

Aussi ,dans le cadre de la traduction spécialisée qui comporte une part d’entrainement à la traduction professionnelle, outre la grande considération qui doit être accordée à la transmission des compétences techniques et méthodologiques ,un accent particulier devrait être mis sur la terminologie, en ce sens que cette dernière est considérée comme un aspect constitutif de tout discours spécialisé(MEJRI .S,2008 :1) , et que la compétence spécialisée se mesure à la maîtrise de la terminologie en tant qu’ensemble de vocabulaires spécifiques à un domaine de spécialité donné. 

Dans le même ordre d’idée, un intérêt particulier devrait être accordé à la recherche documentaire qui, selon Genviève BORDET «  ne se limite pas à une série de techniques opératoires mais qu’il s’agit d’une véritable démarche intellectuelle liée à un champ de connaissances spécifique » (SAURON. V.A ,2007 :208) ,. L’acquisition des connaissances ad hoc , le choix des sources appropriées ainsi que l’ analyse de ces sources permettant leur bonne utilisation sont aussi des éléments qui devraient être pris en considération, sans oublier bien entendu la maîtrise des techniques de la rédaction spécialisée

Compte tenu de l’avènement technologique, notamment dans le domaine de l’informatique, on ne saurait négliger la nécessité d’une actualisation régulière des programmes. En effet ces derniers devraient se pencher davantage sur la traductique, ce domaine de pointe qui, comme son nom l’indique, désigne « l’étude de tous les points de rencontre de la traduction et de l’informatique » (AUBIN. MC, 1995 :212) et qui englobe un ensemble de pratiques susceptibles d’augmenter la productivité du traducteur telles que la TAO (traduction assistée par ordinateur) et la terminotique.

En revanche les futurs traducteurs devraient être sensibilisés aux limites de ces pratiques ainsi qu’aux conséquences néfastes qu’elles pourraient avoir sur la qualité du produit fini si elles ne sont pas utilisées à bon escient. Par ailleurs, on devrait inculquer aux étudiants le principe d’ « apprendre à apprendre » (GAMBIER .Y ,2003 :18) afin de leur éviter la perte de contact avec ces nouvelles technologies qui sont en perpétuelle mutation.

Dans l’optique d’une préparation optimale des futurs traducteurs , une progression devrait être respectée dans le processus de pré-professionnalisation : ce dernier devrait commencer par une intégration de la dimension professionnelle dans la définition du cursus , ensuite inclure une formation de base intégrant les objectifs professionnels , puis informer les étudiants sur le(s) futur(s) métier(s).Aussi, des simulations diverses devraient être intégrées de même que l’émulation, pour enfin arriver à l’immersion c’est-à-dire l’intégration dans l’univers professionnel par voie de stage pratique notamment. (Gouadec.  D ,2002 :361)

2.2 La formation en milieu professionnel

Les stages professionnels sont des terrains d’application et de consolidation des connaissances acquises en milieu universitaire, et des compétences transmises. Par exemple, il y a des stages intensifs comme les sessions TRADUTECH5 pendant lesquelles des exercices de simulation de projets de traduction en conditions professionnelles (utilisation de logiciels de traduction ,respect des délais de production, de devis et de facture, négociation client ,etc.…) sont pratiqués. Les étudiants travaillent en équipe en alternant les rôles de : chef d’agence, chef de projets, chef terminologue, traducteur. Ces stages se situent entre le stage pédagogique qui devrait faire partie intégrante du cursus et les exercices pratiques du début de la formation.

Après la certification institutionnelle finale, un stage d’insertion professionnelle devrait être programmé. Celui-ci est effectué avec l’orientation d’un tuteur /réviseur et est rémunéré.

3. Traduction spécialisée et marché du travail

3.1. Les principaux débouchés

A la fin de la formation, les traducteurs peuvent exercer soit :

  1. En tant que traducteurs salariés c’est-à-dire exerçant leur métier au sein d’une entreprise ou d’une organisation internationale ou gouvernementale.

  2. En tant que traducteurs indépendants c’est-à-dire à statut libéral. Ils peuvent pratiquer leur activité soit chez eux ou dans des locaux .Il traduisent des textes à la demande de ce qu’on appelle « un donneur d’ouvrage » c’est-à-dire un client, ce dernier pouvant être soit un particulier soit une agence qui joue le rôle d’intermédiaire.

  3. En collaboration entres collègues : celle-ci consiste en un travail d’équipe qui prend des dimensions et des formes juridiques diverses : cabinets d’associés, sociétés de personnes, agences de traduction.(SCARPA.F ,2010 :329)

3.2. Les exigences du marché du travail

Outre la compétence de transfert linguistique qui est bien évidemment une condition sine qua non pour intégrer le secteur de la traduction, d’autres compétences sont recherchées par les employeurs à savoir la maîtrise des outils informatiques de base ainsi que les outils d’aide à la traduction, esprit d’équipe ,capacité à travailler dans des conditions stressantes , maîtrise de la communication écrite ,connaissance du domaine , maîtrise de la communication orale , sens de l’organisation , autonomie , capacité à faire de la recherche (BOWKER L ,2004 :969). Aussi, bien que le traducteur et en particulier le traducteur spécialisé soit en mesure de travailler en collaboration avec d’autres opérateurs tels que : le terminologue, le phraséologue, le relecteur, le réviseur, le pré-traducteur et le post-traducteur, le marché du travail accueille à bras ouverts les traducteurs aptes à exercer un ou plusieurs sous-métiers, c’est ce qu’on appelle les opérateurs à double-casquette (GOUADEC .D ,2004 :87) à savoir : traducteur-terminologue, traducteur-interprète, traducteur-réviseur .Cette polyvalence apporte un gain considérable de temps et d’argent

Conclusion

Devant l’avènement technologique, le marché du travail s’avère de plus en plus exigeant quant aux compétences requises chez le traducteur. La polyvalence de ce dernier constitue désormais, un atout de taille qui favorise son entrée dans le marché du travail.

Par conséquent, la formation universitaire demeure incontournable, de même qu’une mise à jour régulière de ses programmes est indispensable ; ces derniers devraient tenir compte de la réalité du marché et donc comporter des enseignements directement adaptés aux besoins des futurs traducteurs et ceci dans le but d’une employabilité optimale. Quant au   profil acquis par le traducteur généraliste à la fin de cette formation, il est censé lui permettre de se spécialiser dans n’importe quel domaine.

Cette même formation doit être consolidée par des stages en milieu professionnel ces derniers étant en mesure de préparer les futurs traducteurs à l’insertion professionnelle et de leur permettre par conséquent d’être plus performants et donc plus rentables.

Bibliographie :

Ouvrages

DURIEUX, C. (2003) , Formation à la traduction spécialisée : approche documentaireLa formation à la traduction professionnelle. La presse de l’université d’Ottawa.

GAMBIER, Y .(2003) , Les passeurs langagiers : réflexion sur les défis de la formation – La formation à la traduction professionnelle. Les presses de l’université d’Ottawa

GILE, D.( 2005) , La traduction, la comprendre, l’apprendre, Presses universitaires de France.

GOUADEC,  D. (2007) , traduction/traducteur techniques : marchés, enjeux, compétences – Traduction spécialisée : pratiques, théories, formations, Petrer Lang SA , Editions scientifiques internationales, Bern.

GOUADEC, D.( 2004) .Faire traduire, La maison du dictionnaire, Paris.

GOUADEC, D. (2002), Profession : Traducteur, la maison du dictionnaire

MEJRI, S. (2008), La traduction des textes spécialisés : le cas des sciences du langage. Colloque du 50e anniversaire de l’ISIT, oct. 2008, Belgique. Editions du Hazard,.

SAURON, V A (2007), Les nouvelles technologies dans l’enseignement de la traduction :l’exemple de la traduction juridique – – Traduction spécialisée : pratiques, théories, formations, Editions scientifiques internationales, Bern

SCARPA, F. (2010) , La traduction spécialisée. Une approche professionnelle à l’enseignement de la traduction, les Presses de L’Université d’Ottawa

Articles dans des revues :

AUBIN, M.C. (1995) Splendeurs et misères de la traductique .Cahiers Franco-canadiens de l’ouest 7 (2), , 211-226

BOWKER, L. (Décembre 2004). What does it take to work in the translation profession in Canada in the 21st century? Exploring a database of job advertisements. META, 49(4), 960-972.

1La traduction spécialisée est aussi appelée par certains auteurs « traduction technique ».cf :Jean René LADMIRAL Traduire : théorèmes pour la traduction, Paris, Gallimard, 1994, p.14.

2Il est important de ne pas confondre le traducteur juridique et le traducteur judiciaire. ce dernier traduit tout ce qui se rapporte à la police et à la justice.

3Étant donné que la traduction technique recouvre une multitude de domaines, il est primordial que tout traducteur spécifie ses domaines de compétences, on trouve donc des traducteurs spécialisés en informatique, d’autres en mécanique des fluides, des traducteurs spécialisés en électricité industrielle, pour ne citer que ceux là .

4 Terme grec qui peut être traduit en français par but, finalité, d’où le nom de la Théorie du skopos qui, développée par HANS VERMEER en 1978, est fondée sur la fonction que doit remplir le texte traduit (but, objectif, mission). 

5 Les sessions Tradutech font partie du projet européen OTCT (Optimising Translator Training through Collaborative Technical Translation, Optimisation des cursus en traduction par la traduction technique collaborative). Le but est de favoriser l’intégration des pratiques professionnelles dans les formations en traduction, d’améliorer l’employabilité des étudiants et de renforcer les liens entre les différentes universités européennes.